FRAGMENTS D UN JOURNAL INFIDELE
174 pages
Français

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FRAGMENTS D'UN JOURNAL INFIDELE , livre ebook

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174 pages
Français

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Description

A travers des textes courts, discontinus, descriptifs et réflexifs, la narratrice cherche à saisir la simultaneité des sentiments et des souvenirs, à concilier le passé et le présent. ŠLa menace de la solitude s'efface avec la conviction que ce que nous avons pleinement vécu ne se termine jamais dans ce monde imparfait que nous ne comprenons pas complètement, mais qu'il faut accepter.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2011
Nombre de lectures 28
EAN13 9782296809741
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Fragments d’un journal infidèle
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’École-polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-55047-6
EAN : 9782296550476

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
H ana S ANEROVA


Fragments d’un journal infidèle
Amarante

LA DRH ET AUTRES NOUVELLES AU SEIN DU MONDE DU TRAVAIL (janvier 2011) Sylvain Josserand

JOSEPHINE OU LES CALLIGRAPHIES D’ERDEVEN (novembre 2010) Claude Choquet-Guillevic

LE POTENTIEL EROTIQUE DES ANNEES SARKOZY (octobre 2010) Juan Cabanis

RUE DAGUERRE (septembre 2010)
Paul Fabre

UN CRI (septembre 2010)
Didier Tassy

EL SHAÏR (juillet 2010)
Virginie Buisson

LE GRAND CIEL (juillet 2010)
Chantal Saragoni

LA POSITION DU DEMISSIONNAIRE (juillet 2010)
Fabrice Gourdon

L’IMPOSTEUR (mai 2010)
Amine Issa

HISTOIRES DE VIEILLIR (mai 2010) Entre fiction et témoignage
Catherine Artous

AUX QUATRE VENTS (mars 2010) Roman
Arnaud Freyder

L’ALIÉNÉE (mars 2010) Roman
Myriam Kissel
Un soir

Je n’ai pas fait ce que j’aurais dû faire. Mais étais-ce moi qui aurais dû le faire ? Et quoi ? Ou suis-je seulement entourée d’un lambeau du vide ? Quelques flaques indistinctes, insaisissables s’étendent à côté de moi. Flaques de quoi ? Elles ne cessent pas de se démembrer, de disparaître, d’apparaître. Je retiens mon souffle. M’entourent-elles depuis toujours ? Je ne me souviens pas… Elles ne sont pas profondes. Je n’ai pas peur de m’y noyer, mais je n’en suis pas sûre. Je ne suis sûre de rien… Quelque chose manque. Je n’arrive pas à le définir. Je ne me sens pas coupable, mais étrangère. C’est d’ailleurs aussi une culpabilité. Ou je me trompe… Je m’arrête, je réfléchis, mais ce n’est pas une vraie réflexion, plutôt une sensation sans contours, fuyante. Le mot "étrangère" n’est pas juste. Autrefois, on savait probablement ce que signifiait ce mot, on pouvait le définir, s’accrocher à sa définition. On était étranger par rapport à quelque chose, à une situation, à un endroit, à une société. A la fin, c’était rassurant. On pouvait être quelque part chez soi. Mais aujourd’hui ce n’est pas cela. La langue a perdu sa clarté, son univocité. L’avait-elle autrefois ? Ou est-ce l’homme qui a perdu la langue ? Il ne lui reste que la parole où chaque mot a des significations multiples et changeantes, significations qui l’éloignent des autres, derrière lesquelles il se cache. Ulysse est revenu à Ithaque. Meursault de Camus n’a pas où revenir. "Être chez soi" n’est qu’une illusion. Du moins dans certains cas. Est-ce mon cas à moi ?

Depuis longtemps, les écrivains s’en sont rendu compte. Un jour, j’ai trouvé dans le grenier de ma grand-mère un petit recueil, jauni et abîmé, de poésies de Karel Hynek Mâcha. Je l’ai feuilleté. Il appartenait probablement à mon grand-père, mort depuis longtemps. Qui était ce grand-père ? Comment était-il ? J’ai pensé d’abord à lui. Qu’éprouvait-il en lisant ces vers ? Ils étaient si loin du ménage modeste, pratique et raisonnable de ma grand-mère… Certains mots étaient soulignés.

Certes, je savais qui était Mâcha ; on le cite dans tous les manuels scolaires, j’avais déjà lu plusieurs poèmes de lui que j’aimais. Mais c’est à ce moment-là, dans un grenier poussiéreux, encombré d’objets vétustes et inutiles, que j’ai été éblouie et effrayée à la fois par un poème qui est apparu devant moi sur une page ouverte par hasard. Il décrivait une scène maritime. Un seigneur s’avance sur des flots vers un but inconnu. Son page pense découvrir à l’horizon sa patrie. Mais le seigneur sait que sa patrie n’existe nulle part et il jette le garçon dans la mer. Pourquoi doit-il souffrir inutilement en cherchant une patrie qu’il ne trouvera jamais ?

