La Fibbia , livre ebook

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Ceci n’est pas un roman… Ce n’est pas non plus une biographie. J’ai voulu raconter l’histoire d’Enrico, l’aïeul italien émigré en France dans les années 1870 mais j’ignorais presque tout de lui.
« La Fibbia » est l’aboutissement de mes recherches généalogiques et historiques et surtout un hommage à Enrico, ce révolté qui n’a jamais cessé de serrer les poings.
J’ai rassemblé les éléments d’un puzzle fait de bribes de vie que l’on m’a racontées, de vrais noms, de vrais lieux et de vraies dates. J’ai fait des déductions et imaginé un personnage ancré dans son époque que j’ai fait vivre, penser et parler, en essayant de rester au plus près de la vérité.
Ce récit est à la fois une enquête et une fiction, Enrico est à la fois une personne et un personnage. Ceci est peut-être un roman, finalement…
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Publié par

Date de parution

07 septembre 2018

Nombre de lectures

0

EAN13

9782312060927

Langue

Français

La Fibbia
Marie - Françoise Fibiani - Cladière
La Fibbia
Se taire et serrer les poings
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2018
ISBN : 978-2-312-06092-7
Prologue
Toute petite, les ancêtres, ça ne m’intéressait pas trop, d’autant plus que je n’avais plus de grands-parents à part une grand-mère qui n’en avait que le nom.
Mais j’avais vaguement entendu parler d’un aïeul abandonné à la naissance au XIXe siècle en Italie du Nord. Et cet aïeul avait une particularité : il m’avait légué son nom. Cette histoire d’abandon avait fait tilt dans mon imaginaire de petite fille romanesque passionnée par les romans et les films de cape et d’épée et d’orphelines ravies à leur noble famille, élevées par des bohémiens au grand cœur et finalement restituées à leur famille princière éplorée.
Au creux de mon lit, je me racontais des histoires dont j’étais l’héroïne infortunée et je pleurais de vraies larmes sur mon triste sort. Mes prétendus parents qui semblaient m’aimer n’étaient pas mes vrais parents, ils m’avaient recueillie et peut-être même kidnappée ! Je devais donc partir à la recherche de mes origines, comprendre pourquoi, les autres, les vrais, n’avaient pas voulu de moi.
Ce sentiment d’abandon, alors que j’avais des parents aimants, m’habite depuis l’enfance et ne m’a jamais quittée.
Je crois que mes aïeux italiens en sont à l’origine.
Et puis, l’Italie… Un monde fantasmé depuis l’enfance qui perdure encore. Rome et ses gladiateurs, Venise, ses palais et ses gondoles, Florence et Lorenzaccio, Naples, le Vésuve et Pompéi, la Tosca et la Traviata, Stendhal et la Chartreuse de Parme… et puis, Fellini, Visconti, Antonioni, Pasolini, Sophia Loren, Mastroianni et Monica Vitti ! Tout un monde de rêve, un pays aux accents exotiques et romantiques dans lequel je plongeais mes racines.
Nombre de mes ancêtres portent un nom du terroir français, même si quelques-uns, plus originaux, ont des noms bretons et alsaciens mais il se trouve que, par les lois de la République et de la filiation paternelle, je porte un nom italien, rare et en voie d’extinction.
Alors, avant que mon nom ne disparaisse totalement, j’ai décidé de faire des recherches en France et en Italie, d’imaginer aussi et d’écrire l’histoire de mes aïeux.
Pourquoi cet aïeul et pas un autre ? Certes, je porte son nom, mais ce n’est pas l’unique raison. Il est vrai que je m’interroge sur l’impact du nom que le hasard nous a attribué à la naissance. Pourquoi je porte le nom de cet aïeul-là et pas celui d’un autre ? J’ai en moi les gênes de tous et toutes, pas ceux d’un seul ! Et ce nom totalement arbitraire (et d’autant plus arbitraire que ce n’est pas un vieux nom mais un nom récemment fabriqué…) a marqué mon enfance et mon adolescence, déterminé mes goûts et mon évolution. Je pourrais, comme tout un chacun, remplir des pages des noms de mes ancêtres. Au hasard : Aron, Hissler, Mehl, Le Lindrec, Collet, Jaffré, Genet, Guibert, Foucault, Hudier, Rameau, Danguy, Lancelot, Roth, Hebting, Apprill etc. De « vrais » noms perpétués de génération en génération, de naissance (officiellement…) légitime en naissance légitime {1} . N’importe lequel de ces patronymes aurait pu être le mien mais je n’en ai reçu qu’un : Fibiani. Par ce patronyme, je me suis sentie dès l’enfance plus italienne que parisienne, bretonne, alsacienne, berrichonne ou bourguignonne. Totalement irrationnel alors que mes racines italiennes ne représentent qu’un quart de mon hérédité. J’aurais pu hériter du nom de ma mère : Aron, et je me serais exposée à la question : « Tu es juive ? » Au lieu de cela, on me demandait : « Tu es corse ou italienne ? »
