Un siècle d oubli, le XXe
240 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Un siècle d'oubli, le XXe , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
240 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

« Il s’agit du XXe siècle et du début du siècle suivant, déjà mal parti. Qu’en retenir ? J’ai fait appel à des événements connus, en m’efforçant souvent de dire ce qu’on ne dit pas d’habitude. J’y ai ajouté des épisodes personnels, que je suis parfois le seul à connaître (il en va de même pour nous tous). J’ai glissé, ici et là, une simple anecdote, une seule phrase, une drôlerie, qui parfois me semblait éclairante. L’ensemble fait un peu désordre, on dirait un siècle éparpillé, contrasté, où chacun a déjà oublié ce qui le gênait. Je me méfie des ouvrages d’histoire rectilignes, bien structurés, où la réalité, toujours complexe, a été mise en ordre, où les événements se succèdent dans une logique impeccable. Et c’est surtout, je crois, un livre sur l’oubli. Aucun de nous n’y échappe, aucune mémoire n’est infaillible, aucun regard n’est juste et clair. Chacun, parlant de son temps, pourrait écrire son propre livre. Voici le mien. » J.-C. C. En racontant le siècle avec drôlerie et gravité, le livre de Jean-Claude Carrière laisse entrevoir les contours d’une vie, celle d’un homme passionné et passionnant. C’est un privilège de redécouvrir notre époque à travers le regard et les mots de ce conteur exceptionnel. Scénariste, dramaturge, écrivain, Jean-Claude Carrière est l’auteur de grands succès comme Einstein, s’il vous plaît, Fragilité, Tous en scène, Croyance et, plus récemment, La Paix, La Vallée du Néant et Ateliers. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 30 septembre 2020
Nombre de lectures 3
EAN13 9782738153456
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , OCTOBRE  2020
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-5345-6
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Ce n’est qu’un siècle, une centaine d’années, presque rien dans la suite des temps ; le siècle où par hasard je suis né, j’ai vécu.
Un siècle parmi d’autres.
Le raconter, l’analyser, à plus forte raison l’apprécier, le juger, impossible. Les événements situés dans un temps défini – quel que soit ce temps, proche ou lointain – ne s’organisent jamais comme dans un roman, ou une comédie, ni ne s’immobilisent, ou se disposent, comme pour un peintre, ou un photographe. Ils forment une masse fluide, vague, inégale, désordonnée et perpétuellement discutée, d’où quelques épisodes et quelques images fortes surgissent, ici ou là, mais que tous les yeux ne voient pas semblables.
Et le temps ne va pas toujours à la même allure. Il y a des siècles plus longs que d’autres. D’autres plus lents, ou au contraire plus pressés d’en finir. Parfois, certaines époques, certains personnages semblent même avoir disparu, effacés par les années. Ils avaient pourtant tenu leur rôle, au premier plan.
Plus tard, les siècles qui succéderont à celui-ci – que je me suis parfois permis d’allonger d’une vingtaine d’années – ne l’arrangeront pas. Ils le façonneront, ils l’écriront – s’ils peuvent et veulent encore écrire – et le décriront à leur façon, dans un certain ordre, selon les peuples, selon les régimes, selon les modes de vie et les opinions du jour (en tenant compte du fait que nous nous estimons toujours supérieurs au passé, quel qu’il fût, même le nôtre, pour la bonne raison que nous le connaissons et qu’il nous a forcément ignorés), et nous ne serons plus là pour corriger, si faute ou mensonge il y a, tel ou tel récit.
Nul ne sait ce que l’Histoire fera de lui.
D’ailleurs, nul ne sait ce qu’est l’Histoire, cet ensemble de récits changeants, contradictoires, où l’on voit les statues des grands hommes d’autrefois déboulonnées aujourd’hui, parce que nous avons changé de coutumes et d’opinions.
Une chose reste certaine, pour le moment : ce siècle n’a cessé de se vanter, à juste titre, d’étonnants progrès dans la connaissance du monde et il fut, en même temps, le plus meurtrier, le plus destructeur de tous les siècles.
*
Nous avons tous, au cours toujours trop bref de notre vie, vu, lu, entendu certaines choses, participé à quelques actions – parfois infimes, parfois par hasard – dont nous pouvons dire, toutes précautions prises, qu’elles sont « vraies », qu’elles ne sont ni des mensonges, ni des erreurs, ni des illusions, qu’elles ont indiscutablement eu lieu, qu’elles ont appartenu à cette « réalité » que tant de philosophes – et de scientifiques – ont du mal à admettre, et même à définir ; de plus en plus de mal, d’ailleurs, avec l’invasion des réseaux sociaux, de l’intelligence artificielle, des transhumains , des plurivers et des faked news .
Ces actions, ou bien nous les avons vues, souvent de près, ou bien des amis dignes de confiance nous les ont racontées (ils en ont joui, ou souffert, ou même en sont morts quelquefois) ou bien – mais c’est plus rare – elles sont déjà connues, publiées parfois, souvent démenties, et assez fréquemment oubliées. Quelquefois, nous n’en recevons qu’un écho.
Nous voyons même, de nos jours, plusieurs historiens de renommée, apparemment sérieux, remettre en question l’histoire du monde, que nous avons toujours considérée, et enseignée, d’un point de vue européen – comme si tout était parti de nous. Ce qui, bien entendu, est invérifiable. Comment nous transporter en Afrique au Moyen Âge, dans un autre temps ? Ou dans le centre de l’Asie ? Comment y marcher, y respirer ? Y faire l’amour ? Comment y penser ?
Le passé est invérifiable. Avouons-le, une fois pour toutes.
