Les Gryner 1945-1953
238 pages
Français

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Les Gryner 1945-1953 , livre ebook

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Description

Gryner, « vert » en yiddish, est le terme employé par les Juifs d’Europe de l’Est immigrés en France avant la Seconde Guerre mondiale pour désigner ceux des leurs « nouveaux venus », arrivés après celle-ci. Leurs motivations étaient diverses, mais ils avaient en commun celle de ne plus vivre dans un « pays-cimetière » où leurs proches avaient été exterminés.
La présente étude propose une approche historico-sociologique de cette population à travers les parcours de survivants de la Shoah originaires de Pologne. Elle s’est traduite par une importante campagne d’entretiens avec ces Gryner ou leurs enfants, menée sous couvert du Farband-Union des sociétés juives de France en partenariat avec la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. L’analyse de ces témoignages est venue enrichir celle des interviews antérieures, et s’ajouter aux recherches effectuées dans des fonds d’archives et dans la littérature disponible. Cette synthèse nous permet désormais de mieux appréhender le passé traumatique de ces Juifs polonais, leurs motivations à s’exiler, leur choix de reconstruire une vie familiale et professionnelle en France, leurs sociabilités et modalités d’intégration dans la société française de l’après-guerre. Elle jette ainsi les bases d’un champ d’étude encore peu défriché.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 22 juin 2021
Nombre de lectures 1
EAN13 9782304050011
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0250€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Sabine Zeitoun
Les Gryner 1945-1953 Des réfugiés juifs polonais en France après la Shoah
Avant-propos du Dr Richard Prasquier de Jean-Charles Szurek et d’Henry Battner
Collection Témoignages de la Shoah


Le Manuscrit
Paris


© é ditions Le Manuscrit, 2021 ISBN : 978-2-304-05000-4 ISBN epub : 978-2-304-05001-1


Présentation de la collection « Témoignages de la Shoah » de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah (FMS)
En lançant sa collection « Témoignages de la Shoah » avec les Éditions Le Manuscrit, et grâce aux nouvelles technologies de communication, la Fondation souhaite conserver et transmettre vers un large public la mémoire des victimes et des témoins des années noires des persécutions antisémites, de 1933 à 1945.
Aux nombreux ouvrages déjà parus la Fondation espère ainsi ajouter les récits de celles et ceux dont les voix sont restées jusqu’ici sans écho : souvenirs souvent enfouis au plus profond des mémoires individuelles ou familiales, récits parfois écrits mais jamais diffusés, témoignages publiés au sortir de l’enfer des camps, mais disparus depuis trop longtemps des rayons des bibliothèques.
Si quelqu’un seul ne peut décrire l’indicible, la multiplicité des récits peut s’en approcher.
En tout cas, c’est l’objectif que s’assigne cette collection à laquelle la Fondation, grâce à son Comité de lecture composé d’historiens et de témoins, apporte sa caution morale et historique.
Face à une actualité où l’instrumentalisation des conflits divers tend à obscurcir, confondre et banaliser ce que fut la Shoah, cette collection permettra aux lecteurs, chercheurs et étudiants de mesurer la spécificité d’une persécution extrême dont les uns furent acteurs, les autres, complices, et face à laquelle certains restèrent indifférents et les autres héroïques.
Puissent ces ouvrages inspirer à leurs lecteurs le rejet de l’antisémitisme et de toute autre forme d’exclusion, ainsi que l’esprit de fraternité.

Consultez le site Internet de la FMS : www.fondationshoah.org


Comité de lecture de la collection
Serge Klarsfeld, président
Isabelle Choko, survivante de la déportation
Alexandre Doulut, historien
Katy Hazan (OSE), historienne
Michel Laffitte, historien
Dominique Missika, historienne
Denis Peschanski, historien
Annette Zaidman, enfant cachée
Philippe Weyl, responsable de la collection














Correction : Laurence Beilvert


Voir les autres titres de la collection en fin de volume, pages 569 à 572.


Avant-propos
Les Gryner : des immigrés méconnus. De la famille
au groupe, par le Dr Richard Prasquier p. 11

Les Gryner et la Pologne, par Jean-Charles Szurek p. 53

Gryner ! , par Henry Battner p. 63





Richard Prasquier dans les bras de sa maman, Gdansk, 1946.



Les Gryner : des immigrés méconnus. De la famille au groupe
par le Dr Richard Prasquier



Le 25 mai 2015, ma mère était enterrée au cimetière de Bagneux. C’était une dame de 95 ans, que l’Alzheimer avait coupée des visites extérieures depuis longtemps, mais l’assistance était nombreuse, tous rappelant son charme, son énergie et surtout ses yeux bleus auxquels elle-même attribuait d’avoir survécu à Varsovie sous couvert de papiers « aryens ». C’est en comptant sur eux qu’elle était allée réclamer la libération de sa colocataire prise dans une rafle. À la police (la granatowa policja , « police bleu marine », police polonaise sous le contrôle des Allemands), ma mère assura « sous sa propre responsabilité » que cette dernière n’était pas juive. Elle eut gain de cause et la colocataire, évidemment juive, m’a confirmé l’épisode soixante ans plus tard.

