Alger, mère capitale
135 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Alger, mère capitale , livre ebook

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
135 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Une enfance algérienne


Tel aurait pu être le titre de ce livre, librement inspiré de faits réels. Sauf qu’il est déjà pris, je crois, et que cette enfance-là ne ressemble à aucune autre.


De la librairie Charlot à Alger jusqu’aux plages de Tigzirt se dessine ici un monde disparu, merveilleux et horrible. Sour El-Ghozlane, Blida, Baïnem, autant de terrains de jeux à explorer pour une gamine intrépide, éprise de justice et de liberté et qui rêve d’écrire des contes.


Des contes, une mystérieuse journaliste lui en réclame aujourd’hui...


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 16 novembre 2022
Nombre de lectures 1
EAN13 9791093275888
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Geneviève Buono
 
 
 
 
 
 
Alger, mère capitale
 
 
 
 
 
 
Collection Mouvements d’elles
 
 
 
 
 
 
 
À mes parents, enseignants d’exception sur les deux rives de la Méditerranée…
À Zoubida , Mouloud, El Hocine, Marc et tous les anciens élèves, en particulier ces ardents qui ne les oublieront jamais…   
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Éditions Tangerine nights
46 Domaine du vert coteau
14800 Touques
www.tangerinenights.com
 
ISBN : 979-10-93275-87-1
EAN : 9791093275871
ISBN numérique : 979-10-93275-88-8
EAN numérique : 9791093275888
 
 
 
 
 
 
Librement inspiré de faits réels.
 
La scène se passe en France aujourd’hui
ou en Algérie, autrefois
 
Principaux personnages :
 
Laury, petite-fille de Mam’s        années cinquante en Algérie ou aujourd’hui, à B, près de Paris.
Mam’s, grand-mère de Laury
Chloé, mère de Laury et fille de Mam’s
Tristan, père de Laury
Noël, frère de Laury
Victor, Adeline, Pierre : oncles et tante de Laury
Janine, épouse de Victor
Annette, jeune sœur de Mam’s
Omar et Hocine, adolescents, élèves de Tristan
 
 
 
 
 
 
 
I Alger ou Paris, un je pour un autre
 
 
 
 
 
1 Mam’s
 
On dirait qu’il va pleuvoir, j’ai froid aux os.
Ma petite fille, ranime la flamme des souvenirs, verse encore un peu de café noir, que je m’y brûle la langue et les doigts encore et encore, que l'arôme de moka envahisse ma vieille bouche ridée pour faire venir les choses et les gens, que je puise dans mon cœur ces larmes qui me consument, que je me retrouve comme autrefois installée à l'ombre sur ma terrasse, à regarder le fleuve des gens qui passent et repassent, me saluent ou ne me remarquent pas, que je plonge ma main dans leurs vies de basilic.
 
Petite, tes doigts tremblent. Ne pleure pas, ne crains pas cette vieillesse qui me tient, que tu sens avancer en moi. Je sais bien, les enfants n’aiment pas surprendre la progression de l’âge chez leurs parents, mais profite de ces instants où nous sommes seules, unies par le sang et l’émotion. C’est parce que je t’aime, toi, que je te dis tout ce que je te dis, que je n’ai jamais raconté à personne et qui se perdra après nous. Tu sais, ce n’est pas toujours facile de trouver le moment pour dire. Certaines choses, comme les
chansons, ne se chantent pas sur commande, il y faut de la piété.
Ma chérie, porte-moi des fruits, ces figues magnifiques, violettes à force d'être noires, floues comme la confiture. Non, ne retire pas celles qui sont un peu éclatées, je les préfère.
Quels modèles pour un peintre, Femmes mauresques autour d'un panier de figues  ! Ni toi ni moi ne sommes des femmes arabes, mais laisse-moi le plaisir de dire : les fruits mûrs sont des sourires qui se mangent, on les partage avec ceux qu’on aime. Toi tu es là, ma petite fille ! Chair de ma chair, tu portes en toi le parfum vrai de mon pays. Mon pays… 
 
