LA Contamination des mots
117 pages
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LA Contamination des mots , livre ebook

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Description

Dans cet essai très personnel, Gilles McMillan revient sur son enfance et la misère culturelle dans laquelle il a grandi pour réfléchir au pouvoir émancipateur de la littérature. Engageant le dialogue avec quelques œuvres connues de la littérature québécoise, c’est la question de l’héritage qu’il pose : comment, sans se déraciner, faire du monde un lieu habitable, pour soi et pour les autres ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 20 mars 2014
Nombre de lectures 0
EAN13 9782895966708
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© Lux Éditeur, 2014
www.luxediteur.com
Dépôt légal: 1 er trimestre 2014
Bibliothèque et Archives Canada
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
ISBN: 978-2-89596-182-6
ISBN (ePub): 978-2-89596-670-8
ISBN (PDF): 978-2-89596-870-2
Ouvrage publié avec le concours du Conseil des arts du Canada, du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec et de la SODEC . Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada ( FLC ) pour nos activités d’édition.
À Jocelyne Fournel, la vraie fille de Christophe Colomb
P RÉFACE
H ÉRITER OU PAS
T OUT ESSAI VÉRITABLE, à l’instar du roman, procède d’une scène qu’on peut qualifier de primitive, même si elle n’a rien de sexuel, en ce qu’elle révèle à quelqu’un ce qu’il devra faire pour être lui-même, l’os qu’il devra gruger toute sa vie, dirait Thoreau, pour devenir un auteur. Dans La contamination des mots, cette scène de la seconde naissance porte fort justement le titre de «Sculpteur à l’œuvre» et nous est racontée, sous le voile transparent d’une fiction, comme si l’auteur voulait bien marquer que ce «jour-là» il est devenu quelqu’un d’autre. Cela se passe dans la petite ville de Mondolore, qui ressemble à Mont-Laurier comme une douleur ressemble à une autre, où le sculpteur de la place, mais de «réputation internationale», s’est vu confier la tâche d’installer dans un parc «une œuvre d’art, une sculpture en hommage aux travailleurs de la forêt». L’auteur, né d’un père analphabète et d’une mère illettrée, n’a encore rien fait, rien écrit; c’est un nobody , d’où son nom de McPersonne, qui traîne dans sa petite ville, avec ses amis, «les champions des désœuvrés», une petite vie où il ne se passe rien, sans passé et sans avenir, dont on ne s’évade qu’en réussissant son suicide.
Ce jour-là, McPersonne, qui vient d’échapper à une mort plus ou moins accidentelle, s’approche du sculpteur à l’œuvre, «juché sur les épaules du colosse en devenir», et se voit confier par celui qui lui «apparaissait […] comme la synthèse de l’ouvrier, de l’intellectuel et de l’artiste» la mission suivante: «Tu diras à ton père que je travaille pour lui.» Le fils, «fier […] d’être le messager entre l’artiste et son modèle», ne s’étonne qu’à moitié de la réaction du père qui n’aime ni le monument ni les intentions de l’artiste, qui «lui pass[ent] deux cents pieds au-dessus de la tête». Ce qui agace le père c’est le manque de réalisme de la sculpture («aucun homme normalement constitué ne peut saisir de la sorte un billot de douze pieds»), mais surtout le fait «qu’on érige un monument à la gloire de ce qu’il consid[ère], du plus profond de sa colère rentrée, comme un travail humiliant […], un travail d’esclave rendu possible par son ignorance et sa situation misérable». Le fils, qui n’a pas d’autre héritage à revendiquer que celui du père («je ne me privais pas moi-même […] de me vanter de sa misère dans les chantiers, de son analphabétisme même, gage d’une culture authentique de l’oralité. À quoi j’ajoutais qu’il était violoneux et conteur»), voit dans cette sculpture, comme dans la chanson La drave, de Félix Leclerc, une possible réconciliation avec ses origines, un rapprochement avec le père, qui le rejette dans «un monde défuntisé, sans légitimité», condamné à vivre «le déshéritage qui oblige de tout reprendre, tout le temps de zéro».
La question qui se pose alors à McMillan, alias McPersonne, est la suivante: comment sortir vivant de Mondolore, sans emprunter l’autoroute du «grand récit national qui [a] besoin de s’ériger, comme tout grand récit, sur des martyrs»? Que faire de «l’héritage de la tristesse» décrit par Miron, sans le trahir en le magnifiant, comment vivre dans «un pays que jamais ne rejoint le soleil natal»? Toute l’œuvre de Miron cherchera à faire surgir le poème du «noir analphabète», à libérer «un pays chauve d’ancêtres». Telle est la tâche à laquelle s’attelle ce jour-là McPersonne, tiraillé entre la promesse du sculpteur et la fidélité suicidaire au père: «J’avais un sacré travail à faire, toute la tête à me refaire, pour me sortir de là.»