L’aspect physique jouait un rôle important dans la survie. Une parente m’avait raconté que, cherchant avec sa fillette une chambre à Varsovie du côté « aryen », elle avait essuyé des refus parce que l’enfant avait « un air triste, comme si elle était juive ». On avait ou pas le « type juif » et le diagnostic des Polonais était bien plus affiné que celui des Allemands. Devant la police, les hommes avaient un handicap : la circoncision servait de pièce à conviction. Mon père subit ce contrôle sous un porche à Varsovie, en janvier 1944, et fut embarqué par la Gestapo. Lorsque, en 1957, je demandai à être circoncis et à faire ma bar-mitsva, il téléphona en Pologne et en Israël à ses deux ou trois amis de guerre pour leur demander leur avis : son fils « était devenu fou ! » Je n’ai eu connaissance de cet appel que quarante ans plus tard, dix ans après une autre bar-mitsva, celle de l’aîné de nos fils, au cours de laquelle mon père était mort subitement. Il avait donc vécu hanté par l’idée que tout pouvait recommencer ; mais il avait voulu ne pas transmettre son angoisse et ne m’a jamais fait aucune remarque personnelle.

On déposait ma mère dans le caveau familial où elle rejoignait son mari, sa mère, une petite fille et l’inscription en mémoire de sa famille (père, frère, grands-parents) et de celle de son mari (parents, frère et sœur) sans que cette inscription, comme il était de coutume à l’époque où elle fut gravée, indiquât les mécanismes et les lieux de leurs morts. De fait, il y avait quelques erreurs sur la plaque. Le frère aîné de mon père, par exemple, avait été tué en tant que soldat polonais dans la guerre contre les Allemands, en 1939, et n’était donc pas une victime de la Shoah. Ma mère avait refusé toute modification. C’étaient les nazis et cela s’était passé en Pologne. Le reste était sans importance.

Ma mère avait passé vingt-cinq ans en Pologne et soixante-dix en France, mais la Pologne était bien présente à son enterrement. Quelques dames amies, évidemment très âgées, venues avec leurs gardes-malades, toutes polonaises, comme celle qui s’était admirablement occupée de ma mère pendant de longues années. Mais il y avait surtout les « jeunes », septuagénaires, nos amis à mon épouse et moi. Certains, perdus de vue depuis longtemps, étaient venus en souvenir de leur jeunesse. Un point leur était commun : la grande majorité de leurs parents avaient quitté la Pologne dans l’après-guerre.
Ils étaient arrivés sans argent, sans métier et sans langue, lourds de leur passé et de leurs accès de terreurs nocturnes. Pour ce que je connais de leur vie en France, de leurs enfants, leurs petits-enfants et leurs arrière-petits-enfants aujourd’hui, de leur propre succès matériel et de la cohésion de leurs descendants, leur réussite fut exemplaire.
De leurs faiblesses ils avaient fait des forces. Eux dont les familles avaient été assassinées ont créé en réaction à une solitude insupportable des couples souvent arrangés à toute vitesse, adossés à des histoires de vie mutuellement partageables : sur ces bases fragiles, ces couples se révélèrent remarquablement stables. Leurs enfants ont été leur boussole : avant tout, leur éviter ce par quoi eux-mêmes étaient passés. La réussite matérielle était un moyen d’améliorer les chances en cas de nouvelle flambée, car qui n’avait pas d’argent pendant la guerre avait beaucoup moins de chances de survivre. J’étais fils unique, la firme textile, sous le sigle « les Trois Éléphants », s’appelait les Établissements Richard , mon père était appelé M. Richard et ma mère M me Richard par leurs correspondants professionnels. J’ai été en quelque sorte le père de mes parents, c’est dire si la famille était fusionnelle. Mais, en me rappelant ceux qui étaient venus au cimetière ce jour-là, je pense que je n’étais pas le seul.

Mon père exhibait avec fierté mes bulletins scolaires à ses amis. Il ne voulait surtout pas, et je ne l’envisageais pas, que je reprenne l’entreprise de prêt-à-porter. Ce métier, il ne l’aimait pas, il avait été obligé de le faire pour survivre en France, alors que, sa matura (« baccalauréat ») polonaise en poche, il aurait dû avant la guerre prendre le bateau, rejoindre son oncle médecin à Brooklyn et entamer ses études de médecine. C’était prévu pour octobre 1939, la guerre a éclaté en septembre. Mon père n’est pas parti. Il a passé des années dans l’après-guerre à attendre qu’arrive pour ma mère et moi un visa pour lequel son oncle – qui fut notre « oncle d’Amérique » et que, à tort, je croy

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