Je suis donc partie à la recherche de mes racines italiennes. Mais cette recherche s’annonçait difficile, surtout avant l’apparition d’Internet . Une recherche en Italie alors qu’on n’en maîtrise pas la langue et que, là-bas, la généalogie n’était pas encore entrée dans les mœurs, il y a une dizaine d’années… Mais cette difficulté m’aiguillonna. Un généalogiste est un enquêteur dans l’âme qui doit chercher des indices et en déduire des pistes pour prolonger ses recherches. C’est comme la cueillette des champignons, une autre de mes passions. Quel rapport ? S’il n’y a qu’à se baisser pour récolter, où est le plaisir ? Le plaisir est dans la difficulté et la rareté de la découverte. Trouver un superbe cèpe de Bordeaux après trois heures de marche ou un ancêtre au bout de trois ans de recherche, c’est la même jouissance !
Mes ancêtres franciliens qui dorment à quelques kilomètres de chez moi, bien serrés dans leurs archives et leurs actes notariés n’ont pour moi guère d’attrait. Justement parce qu’ils sont si accessibles ! Ce sont des champignons de Paris, presque interchangeables, alignés côte à côte, les uns à la suite des autres, prêts à être cueillis… Par contre, Enrico… et tous les mystères qui l’entouraient…
Enfin, il y avait cette photo… Un tel visage, une telle expression, méritaient enfin qu’un de ses descendants lui consacre quelques recherches et quelques pages, ne serait-ce que pour percer le secret de ce regard…
Longtemps, je n’ai rien su de lui. Je ne connaissais même pas son prénom ni son lieu de naissance, dans le Tyrol italien, peut-être, ou le Piémont. Des bribes glanées çà et là… un arrière-grand-père roux, montagnard, forgeron et anarchiste. Ces bribes, c’est ma grand-tante, la femme de son dernier fils qui me les a transmises. Merci, Suzanne, toi qui m’as donné la photo de l’aïeul. Merci, sans toi, je n’aurais jamais eu ce désir d’en savoir plus. J’étais tellement impressionnée par ce visage et ce que tu me racontais sur cet homme si méprisé mais qui me paraissait si exceptionnel ! Si différent surtout de mon univers de petite fille bourgeoise catholique à jupe plissée, col Claudine et tresses liées par de jolis nœuds blancs bien repassés… À la maison, mon père ne parlait jamais de son grand-père, comme s’il n’avait jamais existé. C’est vrai, aussi, que les parents ne nous parlaient pas de leur vie et nous ne savions rien sur nos grands-parents, qu’ils les aient ou non aimés. Papa avait trente-deux ans quand son grand-père est mort en 1940, à l’âge de quatre-vingt-deux ans, sur un lit de l’hôpital Broussais. Comment ne l’aurait-il pas connu ? D’autant plus qu’ils habitaient tous deux à Paris, dans le XIVe arrondissement ? Si proches et si éloignés… Mais, quand j’étais enfant, dans les années 50, on distinguait les cols blancs des blouses bleues, les femmes « en cheveux » et les dames à chapeau. Chaque classe sociale avait son uniforme. Avoir un père ou un grand-père bureaucrate et gratte-papier, en costume trois-pièces et étroitement cravaté, c’était bien vu. Un grand-père en blouse bleue ou grise, travaillant de ses mains à l’usine ou dans son atelier, un grand-père qui puait la sueur, ça la fichait mal, on le cachait. Surtout quand on avait épousé une ancienne élève des Beaux-Arts dont la mère était directrice d’école et le grand-oncle premier prix de trombone au Conservatoire de Paris… Et Enrico, l’immigré italien, n’était que forgeron. Un seul détail et de taille que notre père nous avait raconté : l’aïeul s’était fait incinérer ! Incinéré ! Qui se faisait incinérer en 1940 ? Sacré grand-père ! Sacré bonhomme resté fidèle jusqu’à quatre-vingt-deux ans à ses convictions anarchistes et anticléricales… resté jusqu’au bout dans son élément… le feu !
Mais mon père ne s’épanchait pas sur sa vie privée ni sur ses origines ouvrières dont il avait honte. À l’époque, être descendant de paysan, c’était on ne peut plus banal et pas trop discriminatoire même si on ne s’en vantait pas mais, ouvrier, cela voulait dire pauvre et surtout… communiste !
Inavouable pour un jeune homme qui voulait gravir les échelons d’une carrière commerciale en costume-cravate ! Je crois aussi qu’il a rejeté son grand-père comme un modèle auquel il ne voulait pas ressembler. Enrico travaillait le fer forgé, était un artisan créatif et savait tout faire de ses mains. Mon père était un i

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