Fès intemporelle

Mohammed Melyani, Manon Istasse

Description

Le titre de cet ouvrage est une métaphore. Car aucune autre ville marocaine n'exprime autant les tribulations du temps. Héritière d'une histoire millénaire, elle demeure l'un des hauts lieux de la civilisation islamique. Ses monuments prestigieux qui jalonnent son espace matériel constituent un lieu de mémoire, un livre d'histoire. La première partie de l'ouvrage aborde l'histoire de Fès et des différentes présences de la tradition, et ses relations avec le temps présent. La seconde partie s'intéresse aux cartes postales et descriptions de la ville dans les récits de voyage.

Sujets

• Maroc
• Histoire
• Esthétique
• Afrique subsaharienne
• ARts
• Islam

Informations

• Publié par: L'Harmattan
• Date de parution: 01 mai 2017
• Nombre de lectures: 68
• EAN13: 9782140036095
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 38 Mo

Extrait

C u l t u r e s , é d u c a t i o n s e t p a t r i m o i n e s

Fès intemporelle

Sous la direction de Mohammed Melyani et Manon Istasse

Sous la direction de Mohammed Melyani et Manon Istasse Fès intemporelle Préface de Mohamed METALSI Postface d’Abderrahman TENKOUL

Cultures, éducations et patrimoines Collection dirigée par Mohammed Melyani et Abderrahman Tenkoul Avec la collaboration de Mohammed Amar, Mireille Barthod-Prothade, Kacem Bensalah, Farida Bouhassoune, Abdelmouneim BOUNOU, Samir Bouzouita, Ahmed Chabchoub, Fouad Chafiqi, Pascal Galvani, Abdelmajid Kaddouri, Martine Lanibayle, Nadir Marouf, Slim Masmoudi, Mohamed Metasi, André de Peretti, Gaston Pineau, Muriel Poisson. Collectionmultidisciplinaire, elle concourt à la réflexion contemporaine sur les sciences de l'Homme et leurs usages. Privilégiant l'approche plurielle, elle publie des travaux sur le lien culture - éducation - patrimoines, leurs transmissions, développements, actions et applications à des domaines pratiques de la vie sociale. C'est en faisant interagir les disciplines, leurs concepts et leurs méthodes, que l'on veut réinterroger les liens culture - éducation - patrimoines. La zone méditerranéenne, notamment les relations franco-marocaines, est privilégiée, mais la collection n'est pas fermée à l'étude des autres régions, en ce qu'elle apporte un progrès à l'analyse des relations entre l'action des différentes formes culturelles, d'éducation et de patrimoines. Déjà parus BRESSOLETTE Henri,A la découverte de Fès,2016. MELYANI Mohammed,Le roman d’un chercheurde Suivi  Paroles d’accompagnement, 2015. MELYANI Mohammed,Le Savoir en reliance. Les voies de la recherche, 2012.

A la mémoire de Jad Tenkoul

Nous avons été invités Puisque les ténèbres nous entourent Tournons nos visages vers la lumière Endurons les difficultés Et soyons reconnaissant de l’abondance La douleur nous a été donnée Pour être éblouie par la joie La vie nous a été donnée Pour nier la mort

Avec la participation de Mohamed MÉTALSI, Mohammed MELYANI, Manon ISTASSE, Hayzoun LAHSEN. M’hammed IDRISSI JANATI, Muriel GIRARD, Charlotte JELIDI, Katia BOISSEVAIN, Samir BOUZOUITA, Sadik RDDAD, Abdelali JEBBAR, Abdelmouneim BOUNOU, Abdeslem KNINAH, Khalid LAZAARE, Abderrahman TENKOUL. © L’Harmattan, 2017 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-11993-9 EAN : 9782343119939

