Les amazones font la guerre
247 pages
Français

Les amazones font la guerre , livre ebook

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247 pages
Français

Description

Pourquoi les philosophes ont-ils si peu parlé des Amazones ? En interrogeant les conditions idéologiques de la recherche scientifique, cet ouvrage entreprend la lecture critique d'un mythe patriarcal, du héros, de l'homme, du mari, du père, dont nous avons une vague idée, mais que nous ne connaissons pas.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2009
Nombre de lectures 67
EAN13 9782296246270
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LESAMAZONESDUPATRIARCAT
1«Comme si lesAmazones ne pouvaient pas être grecques.»
Les Amazones du Mythe, cette parole, figurent avanttout l’opposition des
hommes aux femmes. Car celles dont on parle tombent aussi sous les feux des
uns et des unes, leur mythe se réinscrivant au milieu d’un champ de bataille
sans nom ; elles sont prises dans le filet textuel avec ses chaînes langagières,
dans le pièged’un récit fondateur qui les dit enEnnemi plus ou moins figurable.
Une écoute libre de ce récit fait entendre un différend qu’il a fallu mettre en
mots sur lesbasesd’une histoire disant tantôt lesAmazonescomme des femmes
renommées et tantôt comme des femmes mal famées, infâmes même. Des
études grecques perpétuaient leur mauvaise réputation, au vu desquelles
l’Histoire –de France –devait reprendre ses droits : «Démêler l’histoire du
mythe, faire le tri du vraisemblable, découvrir sous l’affabulation un noyau
historique primitif, une origine socio-historique de la légende, c’est, pour ceux
que fascinent les récits grecs sur ces femmes sans hommes, tueuses de mâles,
une tentation toujours renouvelée.Et nous n’avons nullement l’intention de les
écarter.Maisavecbeaucoupd’autres, n ous pensons que le seul trajet intéressant
à travers le pays des Amazones est une reconnaissance de l’imaginaire –
assurément d’un imaginaire grec. Et s’il faut donner aux histoires d’Amazones
2un référent dans le réel, nous le trouverons dans la cité grecque elle-même ».
Cette profession de foi visait entre autres celles qui perturbaient l’écoute
silencieuse d’un cours professoral par des invocations bruyantes à un royaume
fictif du passé, des dilettantes et militantes se mêlant d’histoire et préférant la
contestation facile à l’effort scolaire ; cette lecture partagée par une catégorie
d’universitaires français se retrouvait dans les commentaires évoquant
périodiquement le cauchemar amazonien, pour dire «le cauchemar de
3l’imaginaire grec » et redire «le cauchemar mythologique, historique des
4hommes ».
1R.TRIOMPHE,Le lion, la vierge et le miel,Paris,«LesBellesLettres », 1989, p. 293.
2J.CARLIER, «LesAmazones font la guerreet l’amour », L’Ethnographie, 1980-1981,Vol. 74,
p. 11.
3P. SCHMITT-PANTEL,«Dela construction de la violence en Grèce ancienne: femmes
meurtrières et hommes séducteurs », in De la violence et des femmes (sous la dir.deC.Dauphin
etd’A.Farge),Paris,Bibliothèque histoireA.Michel, 1997, p. 31.
4Ph. CHESLER, Les femmes et la folie, Trad. de l’américain par J.-P. Cottereau, Paris, Payot,
1975, p. 244.
5Adrienne Rich tirait habilement le fil directeur du mythe amazonien:
« "L’Amazone" suggère de manière trop étroite la vierge guerrière qui a
5renoncéà tous liensavec les hommes sauf pour la procréation ».Ainsi
pointaitelle cette définition minimale, réductrice: une femme qui fait la guerre, qui
exploite les mâles quand elle ne les extermine pas. Une telle définition excitait
la peur qu’ellecommuniquait, valant àcelle qui s’en saissait l’accusation d’être
elle-même uneAmazone ; mais la poétessenecédait pas:«Ilest ironique, pour
dire le moins, que la première attaque verbale lancée contre la femme qui
exprime vis-à-vis d’elle-même et d’une autre femme un sentiment de respect la
6dise "haïr les hommes".» C’est ainsi que court le bruit d’Amazones ennemies
des hommes, jamaisceluid’hommesennemisdesAmazones.
Figurecentrée surcellede l’homme grec, lesAmazones disent de lui plutôt que
d’elles et lui renvoient en seconde lecture son image narcissisée.Remettant sur
le métier le mythe tissé et retissé par les hommes pour s’officialiser en
sempiternels vainqueurs, la lecture s’emploie à tirer au clair le motif polémique
d’un texte meurtrier dont elle délie la langue qui mène de fil en aiguille à sa
trame imaginaire età un discoursau projet philosophique daté ; se dessinealors
un autre schéma que celui, géométrique, qui exclurait les Guerrières du centre