Nous savons que l’histoire de l’Afrique a été très riche, longue et diverse. On y découvre encore, en Nubie, des villes fortes très anciennes, inconnues jusqu’ici. On y parlait, jadis, plus de deux mille langues. Mais comment le montrer, comment le raconter aujourd’hui ?
Et si nous vivions dans le passé, de quel « passé » parlerions-nous ? Utiliserions-nous ce mot ?
*
Un des rares privilèges des personnes âgées est qu’elles peuvent mentir, et bien souvent elles ne s’en privent pas. Les vieux d’aujourd’hui étaient les seuls, à ce moment-là, ils ont vu ceci ou cela, et « Untel m’a dit, en confidence ». Mais si cette confidence était imaginaire, inexacte, ou délibérément inventée par Untel, qui s’en apercevra ? Qui protestera ?
Je me suis tenu sur mes gardes. Autant que j’ai pu.
Impossible, souvent, même dans le passé, de démêler le vrai, non seulement de l’imprécis, mais de l’à-peu-près, de la vantardise, de l’invraisemblable, du racontar, du simple mensonge – de tout ce qui conduit à la mythologie locale ou personnelle. Sans parler des mythomanes proprement dits, qui croient à la réalité des fables qu’ils racontent un peu partout.
Certains vont jusqu’à dire – et même des scientifiques – que la nature même des choses est en train de nous échapper, cette très illustre « réalité », ce mystérieux « réel » après lesquels tant d’esprits ont couru, depuis l’origine des sens, et de la pensée. Elle nous glisserait entre les doigts, entre les yeux. Elle échapperait, de toute manière, à notre esprit, décidément incapable de saisir l’ensemble du monde, dans son immensité comme dans son intimité. Incapable aussi, bien entendu, de se saisir et de se comprendre lui-même.
Sachant cela, j’ai fait de mon mieux, ici, sans autre intention que d’offrir, par petites ou larges touches, en respectant le désordre où nous vivons tous, un portrait en pointillé de ce siècle qui fut le mien, et que j’ai connu d’assez près, au moins dans ses deux derniers tiers (je suis né en 1931). Je reconnais que je peux me tromper, comme n’importe qui, et même dans ce que j’ai vu de mes yeux, comme on dit. Nous voyons rarement avec les yeux des autres.
Je ne joue ni au reporter, ni au mémorialiste, ni, évidemment, à l’historien. Quand je prends une information chez quelqu’un, je le cite. Quand j’ai un doute, je le dis. Quand je me rappelle une très courte histoire, je la raconte – si elle me dit quelque chose de plus, si elle soulève des échos qui me surprennent encore.
Ce que donnera le tableau d’ensemble ? Je n’en sais rien. Ici, je ne suis qu’un raconteur, qu’un illustrateur, parfois un témoin modeste, parmi d’autres.
*
Nous connaissons tous quelques grands livres d’histoire, avec chapitres ordonnés, victoires et défaites décrites et datées, paragraphes numérotés, périodes définies, points de vue divergents, drapeaux brandis et traités contestés. Ce n’est pas ici le cas. Voici, au contraire, un petit journal, à la fois international et quotidien, qu’on peut appeler un fourre-tout (ça ne me dérange pas), ou même un pot-pourri, volontairement hétéroclite par moments, des faits divers, un bric-à-brac, des drôleries, des étrangetés et des atrocités parfois peu connues, des personnages souvent anonymes, promis à l’oubli et qui, pour un instant, dans deux ou trois pages, réapparaissent.
Ils ont tous vécu, au moins un moment, dans ce siècle ; même si, en apparence, ils n’y ont laissé aucune trace. Mais qu’est-ce qu’une trace ? Qu’est-ce qu’un « personnage historique » ? Nous le sommes tous, à tel ou tel moment. Après quoi vient un moment où, le plus souvent, nous ne le sommes plus. Nous avions pourtant marqué notre temps, sans le savoir, alors que tant d’illustres personnages sont déjà enterrés dans l’immense fosse d’oubli.
On dit souvent, nous l’entendons sans cesse : « Il est entré dans l’histoire, il a marqué l’histoire de son temps », et autres expressions banales, toutes faites, et depuis des temps très anciens. Mais nous avons tous marqué cette histoire, même sans nous en rendre compte, même sans le vouloir parfois, et nous avons tous été marqués par elle. Impossible d’y échapper. Dans l’immense suite des temps, dans l’infini probable du monde, notre passage n’a été qu’une infime parcelle – mais la nôtre.
Cela va du tragique au frivole, comme toujours, et de l’illustre à l’anonyme. J’y suis quelquefois mêlé, de près ou d’un peu plus loin, comme spectateur ou participant. Chacun peut y ajouter son témoignage, sa petite part de vérité et, comme on dit, broder, s’il le désire.
On peut aussi me corriger, me contredire. Cela ne me dérange pas, car le doute est une partie intime du souvenir ; quelquefois même la plus précieuse. Le doute, et même l’erreur.
Qui serait assez fou pour dire : « Je vais écrire l’histoire d’un siècle » ? Voltaire a essayé, jadis, au temps où les informations manquaient (aujourd’hui, nous en recevons trop, qui quelquefois se contredisent), mais il a dû se contenter du portrait d’un petit morceau du monde, de la seule France de Louis XIV, vue d’Angleterre, avec des lacunes immenses, qu’il n’a même pas pressenties.
Et d’ailleurs, pourquoi diviser l’Histoire en « siècles » ? Ou même en millénaires, comme pour l’Égypte ancienne ? Il ne s’agit que de commodités.
Si d’autres racontaient les mêmes faits que moi, nos récits, forcément, à tel ou tel moment, se heurteraient, se contrediraient. Ils s’élimineraient parfois les uns les autres. Il ne peut pas en être autrement. Le dessin général que nous formerions ensemble – même cons

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents