La haine de la solitude
191 pages
Français

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La haine de la solitude , livre ebook

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Description

Le tome 2 de la Généalogie de la solitude en Occident commence au moment où l'image de Dieu se trouble dans l'esprit des hommes et où la solitude se dépouille de la transcendance dont l'avait paré le catholicisme. Intégrée par les Lumières aux problématiques entrelacées de la Nature et de la Liberté, la solitude conserve néanmoins l'ambivalence héritée du christianisme : la modernité rend-elle l'individu autonome ou bien l'affaiblit-elle en le soustrayant à ses groupes d'appartenance historique ?

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Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2011
Nombre de lectures 60
EAN13 9782296801585
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La haine de la solitude
© L’Harmattan, 2011 5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-54229-7 EAN : 97822965422897
Thierry GinestousLa haine de la solitude Généalogie de la solitude en OccidentTome 2 De Rousseau à HouellebecqL’Harmattan
Ouverture philosophique Collection dirigée par Aline Caillet, Dominique Chateau, Jean-Marc Lachaud et Bruno Péquignot Une collection d'ouvrages qui se propose d'accueillir des travaux originaux sans exclusive d'écoles ou de thématiques.Il s'agit de favoriser la confrontation de recherches et des réflexions qu'elles soient le fait de philosophes "professionnels" ou non. On n'y confondra donc pas la philosophie avec une discipline académique ; elle est réputée être le fait de tous ceux qu'habite la passion de penser, qu'ils soient professeurs de philosophie, spécialistes des sciences humaines, sociales ou naturelles, ou… polisseurs de verres de lunettes astronomiques. Dernières parutions Fatma Abdallah AL-OUHIBI,L’OMBRE, ses mythes et ses portées épistémologiques et créatrices, 2011. Dominique BERTHET,Une esthétique de la rencontre, 2011. Gérald ANTONI,Rendre raison de la foi ?,2011. Stelio ZEPPI,Les origines de l’athéisme antique, 2011. Lucien R. KARHAUSEN,Les flux de la philosophie de la science e au 20 siècle, 2011. Gérald ANTONI,Rendre raison de la foi ?,2011. Pascal GAUDET,L’anthropologie transcendantale de Kant, 2011. Camilla BEVILACQUA,L’espace intermédiaire ou le rêve cinématographique, 2011. Lydie DECOBERT,On n'y entend rien. Essai sur la musicalité dans la peinture, 2010. Jean-Paul CHARRIER,La construction des arrière-mondes. La Philosophie Captive 1, 2010. Antoine MARCEL,Le taoïsme fengliu, une voie de spiritualité en Extrême-Orient, 2010. Susanna LINDBERG,Entre Heidegger et Hegel, 2010. Albert OGOUGBE,Modernité et Christianisme. La question théologico-politique chez Karl Löwith, Carl Schmitt et Hans Blumenberg, 2010. Hervé LE BAUT, Présence de Maurice Merleau-Ponty, 2010.
RESUME DU TOME 1
Nous avons suivi dans le premier tome de notreGénéalogie de la solitude en Occidentcomment la solitude était passée de l'état héroïque à l'état religieux. L'expression « état héroïque » renvoie à son origine mythique, c'est-à-dire celle qui, dans le récit homérique, distingue dans un premier temps le héros du simple mortel (Iliade)puis, dans un second temps, le mortel d'exception du mortel ordinaire (Odyssée). Bien entendu, cette descente d'un état initialement réservé au héros vers le bas de la pyramide anthropomorphique se poursuivra par des voies diverses hors du texte homérique. Avec la tragédie, la solitude est mise publiquement en scène et devient un miroir dans lequel les citoyens peuvent contempler leur condition d'hommes libres face aux dieux d'un côté qui, le plus souvent, les méprisent, et face aux esclaves de l'autre qu'ils méprisent à leur tour, par compensation. Au seuil des temps modernes, la littérature enregistre cet autre palier où l'homme décide de continuer sans eux sa propre Odyssée. A partir de ce moment, la solitude s'apprête à devenir une affaire terrestre, avec les avantages et les inconvénients que supposera une telle réduction. Entre temps, une autre aspiration à la solitude se sera immiscée dans l'esprit des hommes. Réaction légitime de la raison face à ces dieux hautains qui peuplent encore son imaginaire, elle emprunte avec le sage les voies d'une exigeante introspection métaphysique. Se détournant des belles images et des récits haletants que la mémoire grecque a accumulés durant des siècles, l'ascèse platonicienne enjoint d'éteindre les