Le page de Mâcha croyait encore qu’il y avait un lieu auquel il pouvait appartenir. Après Kafka ou Hesse, nous n’y croyons plus.

Je suis restée longtemps immobile. Je ne lisais plus. J’avais l’impression d’être à la fois le seigneur et le page. C’était comme une flamme. J’avais une conscience presque physique d’une souffrance qui n’était pas souffrance. Une délivrance ? Le néant qui n’était plus néant… Qu’est-ce que c’était ? Quand on n’appartient nulle part, on appartient… On est partout… Chez soi ? Je n’oserais pas le dire. Le moment que j’ai vécu alors, dans le grenier de ma grand-mère me revient. J’ai l’impression de le revivre. Je suis celle que j’ai été. Y a-t-il quelque chose d’éternel ? Dans le monde ? Dans mon existence ? Dans l’existence de tous ?

Il est déjà presque minuit. Toutes les fenêtres de la maison d’en face se sont éteintes…

Un jour plus tard

J’essaie de mieux comprendre.

Je lis dans le dictionnaire : "Exil : 1. Situation de qqn qui est expulsé ou obligé de vivre hors de sa patrie ; état qui en résulte. 2. Situation de qqn qui est obligé de vivre ailleurs que là où il est habituellement, où il aime vivre. 3. Lieu où réside une personne exilée. "

Il s’agit donc d’une situation géographique : on est un étranger si l’on ne vit pas dans le pays de sa naissance, de ses ancêtres et de ses proches, dans le pays où l’on parle sa langue maternelle. L’exil est une détresse car on aime l’endroit où on est né et qu’on a dû quitter. On est obligé d’aimer sa patrie.

Ai-je honte de ne pas éprouver ces sentiments ? Les attribué-je aux autres gratuitement ? Je ne peux les vérifier ni chez eux (à qui pensé-je quand je parle des autres ?) ni chez moi-même. Qui m’est "proche" ? Certainement pas ceux qui collaboraient autrefois dans mon pays natal avec la police secrète et qui utilisent aujourd’hui – plus modestement, il est vrai – les mêmes méthodes. Ce type de gens est partout, mais ils ne peuvent pas agir partout avec la même impunité.

Je ne suis d’ailleurs pas sans patrie, sans attachement à la terre où j’habite. Je suis Française. Mais c’est un autre amour que celui qu’on éprouve – ou doit éprouver – pour son pays natal. Amour choisi. La dame qui demeure à côté de moi n’a pas besoin de déclarer qu’elle est Française et qu’elle aime la France. Ça va de soi. Quant à moi, j’ai l’impression qu’il faut que je le dise. Ai-je tort ? Si je vivais en Australie, on ne supposerait pas que je doive aimer la France. Je peux vivre n’importe où et on est persuadé que j’aime la Bohême, que je dois l’aimer. Je n’arrive pas à expliquer que ce n’est pas vrai. D’ailleurs je ne sais pas si c’est ou si ce n’est pas vrai.

Certes, on parle aujourd’hui souvent aussi d’un "exil intérieur". Comment le définir ? On vit dans son pays natal et on le désapprouve. On y est maltraité, on en a honte. Pourtant on ne veut ou ne peut pas le quitter. Même dans ce cas, on aime probablement sa patrie, celle qui devrait être différente de celle qu’elle est.

Quand j’étais encore en Tchécoslovaquie communiste, je commençais à être indifférente envers tout, pas seulement envers ce qui était dans le pays d’alors, mais envers tout. Tout ce que j’avais devant les yeux et à quoi je pouvais penser était devenu étranger. Les palais de Prague s’étaient métamorphosés en blocs gris avec lesquels je n’avais rien de commun. Les rues étaient devenues muettes, le ciel ne se reflétait plus dans des ruisseaux et étangs, les forêts étaient sans couleur. Tout m’était désagréable. Je n’aimais plus rien.

A présent, je peux revenir en Bohême. Les palais ont retrouvé leur beauté, les étoiles brillent de nouveau dans la Vltava… Je les aime. Mais c’est un autre amour qu’autrefois. Amour de loin. Je peux aimer ainsi les palais de Florence, les temples de Kyoto…

Jadis les gens étaient persécutés, mais ils s’entraidaient souvent, timidement et parfois même avec un peu de risque. Aujourd’hui, la situation est incomparablement meilleure ; il n’y a plus de camps de concentration, on n’est pas persécuté à cause de tantes vivant dans un pays capitaliste. Mais les gens se sont habitués à avoir peur et ne s’entraident pas. Est-ce une autre sorte d’exil ? Je le vois dans mon pays natal, mais il existe probablement partout. Quelquefois il me semble que les gens ont cessé d’aimer la vie.

Mais il n’y a pas seulement l’exil dans l’espace qu’on peut éviter éventuellement. Il y a l’exil inévitable dans le temps. C’est dans le temps que je me sens étrangère. Je ne sais pas comment en sortir. Je ne rencontre plus

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