 
« Petite, tu verras comme on navigue. On passe notre temps à partir et revenir, comme ce paquebot, le Ville d’Alger, si beau, si blanc… Il glisse droit devant, traverse, retraverse le fleuve intérieur. Cette mousse bleue et blanche sous la proue, c’est le ventre de la mer qui s’ouvre… Tu verras, tu verras ! 
Tu sais, chaque exilé possède là-bas un autre lui-même, un être qui parfois l'appelle, lui parle pendant des heures, et tous les deux pleurent, bras tendus au-dessus de la mer. Souvent ils n'arrivent pas à s'accorder. Leurs tonalités se déchirent et ce duo les fait souffrir très fort…
– Où es-tu ? Que fais-tu, et avec qui ? Penses-tu encore à moi ? Est-ce qu'il fait beau dans ton pays ? Mon pays est ici, et pourtant ailleurs. Et ma vie, ma vie d'aujourd'hui. Mais où est-elle, la vraie vie ? Souvent, j'ai envie de te rejoindre, mais comment faire, je suis liée à tant de choses ! 
– Liée ici aussi, tu ne crois pas ? 
– L'exil est un dur métier, tu sais bien que je n'ai pas vraiment choisi. 
– Allons, viens me rejoindre, on a tant à faire ensemble ! On remontera le temps. Ce sera un très beau voyage, à la rencontre des années passées, et tu verras, on dénichera des merveilles. 
– Oui, un jour, tu verras ! 
– Tu dis ça chaque fois, et tu ne viens pas.
– Mais si, un jour je le ferai. 
– Un jour je reviendrai, c'est une chanson... Elle se termine mal !
– Ce n'est pas la nôtre, je te dis.
– Le futur est dans notre main, il suffit d'une impulsion, d'un rire. Souviens-toi de tes années de chèvrefeuille, des pins que l’on a plantés ensemble sur la colline.
– Bien sûr, je me souviens. Souvent je me souviens. Mais c'était hier.
– Et cette orange ramassée au pied de l’arbre ?
– Oui ! Elle était bien amère… » 
 
 
 
 
2 Laury, Alger années cinquante
 
Jeudi, c’est le jour sans école, le plus beau de la semaine… Chez Mam’s, je peux rêver sur le balcon aussi longtemps que je veux, à regarder les gens qui passent et s’effacent dans l’ombre des magnolias. Regarder, écouter, sentir les fleurs d’Alger. Une si grande ville, bourdonnante comme une énorme ruche !
Là, juste à côté, résonne l’écho d’un marteau en action. Sans doute l’ouvrier qui remplace enfin les carreaux de l’entrée. Elle est si vaste, cette entrée, haute et large comme dans un palais oriental, et elle déroule sous nos pas un panneau de mosaïque où serpente une fleur de lys aux tendres couleurs, rose, vert, gris, blanc…
Ce matin, pendant que mon père garait la voiture, j’ai dit aux parents :
– On restera en bas tous les deux, Noël et moi ! Ne vous inquiétez pas, je m’occupe de lui.
– Juste un petit peu, alors… a répondu Papa.
 
Il nous a tenu la porte et, dès le seuil, il a lancé sa voix. C’est comme ça, il ne peut pas s’en empêcher. Vive, élastique comme une balle de mousse, elle a traversé le hall pour rebondir sur les murs avant de frapper le plafond. Où est-elle ? Partout à la fois, comme dans une église : « Gloria, gloria ! »
Mon père est fier de sa voix de ténor mozartien, un timbre rare. Ses yeux pétillaient, on voyait bien qu’il était heureux : « Hallelouya ! »
Ma mère, elle, ne partageait pas sa joie :
« Sois discret ! Tu veux encore qu’elle nous fasse la morale ?  »
Il avait l’air déçu quand il lui a dit :
– Tu n’aimes plus m’entendre ?
« Bien sûr que si, chéri, mais tu sais bien, la concierge… »
La concierge, ou la voisine, ou le gendarme, il faut toujours que ma mère s’inquiète…
 