écrans de l'imagination et de faire enfin silence au plus profond des consciences. Derrière les illusions de ce monde dont les héros et les dieux eux-mêmes font partie se dévoilera alors une sur-réalité qui est celle de la permanence des êtres et des idées éternelles. C'est celle de la vraie beauté, opposée à celle, mensongère, des mythes. Mais le gouffre ouvert par l'idéalisme est trop profond, le vide bien trop grand pour l'homme sans qualités qui reste, faute de mieux, attaché aux belles légendes que les mythes racontent, encore et toujours, pour apaiser son angoisse face à la mort. Jusqu'à ce qu'une spiritualité nouvelle l'invite à affronter cette obscure béance au fond de laquelle l'âme est engloutie, comme Jésus l'a fait en mourant sur la croix,
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abandonné des hommes, abandonné de ses proches, abandonné de son Père. Abandonné de tous. Avec le christianisme, l'âme cesse d'être cette beauté froide et immobile célébrée par Platon que seuls les esprits les plus nobles pouvaient contempler. Elle s'emplit dans un même élan de cette souffrance infinie qui a assailli Jésus à l'instant de son agonie mais aussi de cette espérance inouïe de la résurrection de chaque corps à travers le souffle divin qui l'anime. L'âme ne fuit plus le monde mais se tourne de nouveau vers lui, rassemblant tous les hommes dans une même foi universelle fondée sur une loi simple et unique : celle de l'amour du prochain, universelle car à la portée des plus humbles. La figure rayonnante du saint exécuté par des foules en liesse, toujours aussi avides des illusions que leur prodigue le monde, s'impose ainsi comme l'agent historique de cette rupture par rapport aux castes guerrières héritées de la tradition héroïque mais aussi par rapport à l'aristocratie de la pensée qui avait fini par s'allier avec les premières. Avec la figure paradoxale du saint-martyr, à la fois animé d'une toute puissance intérieure et victime d'une faiblesse absolue face au monde viril des héros, la solitude apparaît comme l'état physique et spirituel de l'homme ordinaire en attente de Dieu. Le retrait provisoire du monde du péché annonce sa rédemption dans l'amour et la lumière de Dieu. Indifférent aux exploits guerriers comme aux prouesses intellectuelles, l'état de solitude devient ce face-à-face anonyme, engagé devant Dieu depuis ce monde-ci, enragé et corrompu. Toutefois, du fait même de l'extrême individuation d'une âme, pourtant impersonnelle par essence, qui nourrit la dynamique interne de sa spiritualité, l'Eglise catholique s'efforcera à travers les siècles de son expansion à canaliser cette effervescence mystique qui agite de l'intérieur chacun de ses fidèles. Le risque d'atomisation est de ce point de vue trop aigu pour laisser chaque conscience engager le redoutable face-à-face pour son propre compte. Le but est alors d'investir ce for intérieur augustinien qui est à la fois la source de la foi mais aussi l'antre au sein de laquelle la Bête s'est repliée depuis son intrusion désastreuse dans l'Eden. Le catholicisme sera donc cet effort qui consistera à réintégrer chaque âme infestée par le Mal dans la totalité du monde créé par Dieu de toute éternité. Un peu à l'image de certaines spiritualités orientales, il établira chemin faisant les rites d'une mystique individuelle (la pénitence, la confession auriculaire suivie de l'acte de contrition, la prière à voix basse, la lecture des textes péri-sacramentaux) sauf que l'horizon de cette
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purification sera de sauver le monde et non pas de s'en arracher dans l'espoir d'accéder à un état supérieur de conscience. Au contraire, l'humilité à l'égard du monde créé ne cessera d'être son crédo. Dans cette direction, la solitude-retrait impulsée par le catholicisme primitif se nourrit à la Renaissance de la solitude éclairée que le poète célèbre au contact des œuvres, ouvrant ainsi l'horizon européen à la culture humaniste qui constitue une espèce d'âge d'or de la solitude transcendantale, à la fois savante et en paix avec Dieu. Mais la question métaphysique de la grâce et plus généralement de la nature de l'amour divin, qui se place au centre de cette quête humaniste, se voit bientôt happée par les fracas du siècle. Les enjeux diplomatiques, politiques et même économiques se mêlent alors aux interrogations théologiques et provoquent cette nouvelle rupture que l'Eglise Apostolique et Romaine redoutait tant depuis