Le drame de la thalidomide
282 pages
Français

Le drame de la thalidomide , livre ebook

-

282 pages
Français

Description


Collection : Acteurs de la Science

A l'origine connue comme un simple tranquillisant, la thalidomide était distribuée dans le monde entier, en remportant durant toute la durée de sa commercialisation un succès sans précédent. Mais à la fin des années 1950, les personnels hospitaliers constatèrent l'apparition de graves névrites. Après avoir recoupé les informations, ils acquirent la certitude que le coupable était ce médicament. Son retrait définitif intervint en 1961, mais il était trop tard. Aujourd'hui la thalidomide est de retour en agissant officiellement comme un médicament "miraculeux", notamment dans la réduction des aphtes géants des malades du sida.

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2009
Nombre de lectures 670
EAN13 9782296228436
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1150€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Introduction

Au tournant des années cinquante et soixante,le marché de la déprime
1
était en pleine forme.Lesgensont un pied dansle futuret un autre dans
l’ancientemps. L’ordinaire amélioré n’empêche pasdesubircertaines
dégradationsde lavie bienqu’unevolonté de libération de lasociétéqui ne
veutplus ressemblerà celle de «papa »s’impose. Lesbarresetles tours
s’élèvent, entassantlesâmes tourmentées. L’Europe occidentale connaît
uneseconderécession en 1957et1958. Devantcettesituation Jacques
2
Michel Blancécriten 1958 :A notre époque devie agitée, nous recevons
couramment en pratique d’odontostomatologie des malades que l’on peut
qualifier de « petits névrosés », le plus souvent l’anxiété de ceux-ci est telle
qu’il est nécessaire de rééquilibrer leur psychisme avant d’entreprendre la
moindre intervention oumême de faire admettre les soins les plus
élémentaires.
Dansce climat,refletd’un bonheurmitigé, l’homme cherche àse
tranquilliser. Dans sonHistoire contemporaine des médicaments, François
3
Chast raconte lesétapesde la découverte des tranquillisantset rappelle
que le mottranquillisant(tranquillizer) futprononcé pourla première fois
en 1953parYonkman. Grâce aux tranquillisants,tousespéraientmieux
vivre, mais sans se douter qu’ils se préparaientà deslendemains
douloureux. Lesconsommateurslesabsorbaient trèsfacilement. Ils
auraientmieuxfaitdes’astreindre à desérieusescogitationset, pour une
partnon négligeable, la prise d’antidépresseurs se faisait sansaucun
diagnostic étayé. Peuimporte, lesuccèsdesanxiolytiquesethypnotiques
crût rapidement. En 1957, M. A. Garde, danslaRevue Lyonnaise de
Médecine,s’insurge :Onvoit apparaître actuellement dans la
pharmacopée chaque jour de nouvelles drogues douées d’un pouvoir
mystérieuxet magique qui doit effacer toute angoisse, et onva jusqu’à les
désigner sousun terme qui tranquillise à la fois le médecin qui ordonne et
le malade qui reçoit. Elle serait bien facile la thérapeutique des syndromes
anxieux, s’il en était ainsi en réalité. Et pourtant combien d’embûches se
dressent devant le thérapeute qui doit, envisager en plus de la médication,

1
FUNES Nathalie, «Le marché de la déprime esten pleine forme ».Le Nouvel Economiste, 10
décembre 1999, 1141, 44–46.

2
BLANC JacquesMichel,Contribution à l’étude de la médication sédative par les tranquillisants en
odontostomatologie,69p. Th. : Méd. : Paris: 1958; 681.

3
CHAST François,L’Histoire contemporaine des médicaments. Paris: La Découverte, 1995, p 145-6.
(Collection Histoire desSciences).