Leurs paquets à la main, les parents montaient l’escalier sans s’occuper de nous. Vite, j’ai plaqué Noël contre le mur :
–  Mets-toi ici et ouvre grands tes petits yeux. Tu as beaucoup de chance. Je vais te faire le Cygne…
– C’est quoi, le Cygne ?
– Ne t’en fais pas, il suffit de me regarder. Tu ne dois rien faire, tu restes là sans bouger.
Preuve qu’il avait compris, il a fourré ses doigts dans sa bouche. Ce regard perdu, ça voulait dire qu’il me suivrait partout. Moi aussi j’étais prête. J’ai commencé à patiner sur les carreaux merveilleux… Tout en suçant ses doigts, il écarquillait les yeux.
Qu’est-ce qu’on est bête, à cet âge ! Il ne sait même pas ce qu’est une ballerine. Enfin, il a de la chance, parce que je suis la Pavlova, celle qui éblouit les foules. On m’adore, et je salue le monde en pivotant sur la piste comme une grande toupie. La Pavlova est morte, et moi je suis vivante. On m’acclame et j’invente des figures. Les bras en corolle, je plie les genoux, je me redresse, puis un saut de biche, et je survole la baie d’Alger en l’arrosant de baisers.
C’est sûr, mon frère n’avait jamais rien vu d’aussi beau, parce qu’il tirait de plus en plus de salive.
– Tu le vois, le C ygne, tu le vois ?
Sans ôter ses doigts de sa bouche, il fait « oui, oui ! »
Je me déploie au soleil comme une fleur de lys. Mes bras sont les branches d’un arbre vivant, mes mains ses jeunes pousses… Je ferme les yeux, emportée par la vague de plaisir et, à la fin :
– Alors, c’était bien ? Frappe dans tes mains et crie «  bravo ! »
La danse a fait de nous des lutins de la forêt russe… J’apprends à Noël comment on applaudit, puis je le serre contre moi. On est heureux comme ça, joue contre joue.
 
« Ah, mais c’est vous, tout ce raffut ? »
Baba Yaga surgit de sa tanière. Quelle misère, on était si heureux tous les deux !
« Arrêtez de hurler comme ça ! Ils sont où, vos parents ? »
Une fois de plus, impossible de l’éviter. Son tablier et son chignon ne sont jamais loin, même quand elle est ailleurs, ou plutôt : surtout quand elle n’y est pas.
Pas le temps de répondre, elle poursuit sa rengaine : « Essuyez les pieds sur le paillasson et le reste où vous voudrez ! »
Concierge, c’est sa fonction, indiquée au mur avec ce doigt pointé comme une épée. Elle pourrait bien rester chez elle, dans son trou à rats. Mais non ! Sa brosse en chiendent à la main, le balai dans l’autre, elle inspecte tout ce qui franchit le seuil de l’immeuble – locataire ou visiteur.
Devant le marchand de tapis qui pousse timidement la porte, elle aboie : « Démarchage interdit. Faut apprendre à lire, Mohamed ! »
Avec lui, elle est intraitable. Il ne s’appelle pas Mohamed, mais Kamel et je le trouve gentil. On le croise souvent dans le quartier, ses tapis jetés de travers sur l’épaule : « Joli tapis, madame ? De la laine, regardez la qualité… Pas chers, et très beaux ! »
Mais avec cette mégère, tout le monde a droit à quelque chose : « Le parapluie trempé, on le secoue avant de monter ! Les mégots ici, dans le cendrier ! »
Elle ose même s’en prendre à Victor… Mais il faut bien qu’il fume, mon oncle, puisqu’il fait des études. De maths, en plus…
Cette fois encore, plus qu’à nous ruer dans l’escalier… Et une fois de plus, l’index dressé me donne la chair de poule. Qui a eu l’idée de peindre ça sur le mur ? On aurait pu mettre autre chose : un seau, un balai… Une hyène !
 
 
 
3 Chez Mam’s
 
Premier étage, on arrive chez Mam’s. Vite, je m’empresse d’aller lui raconter notre mésaventure. L’autre

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents