Robertine Barry
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Robertine Barry , livre ebook

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Description

« Quand verrons-nous, me faisait remarquer, l’autre jour, une jeune femme, en passant devant ce superbe édifice qui s’appelle l’université, quand verrons-nous les Canadiennes admises à y suivre les cours destinés à accroître leur instruction et à leur donner la place qui leur revient dans la société? [...] Je rêve mieux encore; je rêve, tout bas, que les générations futures voient un jour, dans ce vingtième siècle qu’on a déjà nommé le Siècle de la femme, qu’elles voient, dis-je, des chaires universitaires occupées par des femmes.»
Françoise, La Patrie, 14 octobre 1895

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 10 avril 2014
Nombre de lectures 0
EAN13 9782895966487
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0002€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La collection «Mémoire des Amériques» est dirigée par David Ledoyen
Ce texte est extrait de l'ouvrage de Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque, De remarquables oubliés , t. 1, Elles ont fait l'Amérique , Montréal, Lux Éditeur, 2011.
Illustration de couverture: Francis Back
© Lux Éditeur, 2011 www.luxediteur.com
Dépôt légal: 2 e trimestre 2014 Bibliothèque et Archives Canada Bibliothèque et Archives nationales du Québec ISBN(ePub) 978-2-89596-648-7
Ouvrage publié avec le concours du Conseil des arts du Canada, du programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec et de la SODEC . Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada ( FLC ) pour nos activités d’édition.
Robertine Barry
Q uand verrons-nous?
me faisait remarquer, l’autre jour, une jeune femme, en passant devant ce superbe édifice qui s’appelle l’université, quand verrons-nous les Canadiennes admises à y suivre les cours destinés à accroître leur instruction et à leur donner la place qui leur revient dans la société? [...] Je rêve mieux encore; je rêve, tout bas, que les générations futures voient un jour, dans ce vingtième siècle qu’on a déjà nommé «le siècle de la femme», qu’elles voient, dis-je, des chaires universitaires occupées par des femmes.
Françoise, La Patrie , 14 octobre 1895
E LLE SORT DE LA MAISON , rue Saint-Denis, à deux pas du carré Saint-Louis, saute sur sa bicyclette, et à travers une circulation lourde, anarchique, fonce vers son bureau, rue Saint-Jacques, où elle rédigera sa «Chronique du lundi» au milieu du bruit des rotatives. Cette scène pourrait se passer au XXI e  siècle, si ce n’est que les rues sont pleines de crottin de cheval et que Robertine a failli se faire renverser par un de ces nouveaux tramways électriques; si ce n’est qu’elle a croisé sur son chemin des enfants ébouriffés, leur sac à lunch sous le bras, marchant vers l’usine; si ce n’est qu’elle a salué son voisin Émile Nelligan, revenant d’on ne sait où, l’air hagard. Peut-être avait-il passé la nuit à réciter des vers ou pire, à quêter comme un mendiant au grand désespoir de sa mère.
Cette scène, oui, en apparence banale, pourrait avoir lieu de nos jours, à Montréal, mais en ce matin de l’été 1897, pour se rendre aux locaux du journal La Patrie , Robertine Barry brave beaucoup plus que le crottin des rues, les cochers fous, le métal hurlant des tramways. En étant journaliste, écrivaine, célibataire assumée – et non «vieille fille» –, en roulant à vélo au risque d’en devenir infertile, elle transgresse tous les interdits et tabous de son siècle, les diktats de Monseigneur Bourget, les hauts cris des ultramontains, les qu’en-dira-t-on d’une population confinée aux superstitions et à l’ignorance. «Nous avons grandi, écrit Robertine, et cependant, aujourd’hui encore, même dans l’accomplissement des actes les plus futiles, les plus anodins, nous avons toujours peur que M. le curé nous coupe les oreilles.»
Robertine vit exactement la vie dont elle avait rêvé, adolescente. Très tôt, elle a su qu’elle voulait écrire et toute jeune son tempérament rebelle, ses idées d’avant-garde et son franc-parler annonçaient la femme moderne qu’elle allait devenir, la «femme nouvelle», disait-on alors. Elle ne va certes pas jusqu’à porter le pantalon, comme le fait l’écrivaine française George Sand, ou même le trouser , ce pantalon bouffant qui arrive sous le genou et qu’arborent les féministes américaines. Tout au plus dénude-t-elle parfois ses épaules et ose-t-elle certains décolletés qui, en cette fin du XIX e  siècle, appellent le scandale. Mais sa façon de se vêtir n’est rien en comparaison de sa personne même, tout entière, et de ses convictions: à trente-quatre ans, Robertine Barry gagne sa vie comme un homme, se sert de sa tribune à La Patrie pour promouvoir l’instruction des femmes, va au théâtre et au concert en dépit de toutes les exhortations de l’Église à fuir ces lieux de perdition.
Tout indépendante qu’elle soit, Robertine vit néanmoins avec sa mère, ses frères et ses sœurs. Elle ne peut songer à quitter la maison familiale afin d’habiter seule en appartement. On la considérerait alors comme une prostituée, ce qui ne manquerait pas de compromettre sa carrière de journaliste. Mais s’en plaint-elle vraiment? La maison des Barry, qu’elle fût aux Escoumins ou à Trois-Pistoles, loin de représenter un carcan, a toujours été un milieu aussi harmonieux qu’ouvert aux nombreux amis, aux gens de passage ainsi qu’à toutes les idées nouvelles. Des bibliothèques remplies de livres, même de ceux qu’on a mis à l’index, des magazines de tous les pays, des canapés moelleux, des tapisseries, des objets d’art, des soirées autour du piano à chanter, à jouer Beethoven, Mozart, Schubert, à donner pour les amis de petites pièces de théâtre... voilà l’atmosphère que John Barry et Aglaé Rouleau ont su créer autour d’eux pour le plus grand bonheur de leurs enfants. La maison de la rue Saint-Denis, même sans John, connaît cette espèce de rayonnement, et Robertine, prolongeant l’esprit de convivialité de son père, y tient salon tous les jeudis.