La première sortie de Mondolore est celle que Miron appelle «le salut par la calotte»: travailler, par la lecture et l’écriture, à devenir moderne, «à devenir son propre père», à remplacer la «honte d’être né» par l’orgueil du self-made-man . Mais on devine que la carrière moderne de McMillan fera long feu, tant il est vrai, comme le dit le dicton, qu’on peut sortir quelqu’un du bois mais pas le bois de quelqu’un. Très tôt, le fils retrouve la colère du père, sa méfiance à l’égard des beaux discours, et refuse de prendre le train du progrès qui passe à toute vitesse entre l’ancien et le nouveau. Si la révolution ici n’avait pas été si tranquille, si «fasciné[e] par le culte du nouveau et de la rupture», s’il y avait eu ici un véritable mouvement révolutionnaire enraciné dans les classes populaires, nul doute qu’on l’aurait retrouvé sur les barricades ou dans un cachot, comme ses compagnons d’Amérique, l’écrivain uruguayen Carlos Liscano et son ami argentin Miguel. À défaut de révolution, McMillan, fidèle à «la mission négative» de Ducharme: «Aller nulle part, ne rien faire», va tirer sur tout ce qui nous contamine («la logique marchande», «la gauche kérosène», «l’écrivain postmoderne», «le philistin cultivé», «le kitsch de la littérature mondiale», «la double pensée») et décrire, avec la lucidité de ceux qui n’ont rien ou tout refusé, «le grand cirque» qu’est devenu le monde libéré de sa «pauvreté natale», «la dictature du plaisir» à peine différente de «la dictature politique». Loin de ses anciens amis «timbrés et suicidés» qu’il continue de porter en lui, McMillan s’est trouvé de nouveaux compagnons qui, après avoir «choisi d’être orphelin», comme Stachura ou le héros de Tout ce que tu possèdes, travaillent fort à réaliser «le vœu de Liscano de devenir l’enfant de ses parents».
La contamination des mots raconte le parcours de tous ces enfants prodigues ou abandonnés qui cherchent «une maison où se mettre à l’abri», le bon usage des héritages, riches ou pauvres, qui doivent être «reconnus et dépassés», car nul ne peut errer trop longtemps dans le désert qu’est l’absence d’héritage: «Entre le monde supposément harmonieux des ancêtres et l’absurde modernité, seule la douleur semble avoir été transmise.» Sur le chemin du retour à «la maison des ancêtres», deux voies s’offrent à l’auteur: «Miron en faisant profession de foi dans le pays natal, Ducharme en faisant du manque, de la contingence ou de la déchirure, le matériau même de son œuvre.» D’un côté La marche à l’amour, «le chant épique de Miron [qui] substitue la lutte politique à l’amour certes, mais cette lutte ne s’incarne pas», de l’autre La fille de Christophe Colomb, «une quête de l’amitié» qui tourne en «une fable noire et sans issue sur les temps modernes». Deux façons d’échouer en résistant à la destruction de l’humain. McMillan ne cache pas sa préférence pour Ducharme, mais dès que l’essai se fait plus autobiographique, dès que l’auteur raconte sa vie à Mondolore, comment ne pas reconnaître dans ses frères «timbrés et suicidés», qui souffrent «d’une perte […] obscure, primitive, innommable», l’homme agonique héritier de la tristesse: livide, muet, nulle part et effaré, vaste fantôme, il attend, prostré, il ne sait quelle rédemption, démuni, il ne connaît qu’un espoir de terrain vague. C’est en assumant la douleur de Mondolore, du «pays chauve d’ancêtres», que l’auteur réalise la quête d’amitié de Ducharme.
La beauté et la force de La contamination des mots, c’est que s’y trouvent réunies les voix de Miron et de Ducharme, compagnons d’Amérique dans leur refus «des intellectuels au service de chimères ou du pouvoir» et leur désir de «sauver l’enfance». Comment McMillan a-t-il réussi là où le sculpteur de Mont-Laurier et la Révolution tranquille ont échoué, comment a-t-il pu, comme Miron, sortir de Mondolore sans renier ses parents et, comme Ducharme, «créer à partir d’un monde en ruine»? La réponse est dans cette «capacité […] de souffrir et de condamner» qui, selon Arendt, peut «transformer le désert en un monde humain». C’est en faisant sienne la douleur de tous ceux qui ont été chassés du monde et en jugeant sévèrement ceux qui les en ont chassés que l’héritage pourra être «reconnu et dépassé», que le passage de l’ancien au nouveau cessera d’être «une party de suicidaires». La contamination des mots est l’œuvre d’un solitaire qui combat pour redonner une histoire, une enfance, un imaginaire à tous ceux, d’ici et d’ailleurs, que la culture du progrès, «sans corps et sans passé», a déshérités. À la fin de son essai, l’auteur, qui avait jugé sévèrement ses parents tout en les excusant («Dans la rue où j’ai grandi, on était plusieurs à recevoir plus de tendresse et de compréhension des roches – et de la télévision – que de nos géniteurs. […]Mais il ne faut pas en vouloir à nos vieux parents, qui étaient déracinés et déshérités.»), fait cette découverte capitale, qui est comme la vérité vers laquelle il cheminait: «Nos pères étaient des hommes sans amis. Des pères sans amitié.» La contamination des mots est le livre d’un déshérité qui, en redonnant à ses parents ce qu’il n’a pas reçu d’eux, résout le paradoxe de l’héritage de la pauvreté. C’est ainsi que l’on devient, comme le voulait Liscano, «quelqu’un de simple, le fils de [sa] mère et de [son] père», et en quelque sorte leur parent, par l’amitié qui les remet au monde. Voici un livre nécessaire qui, en racontant comment quelqu’un devient un auteur sans cesser d’être personne, décrit et comble le «hiatus terrible entre la vie telle qu’elle va et telle qu’elle pourrait aller».
Yvon R IVARD
P ROLOGUE
O N PARLE BEAUCOUP , et avec raison, de corruption dans les affaires publiques, de pollution de la nature, de la contamination de l’eau et de l’air, mais on ignore généralement que ces désastres, dont plusieurs sont probablement irrévocables, du moins pour l’h

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