L homme vivant et le matérialisme imaginaire
320 pages
Français

L'homme vivant et le matérialisme imaginaire , livre ebook

-

320 pages
Français

Description

Les Modernes se définissent par l'assomption de l'individu. Les Modernes raniment la tradition gnostique qui est aux deux limites du matérialiste imaginaire : les uns disent savoir le mal latent et s'en prémunissent par l'abstention : pas de métaphysique de la recherche du Bien ; pas de mystique de la pureté ; pas d'utopie du bonheur. Les autres, ceux qui ont succombé aux imaginaires délirant de l'homme puissant, ont produit du monstrueux qui mène au néant. Où est, dans cette triste perspective, l'"homme vivant" ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2008
Nombre de lectures 72
EAN13 9782296210493
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

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Extrait

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Ce n’est pas la recherche du plaisir et l’aversion de l’effort qui
produisent le péché, mais la peur de Dieu. On sait qu’on ne peut
pas le voir face à face sans mourir, et on ne veut pas mourir. On
sait que le péché nous préserve très efficacement de le voir face à
face : le plaisir et la douleur nous procurent seulement la légère
impulsion indispensable vers le péché, et surtout le prétexte, l’alibi
encore plus indispensables. Comme il faut des prétextes pour des
guerres injustes, il faut des faux biens pour le péché, car on ne peut
soutenir la pensée qu’on va vers le mal. La chair n’est pas ce qui
nous éloigne de Dieu, elle est le voile que nous mettons devant nous
1pour faire écran entre Dieu et nous .
«La relation entre Moi et Autrui n’a pas la structure que la
logique formelle retrouve dans toutes les relations. Les termes
en demeurent absolus malgré la relation où ils se trouvent. La
relation avec Autrui est la seule où pareil bouleversement de la
logique formelle puisse survenir. Mais dès lors on comprend que
l’idée de l’infini qui exige la séparation, l’exige jusqu’à l’athéisme,
2assez profondément pour que l’idée d’infini puisse s’oublier .»
0
1. Simone Weil, La Pesanteur et la Grâce, Paris, Plon, 1948, p. 67.
2. Emmanuel Lévinas, Totalité et infini, Paris, Le Livre de poche, 1994, p. 197.Riviale•homme vivant 6/10/08 16:49 Page 8Riviale•homme vivant 6/10/08 16:49 Page 9
ARGUMENT
es hommes sont les mêmes à toutes les époques, quoiqu’enLchacune on s’imagine l’unique et l’authentique manifestation de ce
que peut être l’humanité, ou les humanités diverses qui coexistent. On
nous raconte les (més-) aventures des hommes d’autrefois, pris dans
les rets de l’ignorance, de la superstition, des croyances imposées. Nous
ressentons parfois entre deux marchandises, l’une symbolique et
l’autre signifiante, quelque nostalgie pour l’âge d’or et quelque crainte
pour l’âge de la rouille. Il y eut une fois un dialogue engagé entre des
hommes et leur Dieu. Ce dialogue avait de particulier que ce Dieu
était vrai et pourtant caché aux hommes. Puis vint un fils de l’homme,
qui déclara être venu pour traduire ce que les hommes ne
comprenaient pas. Autant que nous sachions, il s’exprimait en paraboles et
parfois en énigmes : comprenne qui peut. Tout soudain une secte le
déclara parfait et saint, finalement il passa pour Dieu lui-même. Une
Église fut édifiée sur cette croyance en Dieu révélé et par
malencontre, cette Église fit la conquête de l’État d’alors, qui était un Empire.
Cela se passait aux confins de l’Occident, futur antre où furent forgés
les hommes modernes. De main en main l’Empire continua,
carolingien, habsburgeois, puis les rois parurent qui se donnèrent des nations,
et ces nations devinrent des États oppresseurs, à la recherche de moyens
de domination efficaces, ce que fut l’invasion de l’économique,
civilisation conquérante. D’autres civilisations furent conquérantes et
d’autres encore ne le furent pas – on lira La Société contre l’État de Pierre
Clastres pour mieux comprendre. Certaines virent leur expansion
contrecarrée par plus forts ou plus agressifs : les Aztèques par les
Espagnols. Nombre de bricoleurs que je ne citerai pas ici élaborèrent des
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Philippe Riviale
«théories» ad hoc pour expliquer la formation des Empires,