Sans de tels parents, l’enfant imaginative et frondeuse qu’était Robertine aurait-elle pu rêver de liberté, étudier dans de bonnes écoles, naître à elle-même? Sa mère Aglaé était de L’Isle-Verte, fille d’Euphrosine et de Joseph Rouleau, prospère marchand de bois. À vingt ans, elle rencontra John Barry, qui, comme des milliers et des milliers d’Irlandais, avait immigré au Canada avec sa famille, vers 1847, pour fuir la Famine de la pomme de terre. L’Irlande, ne l’appelait-on pas la verte Érin, ou l’île verte? Belle coïncidence! John travaillait aussi dans l’industrie du bois. Il était l’homme de confiance du riche entrepreneur William Price. Bien qu’il eût quinze ans de plus qu’Aglaé, une sensibilité commune, une élégance des sentiments, une passion pour les arts les réunit. John faisait d’ailleurs partie du groupe de bourgeois qui avait fondé au village un Institut littéraire où l’on se rencontrait pour lire, échanger, entendre des conférenciers. Le frère d’Aglaé en était membre, peut-être celle-ci fréquentait-elle aussi l’Institut? En 1851, par une superbe journée de juillet, John et Aglaé s’épousèrent à L’Isle-Verte.
Le 26 février 1863, une violente tempête de neige fait rage lorsque Robertine Barry vient au monde dans la maison de sa grand-mère Euphrosine – une tempête qui présage une petite tête en effervescence, pleine de questions, puis la femme ardente, impétueuse, le tourbillon de femme qui balayerait sur son passage tant d’idées reçues. Ni le médecin ni la sage-femme n’arrivent à temps pour prêter assistance à Aglaé; elle accouche donc avec la seule aide de sa mère, et aussitôt, malgré le vent qui siffle, malgré la poudrerie qui entremêle ciel et terre, on se presse vers l’église pour faire baptiser la nouvelle-née. On ne sait jamais, deux enfants de la famille Barry sont morts en bas âge... Cette fois, c’est la joie, Robertine se présente comme un bébé vigoureux, elle fait son entrée dans une maisonnée turbulente où déjà, malgré les petites tombes blanches qui hantent les esprits, trois frères et trois sœurs s’agitent comme des diables. Dès que les eaux du fleuve se trouvent libérées des glaces, les Barry quittent L’Isle-Verte pour regagner leur demeure des Escoumins. La maison des Barry: un manoir à cinq lucarnes, là sur le coteau, qui surplombe le Saint-Laurent. Les habitants du village l’appellent «la grande maison des bourgeois».
De fait, John Barry est maintenant le gérant de la plus importante scierie de la haute Côte-Nord. Celle-ci exporte du bois dans tout le Canada, en Amérique du Sud et jusqu’en Australie. Le «roi du village», ainsi qu’on surnomme John Barry, est le patron des opérations: il embauche les ouvriers et les paie avec des «pitons», c’est-à-dire de la monnaie valable seulement au magasin de la Compagnie. Non seulement il exerce un véritable monopole, mais encore, fort de l’instruction supérieure qu’il a reçue en Irlande, il occupe au fil des ans les fonctions de juge, de maire, de marguillier et d’agen

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