le premier schisme. La condamnation de l'Eglise établie par les Réformés remet en cause l'écart métaphysique sur lequel la mystique chrétienne avait pris son élan puis nourri la spiritualité catholique à travers les siècles. Cet écart était celui qu'habitait intégralement l'Eglise officielle entre monde extérieur et quête intérieure mais que le recours à une « Eglise invisible » repousse à son tour du côté du Malin, celui de la dissimulation et du mensonge. La solitude cesse alors d'être ce retrait-du-monde que recherchait le moine dès les premiers siècles du christianisme, comme le fidèle lettré de la Renaissance, et devient la condition ordinaire du pécheur placé face à sa faute. L'extériorisation de la culpabilité que porte la doctrine de la prédestination détourne alors l'attente mystique hors des ses cadres religieux historiques, l'orientant vers cette mystérieuse raison apparue dans le sillage de la solitude humaniste, laquelle enregistre une nouvelle phase de désacralisation qui l'ouvre pour les siècles suivants à la modernité. Ce palier est décisif car il coïncide avec le basculement de la solitude dans la trivialité des corps et la confusion des états sociaux alors qu'elle avait été considérée jusqu'alors comme une valeur transcendante et un modèle de vie. C'est donc l'histoire de ce renversement que se propose d'explorer maintenant le tome 2 de notreGénéalogie de la solitude en Occident.
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1 – L’âge philosophique
Solitude de l’individu
Bibliographie organique
Buffon,Discours sur le style, 1753 Rousseau,Emile, 1762 ;;Rêveries d’un promeneur solitaire, 1778 Confessions, 1789 Goethe,Les souffrances du jeune Werther, 1774 Kant,Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolite, 1784 Sade,La philosophie dans le boudoir,1795 Tocqueville,De la démocratie en Amérique, 1840 Chateaubriand,Mémoires d’outre-tombe, 1841 Rimbaud,Une saison en enfer,1873 Nietzsche,Ainsi parlait Zarathoustra, 1885 ;Généalogie de la morale, 1887
La période qui s’ouvre avec les Lumières et se poursuit jusqu’au début du XX° siècle est celle durant laquelle la modernité s’impose définitivement en Occident. En ce qui nous concerne, cela signifie que la raison va prendre le relais de la foi dans la relation que l’homme instaure avec le monde. Ce mouvement de sécularisation dont l’Eglise s’est efforcée de garder le contrôle durant les siècles précédents va se poursuivre désormais sans elle et assurer la promotion de l’individu en quête de liberté en lieu et place du chrétien en quête de rédemption. L'individu devient donc la nouvelle incarnation de cette solitude-dans-le-monde dont nous tentons de reconstituer la généalogie. C’est cette profonde mutation anthropologique qui conduit les philosophes à s’interroger pour la première fois sur la question de la solitude qu’ils appréhendent néanmoins sur le mode transitif, c’est-à-dire de l’homme par rapport à Dieu, à la Nature et finalement à ses semblables. De ce nouveau questionnement émerge le concept de « société » qui se substitue à l’ancien monde religieux au fur et à mesure de la dislocation de celui-ci par l’esprit scientifique. Face au processus de
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désagrégation des vieilles conceptions « totalisantes » du monde, c’est l’énergie qui va s’imposer comme l’ultime principe unificateur en lieu et place de la foi. Elle est chargée en effet de raccorder entre eux les multiples plans de connaissance que l’exploration empirique a ouvert dans la totalité de l’ancien monde religieux en même temps qu’elle semble relier l’intériorité individuelle à l’extériorité d’un monde à la fois instable et réduit aux limites de la société. La solitude-dans-le-monde subit fatalement les effets d’une telle réduction, somme toute assez soudaine, de l’ancien monde religieux en société. C’est le sens métaphysique attribué à la solitude qui s’en trouvera profondément bouleversé dans la mesure où, pour la première fois de son histoire, l’homme occidental s’apprête à envisager sa condition de mortel sans arrière-monde transcendantal, étant entendu que même pour les premiers matérialistes la nature en demeurait un, malgré tout. L’idée d’une liberté consubstantielle à la condition humaine jaillira de cet effroi dont naîtra le grand mouvement romantique. La figure du génie prendra alors place aux côtés des autres archétypes de la solitude, ceux déjà rencontrés du héros, du prophète, du poète et du saint.