5

4
touteune psychothérapie superficielle ouprofonde.Le praticien apprend
cependantà discernerlesinquiets quise fontune montagne des incidents
quotidiens de lavie, des angoissés qui sans cause précisevivent dansun
5
trouble perpétuel, desporteursd’affectionscomme d’un dérèglement
endocrinien oud’hypertension. Des scientifiquesémirent très tôtdes
réservesà leur sujet.Si cevocable tombe sous le sens commun, il semble
beaucoup plus difficile de délimiter le cadre des tranquillisants de façon
scientifique. Maisune réserve s’impose d’emblée auxespoirs qu’ont fait
naître des publications souvent hâtives et des conclusions prématurées. Si
évocateur que soit le terme de «tranquil reste très imprécis etillisant »,
groupe des corps bien différents, non seulement par leur structure
6
chimique, mais encore par leur activité thérapeutiqueécriventJean
LerebouilletetPhilippe Benoiten 1956.
Le journalThe Timesdu17novembre 1961 écrit quele stress mental
est en augmentation constante auRoyaume-Uni et que pour calmer leurs
anxiétés, les Britanniques prennent de plus en plus de tranquillisants, alors
7
qu’ils feraient mieuxde s’autodiscipliner.
La crainte était qu’ilsdeviennentdesalimentscomme lesautres. En
Allemagne de l’Ouest, estime leSundayExpress, prèsdequatre millions
8
de personnesont régulièrement recoursaux tranquillisants195. De0à
1974, l’Allemagne fédérale estle paysindustrielqui connaîtla croissance
économique la plus rapide, aupoint qu’en 1961, ony recrute àtourde bras
de la main-d’œuvre étrangère, de nombreux travailleurshôtes
(Gastarbeiter)yfontleurentrée. Ony travaille beaucouptouten
s’entassantdansdes villesde moinsen moins vivables. A cette époque, en
RFA, l’Allemand n’estjamaiséloigné de plusde200kilomètresd’une
conurbation de l’ordre d’un million d’habitants.
Un dossierdaté d’octobre 1962etproposé parSelection duReader’s
9
Digestmontre àquel pointles tranquillisantspeuventêtre dangereux.
William etEllen Hartleydonnentdesexemples:En 1959,un DC3 de
Piedmont Airlines, qui avait dévié de 18 kilomètres de sa route, s’est

4
GARDE A., «Traitementactuel desétatsanxieux».La Revue Lyonnaise de Médecine, mai 1957,
389–91.

5
ERLANDE G., « Les tranquillisants».Marseille Médical, 1957, 94,6, 436–8.

6
LEREBOUILLET J., BENOIT Ph, « Les tranquillisants».La revue dupraticien,21 décembre 1956,
6,33,3 651–3 665.

7
« Tranquilliserare almostpartof diet»said Dr. E.D. Irwine ».The Times, 17novembre 1961, p8.

8
« Calming down ».SundayExpress,24 décembre 1961, p11.

9
HARTLEY Ellen etHARTLEY William, « Méfions-nousdes tranquillisants».Selection duReader’s
Digest, octobre 1962, 51–55.

6

écrasé contre le flanc d’une montagne près de Charlotteville en Virginie,
provoquant la mort de23 passagers et de 3 membres d’équipage.
L’enquête montra que le pilote avait absorbé des tranquillisants. Par la
suite, la direction fédérale de l’aviation, auxEtats-Unis, interdit devoler
auxpilotes qui prennent de ces médicaments. Le règlement de l’armée de
l’air américaine interdit même auxpilotes devoler pendant quatre
semaines après l’absorption de toute drogue destinée à améliorer
l’humeur, à tranquilliser ouà provoquer l’ataraxie.
AuxEtats-Unis,unrapportmontrequ’en 1957 trente-sixmillions
d’ordonnancesontétérédigéesparlesmédecinsprescrivantainsiun
milliard deuxcentsmillionsde comprimésdetranquillisants. De 1957à
1961, descentainesd’observationscliniquesdécriventles sérieux
inconvénients que les sédatifsprovoquentdansde nombreuxcas. En
octobre 1959, le docteurFrank Orland pousseun cri d’alarme dansle
Journal de l’Association médicale américaine:L’administration
prolongée de tranquillisants peut faire baisser les tensions affectives à tel
point que le patient en arrive à oublier les réalités de lavie. En mars1962,
10
Science & Viediffusaunreportage intitulé «Alerte auxmédicaments»
puisleJournal de Genèvenota l’annonce d’un député socialiste de
BâleVille, Monsieur Wyss, qui déclara :«On évalue à plus de 150 000 000
tablettes et cachets de calmantsvendus annuellement en Suisse,
11
principalement dans la population citadine» .En France, à cesujet,un
12
curieux texte parutdansl’Auroreen 1962.Onyapprenait qu’aucongrès
de la fédération nationale desétudiantsde France,une commission chargée
de lasanté desétudiantsarévéléqu’à Marseille, 5% desétudiantsauraient
dû suivreuntraitementpsychiatrique et que20% d’entre euxauraient
besoin aumoinsd’une aide médicale. Lescauses sontlesurmenage à la
période desexamens, l’usage desdopingsetdes tranquillisants. Enrésumé,
les tranquillisantsaudébutdesannées soixantesontpartout. Ilsoccupent
une position assezmal délimitée etexistenten grand nombre en fonction
de leuractionqui peutêtrdécone :tractantmusculaire,spasmolytique,
13
antihistaminique, hypnotique ethypotensive.
Derrière cetattraitpourles tranquillisants se cachaientlesindustries
pharmaceutiques. Leursprofitsaugmentaient sanscesse etdes sommes
ahurissantesétaientdépenséesen publicité pourlespromouvoir. Il n’est
pasétonnantdèslors que dès1960, les scientifiques s’inquiétèrentde la

10
« Alerte auxmédicaments

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