SOMMAIRE PréfacedeMohamed MÉTALSI.Fès intemporelle. 7 IntroductiondeMohammed MELYANI, Manon ISTASSE. 11 Chapitre 1 17 Hayzoun LAHSEN.La construction de la ville de Fès. Chapitre 2 M’hammed IDRISSI JANATI. Fès ou le réenchantement 27 cosmopolite d’une cité du sud de la Méditerranée. Chapitre 3 Muriel GIRARD, Charlotte JELIDI.55Traditionnellement vôtre. Les représentations officielles de la tradition dans la fabrique du patrimoine de la médina de Fès à l'époque coloniale et depuis le classement au patrimoine mondial. Chapitre 4 Katia BOISSEVAIN.Les nouveaux visages du christianisme au 77 Maghreb : Fès comme ville de comparaison. Présentation d’un travail en cours. Chapitre 5 Manon ISTASSE. Vivre dans la médina de Fès : à propos de tradition 91 et de modernité. Living in the Fez medina: about tradition and modernity. Chapitre 6 Samir BOUZOUITA.115De la traversée des frontières : conscience et modèle de la reconstruction de la famille fassie en Angleterre. ΎجΫϤΔήھϤاΔΎϔاΔϠئΎاΕΎتشاوءΎبودوΪارΒ Chapitre 7 Mohammed MELYANI.Fès la résistante. Les événements de Fès du 139 17 au 19 avril 1912. Chapitre 8 Sadik RDDAD165. Fez from Postcard to Resistance: Anglo-American Travel Writing during the Protectorate.

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Chapitre 9 Abdelali JEBBAR.177Fez in French Colonial Postcards: Visual Mapping of a Walled Colonial City. Chapitre 10 Abdelmouneim BOUNOU. La vieille ville de Fès au regard des 213 écrits de voyages occidentaux (XIX-XXe). Chapitre 11 Abdeslem KNINAH.229Fès sous le regard de deux écrivains français à la fin du 19e siècle : le temps/ton du mépris. Chapitre 12 Khalid LAZAARE243. Fès dans la mémoire de l’autre à travers les écrits étrangers. Fès et quelques voyageurs germanophones du XIXe siècle. Postfaced’Abderrahman TENKOUL. 249

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Préface

Fès, intemporelle Mohamed Métalsi Professeur, Doyen de la Faculté Euromed des Sciences humaines et sociales, Fès, Maroc

Le titre de cet ouvrage est une métaphore. Car aucune autre ville marocaine n'exprime autant les tribulations du temps. Héritière d'une histoire millénaire, elle demeure l'un des hauts lieux de la civilisation islamique. Ses monuments prestigieux qui jalonnent son espace matériel constituent un lieu de mémoire, un livre d'histoire.

Difficile d'échapper, à Fès, au poids du passé. Il suffit d'explorer attentivement les mille et une bâtisses pour tisser le récit d'une histoire prestigieuse, réelle ou fictive. L'architecture n'est-elle pas le premier grand livre de pierres, comme disait Victor Hugo ?

Du haut de la colline al-Kolla au Nord de la médina, à l’extérieur des remparts, parmi les oliviers, les cactus et les agaves bleus, des tombes du XIVe siècle dominent Fès et surplombent un cimetière étagé qui se déploie jusqu’à Bâb Guissa. C’est un ensemble de ruines d’un palais et d’une nécropole des souverains mérinides. Les chroniqueurs racontent que ces tombes émerveillaient par la magnificence de leur marbre et les couleurs splendides de leurs épitaphes. Mais il ne reste rien de cette somptuosité, sauf la beauté du paysage qu’on admire devant l’agrément sublime de la cité tout entière.

De cette colline, la cité offre une vue exceptionnelle. Car la médina est là, dense et abondante, provoquant un sentiment d’immensité, de bien- être intellectuel et esthétique. Vision totale, absolue et distante, comme une feuille écrite. Ce qui apparaît, au premier abord, et qui emplit notre regard, c'est une texture serrée, compacte, à peine interrompue de quelques patios et jardins intérieurs, et qui, dans la nuit laisse transparaître mille et une lumières. Océan de toits plats d'où surgissent, ici et là, des minarets et des coupoles, construction cubiste de surfaces horizontales et verticales où les couleurs dominantes, blanc, gris et ocre, magnifient le paysage. Il suffit d'identifier quelques-uns de ses innombrables édifices pour comprendre la

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dimension historique de Fès : la grande mosquée Karawiyyîne et le tombeau de Moulay Idris, le fondateur (début du IX e siècle) auquel se rattachent des rites et des sentiments de respect profond. D'autres monuments, aussi divers que les mosquées, médersas, palais et demeures bourgeoises et populaires, Kissariya..., nous rappellent encore, avec leur classicisme urbain, les riches périodes mérinide ( XIII e, XV e siècles), saâdienne ( XVI e, XVII e siècles) et alaouite (de 1640 à nos jours).