Les angoisses de la raison
Un thème insolite apparaît de façon récurrente dans la littérature paramédicale française du XVIII° siècle : celui des « inhumations 1 précipitées » . Abordé du point de vue scientifique (il s’agit surtout de les prévenir), il traduit une phobie inconnue des âges antérieurs et un état profond de la psychologie collective qui peut surprendre en ce siècle de raison triomphante. Comme toujours concernant l’opinion, cette peur se nourrit de quelques faits avérés qu’une sensibilité exacerbée hypertrophie jusqu’au fantasme. Bien sûr, avec les avancées de la science médicale, la frontière entre la vie et la mort a bougé, et on sait dorénavant que le « dernier souffle » ne suffit plus à précipiter un moribondad patres, même après avoir exécuté avec la plus grande piété les veillées de rigueur ; que tout désormais repose sur le cœur et ses battements
1  Citons parmi les essais les plus diffusés alors,Dissertation sur l’incertitude des signes de la mort et l’abus des enterrements et embaumements précipités, de J.J. Bruhier, 1742 ;réflexions sur le triste sort des personnes qui, sous une apparence de mort, ont été enterrées vivantes, J. Janin, 1772 ;Des inhumations précipitées, S. Nécker, 1790.
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mystérieux, sur les circulations souterraines et silencieuses du sang sous les tissus et les chairs ; que plus rien ne se déroulera en surface, comme jadis, quand la respiration était encore considérée comme le signe clinique de la vie de l’âme, seule entité à pouvoir décider de la vie et de la mort, du fait de son origine divine. De sa plongée dans la matière organique, l’observation médicale n’a rien rapporté de divin, le corps suffit au corps, il est sa propre limite, sa propre profondeur, sa propre transcendance. Les anciens se fourvoyaient qui cherchaient dans le souffle une justification de la vie extérieure à elle-même. Auto-suffisante, celle-ci se nourrit au contraire de ses seules forces et adhère de façon bornée à l’évidence de ses organes, unifiés sous l’autorité systolique du cœur. Rien d’aérien dans tout cela, rien d’inspiré, aucun « foyer de l'âme » : que du sérieux et du laborieux, de la chair, du sang et des tissus. De la viande. On veut bien comprendre l’effroi rétrospectif qui a alors saisi les esprits prompts à imaginer ces pauvres moribonds enterrés vivants ou claquemurés dans leurs cercueils et prenant conscience, ne serait-ce que l’espace de quelques infinies secondes, les dernières, de leur épouvantable fin. Plus généralement, les inhumations précipitées rappellent que le tournant matérialiste de la médecine n’a pas consisté en un saut joyeux et délibéré de l’ignorance au savoir mais qu’il fut plutôt comme un chemin effrayant que l’on suit à tâtons dans l’obscurité. Un siècle plus tôt, les peintures de Rembrandt annonce cette atmosphère de fébrilité inquiète dans laquelle baigne la science médicale quand elle se lance dans l’exploration du corps humain. Pour saisir cet état d’esprit, voyez comment le grand maître flamand peint pareillement les dissections, les autoportraits, un bœuf écorché : au plus près de la matière et des ténèbres, où chaque pouce de lumière s’offre comme le gain d’une lutte âpre et acharnée, incertaine, obtenu par un esprit encore animé d’une force intérieure ; non, ne cherchez pas la source lumineuse ailleurs que dans la foi du peintre, vous ne la trouverez pas. Si Rembrandt a peint de la même manière les vivisections et les autoportraits, c’est bien sûr qu’il décelait entre le peintre et l’anatomiste une cause commune, à savoir la même quête angoissée d’une limite de l’homme, en même tant qu’un siège tangible de l’humanité, qu’on eût pu exhiber à la face du monde pour se défaire définitivement de la condition animale et de la pesanteur organique. Protestant mennonite, le peintre est en effet obsédé par le mystère de la limite ; où finit le profane, où commence le sacré :
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