politique comme si elles n’avaient jamais représenté pour les Grecs le sujet
central de leurs préoccupations, comme si elles n’avaient pas donné du fil à
retordre aux concepteurs de la Cité. Obsessionnelle selon un texte épris de
virilité, la figure amazonienne précipite lecteurs et commentateurs dans une
bagarre inouïe, comme si le processus mythique ne parvenait pas à en
découdre ; figure d’un imaginaire menaçant, elle traverse l’espace et le
temps du récit comme un vecteur qu’un ordre masculin voudrait arrêtersans
que lesAmazones trouvent place là où l’ondésirerait qu’ellesen occupent une:
ailleurs.
L’enquête s’ouvre sur la monumentale Iliade de laquelle se déversent des flots
d’images abreuvant la paroleintarissable des mythographes historiens et
voyageurs, premier chapitre concernantune mythologie qui ne se figure que la
guerre. En deux temps trois mouvements, les fils de Zeus du patriarcat
conquérant deviennent «les enfants d’Athéna » du patriarcat établi. Quatre
5A. RICH, Of Woman Born. Motherhood as Experience and Institution , Virago Book, Virago
Press 1977,London, p. 249.
6A.RICH,OnLies,Secrets,andSilence.SelectedProse 1966-1978 ,W.W.Norton&Company,
New York-London, 1979, p. 264. Sur l’injure d’être une Amazoneet ses explications, M.-Ch.
LEMARDELEY-CUNCI, Adrienne Rich. Cartographies du silence, Presses Universitaires de
Lyon, 1990, p. 191.
6premiers chapitres retracent cette voie jalonnée par quatre grandes figures
amazoniennes ‒celles des reines Myrina, Hippolyté, Penthésiléeet Antiope ‒
d’un discours ressassédont l’imaginaire actif supporte des revendications
contradictoires.Ainsi devrait-on seulement rendrecompted’unecitéde femmes
selon le mythe d’Héraklès figurantune préhistoireamazonienne et projetant un
amazonat sous l’espèced’une antérioritélogique c’est-à-dire comme alternatif
politique de la cité des hommes; un deuxième chapitre explore ce possible
inquiétant que la raison du plus fort juge impossible. Réfléchissant alors une
grécité à laquelle ne sont pas étrangères les mythiques guerrières, un troisième
chapitre questionne une filiation problématique que les récits propagentsous le
titre de «filles d’Arès ». Prenant actede leur consécration athénienne, un
quatrième chapitre déplie le scénario de leur fatale intégration à laCité
c’est-àdire de leur désintégration finale dans un texte filé d’Homère à Platon : celui
d’uneTroie dont le mythe laisse placeau roman selon unchamp optique donné
une fois pour toutes et qui dit la lutte de deux cités au nom d’un père.Un
cinquième chapitreprend en défaut ce mythe des hommes que le sein
amazonien figure douloureusement pour les femmes.
7I)L’IliadeETLESAMAZONES :L’OPTIQUEHOMÉRIQUE
«Depuis l’époqued’Homère au moins, les Grecs
racontaient que […] vivait un peuple de femmes
7guerrières, lesAmazones.»
Long poème composé de vingt-quatre chants dont chacun compte entre six et
sept cents vers, l’Iliade accorde bien peu de place à celles dont Achill e
combattit une de leurs illustres reines.Elles sont évoquéesau vers 814 duchant
II, au vers 189 duchant III et au vers 186 duchantVI. Homère en parle tantôt
directement tantôt indirectement ;dansce secondcasc’est-à-direcelui des deux
dernières occurrences, on entend parler d’elles mais on ne les voit pas.
Contrairement aux héros qu’on voit et entend, elles ne font jamais leur
apparition sur le champ d’honneur ; les Amazones homériques n’occupent pas
l’espace scénique. Dans ce récit tout en images, quasi-filmique, une épaisse
brume les recouvre ; on a beau les chercher, rien ne paraît d’elles et il n’est pas
sûr qu’essayer de voir plus près permette de voir plus clair en ce qui regarde ce
récit fondateur avec lequel il faut par conséquent prendre beaucoup de champ.
Les mailles du texte les capture, repoussées qu’elles sont dans des temps
obscurs en objet d’un lointain ouï-dire. Alors qu’on attendrait là leur venue,
elles s’effacent au regard de cette épopée qui les rejette dans l’ombre pour
mieux mettre en lumière les virils guerriers, de ce récit dont l’éclairage laisse
sur leur faim quicherche d’elles une illustration; on ne lesaperçoit pas dansce
tableau où tant de braves se distinguent. Elles entrent dans une histoireles
évoquant pour ne plus enparler, tombent sous les coups d’un discours qui les
met hors jeu et qui les associe chaque fois à la défaite. Car celui qui ne les
représente pas en dit suffisamment pour les

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