1 Les chroniqueurs musulmans, tels qu'Ibn Hawqal (voyageur et géographe oriental du Xe siècle) et Abou Bekr Ahmed b. Mohammad er- 2 Râzî , n'ont cessé de clamer, depuis le Xe siècle, cette valeur et cette qualité de grande capitale de l'Occident musulman. Les voyageurs européens des temps modernes, tels que Jean Léon l'Africain, Marmol, Mouette, René Caillé… ont également exprimé leur enchantement. « À Fès, en effet, tout respire, écrivait E. Gomez Carrillo, l'amour de l'art, de la poésie, de l'étude, de la courtoisie, de l'élégance, du luxe, du plaisir. Il y flotte dans l'air un charme spirituel qui donne à la grande métropole maghrébine une apparence 3 docte et savante, qu'on ne retrouve dans nulle autre ville africaine ».

Mais Fès, plus que toute autre cité marocaine, ne se livre pas dès l'abord. Au regard d'un profane, elle se défend et préserve sa vie intime, essentielle, son âme, par le dédale et l'impasse. Quiconque la visite se retrouve instantanément dans l'espace réservé aux étrangers.

Espace dans l'espace ou ville dans la ville, le visiteur n'accède qu'aux lieux publics où les Fassis communiquent entre eux et avec le monde extérieur. À travers l'une de ses portes monumentales il faut se laisser aller dans le flot de la foule bigarrée et se jeter dans les parcours réservés aux différents souks, souvent constitués d'une maille compacte d'échoppes, de fondouks, pour aboutir à la Kissariya, le marché par excellence des produits précieux, et à la mosquée Karawiyyîne, espace central, cœur spirituel et économique de Fès. Vision polyphonique, espaces hauts en couleur, atmosphère bruyante, prégnance olfactive, Fès est une sollicitation permanente de tous les sens. 1  Ibn Hawqal,Description de l'Afrique septentrionaleW. de Slane,, trad. par Journal asiatique, 1842. 2  Cité par E. Lévi-Provençal, « La Fondation de Fès », in Annales de l'Institut d'Études Orientales (Faculté des Lettres de l'Université d'Alger), 1938, IV, p. 23-53. 3  Gomez Carrillo, E.,Fès ou les nostalgies andalouses, trad. de l'espagnol par Charles Barthez, Paris, Librairie Charpentier et Pasquelle, 1927, p. 9.

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Derrière les espaces publics, une autre Fès, paisible et immobile, intime et domestique, silencieuse et méditative, semble exclure tout regard étranger. Passages obscurs, impasses imprévisibles, chicanes déconcertantes, sinuosités déroutantes, l'espace résidentiel est un ensemble d'enclaves, parfois fermées, et de regroupements familiaux en quartiers, dont les règles d'organisation et le tracé des frontières ne sont déchiffrés que par les Fassis eux-mêmes. Point de façade visible et aucune richesse ostentatoire, seuls de hauts murs aveugles aux enduits vieillis et des portes parfois bien ouvragées qui indiquent le statut du résident. Monde familial et sacralisé, les maisons sont ouvertes de l'intérieur. Cours au tapis de zelliges sous un rectangle de ciel bleu, jardins andalous verdoyants et parfumés, l'espace du dedans est souvent un chef-d'œuvre architectural et ornemental : boiseries ouvragées, plâtre sculpté, émail composé et coloré, fontaines bien disposées contrastent avec l'austérité du dehors.

L'intrusion dans cet espace est codifiée, nul ne peut oser transgresser la sacralité familiale et le silence contemplatif des ruelles résidentielles et des maisons.

Née de l'Islam, Fès ne remplace pas d'antiques cités phéniciennes ou romaines ; elle est la doyenne des villes musulmanes du Maroc. Son type historique est celui des anciennes métropoles de l'aire hispano-mauresque : modèle urbain de l'Islam médiéval, elle est actuellement un exemple rare dans le monde musulman qui a relativement conservé sa morphologie architecturale.

En fait, aucune ville n'exprime mieux que Fès l'histoire du Maroc. Douze siècles d'histoire ininterrompue ont fait d'elle une cité exceptionnelle. Sa singularité résulte de son parcours historique : elle a été l'une des rares villes qui a échappé aux dévastations fatales aux autres grandes cités du pays à la suite des chutes de dynastie ou lors d'invasions étrangères. Seule, elle connaît la permanence, « l’intemporalité ». Aux plus pénibles moments de son histoire, elle a pu préserver un noyau constant et solide de citadins, et toute une culture urbaine nous suggérant l'idée de ce qu'ont été les grandes villes légendaires de la Péninsule ibérique : Tolède, Cordoue, Séville et Grenade…

Au XXe siècle, l'instauration du protectorat, signée le 30 mars 1912 à Fès, engendre des mutations considérables. Une ville moderne se construit,

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