l’extinction de la fureur de vaincre, l’amollissement des conquérants et aussi
la supériorité de l’acier suédois sur le fer russe. Ces « théories » ne
souffrent que des erreurs grossières qu’elles font passer avec la médication :
ainsi les navires de guerre français furent mieux construits que ceux de
ela Grande-Bretagne au XVIII siècle, ce qui n’empêcha pas cette dernière
de conquérir la maîtrise des mers. À ce propos il est nécessaire de
mettre au clair deux « théories » égales en arbitraire et en faute de
jugement : celle de l’irréversibilité en histoire, celle des effets émergents
en sciences sociales. Pourquoi l’Empereur de Chine suspendit-il un
jour pour une durée indéterminée le départ des navires de commerce
chinois et l’arrivée de navires étrangers? Il eut des raisons que
d’habiles équationnistes mettraient en modèle, une fonction multivariée de
«la situation de la Chine», fonction intégrant la dimension
dynamique bien sûr. Après quoi ces admirables modélistes calculeraient les
dérivées partielles de toutes les variables, jusqu’à trouver la bonne, celle
qui fut la cause et que l’Empereur travestit sans doute sans savoir. En
2006 on reconstruit à l’identique en Chine le dernier navire marchand,
celui qui ne partit jamais : il y a des raisons à cela. Les effets émergents
débarrassés du verbiage universitaire se réduisent à ceci : les acteurs
individuels ou collectifs n’atteignent pas les objectifs qu’ils s’étaient
fixés en passant à l’acte. C’est très intéressant, d’ailleurs la sagesse des
nations connaissait ce genre de surprises : Tel qui rit vendredi, dimanche
pleurera ou Tel est pris qui croyait prendre. Cette même sagesse dit aussi la
raison du plus fort est toujours la meilleure, ce qui ne va pas dans le bon
sens de l’effet émergent. Sans doute les adorateurs de ce mécanisme
imprévisible ont-ils oublié que les instants se succèdent, c’est-à-dire
héritent de leurs prédécesseurs. Quant à bâtir là-dessus un univers
probabiliste non-probabilisable dans lequel les actions sont dénuées
de sens du fait des interférences, c’est oublier l’essentiel : passer à l’acte
ne requiert pas nécessairement une intention bien arrêtée quant au
résultat. On agit souvent par défaut ou par peur, par calcul fondé sur
l’ignorance de soi, des autres, des chances de réussite et ainsi de suite.
Cependant ce Dieu unique, qui ne fut pas un apax, songeons au
Zoroastrisme, au bouddhisme – peu importe que ce fussent ou non
des religions, suscita de profondes interrogations. Là encore, on peut
voir dans le passé nombre de ratures, tel le socianisme, qui fut une
hérésie radicale : Trinité, divinité de Jésus, péché originel, sacrements et
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L’homme vivant et le matérialiste imaginaire
mystères sont rejetés. Fausto Socin (1540-1604), héritier des écrits de
son oncle Lélio Socin, voit en Jésus un homme inspiré, qui meurt en
exemple pour les hommes, non pour l’expiation d’un supposé péché
originel. Baptême et communion étaient acceptés comme moyens
de vivre sa foi. La justice rétributive mène à une «privation de Dieu».
Les sociniens furent pourchassés par l’union sacrée des Catholiques et
des Réformés.
Bien des penseurs, religieux et philosophes, cherchèrent à connaître
ce Dieu, tandis que d’autres en démontraient l’impensable. L’Église
alors – ou plutôt les Églises refermèrent le livre du dialogue, et la foi
en Dieu devint une obligation civile. La pluralité des Églises, celles qui
avaient droit de cité et celles qui ne l’avaient pas étouffèrent les doutes,
sous la diffamante appellation d’athée. Puis vinrent, comme si c’était
le chemin promis vers le règne de Dieu, le progrès et la raison
nouveaux guides longtemps empêchés de mener les hommes d’Occident.
Alors il se fit un passage, comme un nouveau miracle, une traversée de
la révélation : ce n’était plus Dieu qui paraissait en son mystère, mais
les hommes en leurs prouesses. Et celles-ci furent accomplies au nom
de Dieu, d’autant plus indiscutable désormais que la foi s’était
évanouie, non sous les coups de l’athéisme mais sous la douce
pesanteur du matérialiste que chacun trouvait en lui, sommeillant encore
sous les astres. De là vint au monde une mutation, comme la
confirmation des sectateurs de la raison et du progrès : l’homme privé, vanté

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