Vers une philosophie de la précaution
249 pages
Français

Vers une philosophie de la précaution , livre ebook

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249 pages
Français

Description

Le principe de précaution est un principe raisonnable et nécessaire surtout face aux défis auxquels notre société est confrontée. Il s'agit, en effet, non seulement de prévenir les crises lorsqu'elles se présentent mais, plus encore, de changer en amont des crises notre manière d'agir, notre compréhension de la rationalité, notre rapport à la nature, notre pratique de la politique : c'est la perspective d'une nouvelle société qui s'ouvre.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2009
Nombre de lectures 212
EAN13 9782296243675
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

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Extrait

Pour mes parents Pour mes petits-enfants, Raphaël et Elisa,
Introduction
Cet ouvrage constitue la deuxième partie d’une thèse que j’ai consacrée à la précaution. La première partie était centrée sur le principe de précaution. La seconde sera centrée sur ce que j’appelle la philosophie de la précaution, dont je m’emploie à jeter les bases.
Le principe de précaution, dans la définition et selon l’usage que j’ai proposés, est un principe non seulement raisonnable, légitime, mais aussi absolument nécessaire si nous voulons faire face aux nouveaux risques et rétablir une cohésion sociale menacée par la succession des crises. Mais tout montre que nous ne pouvons nous arrêter là ! Car il s’agit non seulement de prévenir les crises lorsqu’elles se présentent, mais bien plus encore de changer, en amont des crises, notre manière d’agir- en particulier notre rapport à la nature et nos techniques de production. Ce n’est pas d’une révolution brutale dont il s’agit, car ce changement ne peut-être que graduel (il faut agir très en profondeur dans la société, mais aussi sur nous-mêmes). Mais l’évolution tout à la fois nécessaire et souhaitable doit être menée de façon volontaire et continue – il faut donc inventer une politique qui soit à la hauteur du défi : à son terme, elle devra avoir accouché d’une « révolution douce ». Au-delà du principe de précaution, c’est donc bien la perspective d’une « autre société » qui s’ouvre. La philosophie de la précaution se veut être une contribution à son instauration. Ce serait donc une grave erreur, au vu des enjeux, que la focalisation sur le principe de précaution – encouragée par tous les mésusages dont il est l’objet – fasse perdre de vue cet enjeu plus général et plus décisif pour le moyen terme que constitue l’instauration d’une société de précaution.
La plupart des auteurs qui ont écrit sur le principe de précaution sont conscients de cette nécessaire « ouverture », bien au-delà de la polémique autour de ce
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principe, vers des enjeux de nature philosophique. Selon D.BJ.L.ourg et Schlegel : « La précaution est devenue une exigence fondamentale, car elle renvoie à un changement de civilisation profond et elle est au cœur des conflits de notre époque, notamment de la répartition des rôles entre le politique, l’économique et le juridique.Elle interfère avec la montée de procédures plus participatives au sein des démocraties représentatives ; elle se substitue à la déjà vieille tradition de l’idéologie du progrès, qui crédite d’emblée les techniques 1 nouvelles de bienfaits sociaux » . Pour O.G« Même si on peut à bonodard : droit avoir des réserves envers les approches catastrophistes situant les enjeux au niveau de la survie même de l’humanité, force est de reconnaître que le devenir du monde est désormais placé entre les mains des hommes de façon entièrement nouvelles. Penser cette nouveauté, élaborer sa signification morale, y trouver une inspiration effective pour la décision politique et économique d’aujourd'hui sont les exigences de l’époque.Elles manifestent que la 2 précaution n’est pas une simple technique de prévention des risques » .F. Ewald estime quant à lui que : « l’attitude de précaution procède de bien autre chose que de la seule volonté de réduire les risques.Elle ne témoigne pas seulement d’une attitude grincheuse vis-à-vis du progrès, de la science et de l’industrie.Elle est biface.Bien sûr, il s’agit de protéger les hommes et la nature des effets de leurs propres actions. Mais ce n’est là qu’un aspect dérivé, d’une philosophie qui propose une véritable conversion spirituelle.Elle nous propose une éthique où chacun, à sa place, est mis dans une position d’être garant de 3 l’avenir de l’humanité surTerre » .P.Kourilsky et G.Viney, expriment ce souhait : « Il faut (alors) espérer que la réflexion philosophique, qui accompagne le développement du principe de précaution, modère la revendication sécuritaire.Elle révèle en effet une aspiration morale du principe 4 de précaution » .Toutes ces opinions convergent et annoncent ce que je vais développer dans cet ouvrage : l’enjeu du principe de précaution est plus que la simple application de ce principe : il est un enjeu de civilisation.Mais avant d’en venir à l’étude proprement dite de la précaution, je voudrais bien « cadrer » ce passage du principe de précaution à la précaution.
Le principe de précaution, tout à la fois omniprésent et mal défini, se trouve au centre des questions soulevées par les derniers développements de notre société. Les controverses qu’il soulève sont liées à une différence de perception de la gravité de ces questions.Pour les uns, la civilisation du progrès, en dépit de quelques accrocs, n’a pas à se réorienter « au fond » ; le principe de précaution,
2 D. Bourg etJ.L.Schlegel,Parer aux risques de demain, le principe de précaution, Seuil, 2001, p. 175. 2 O.Godard (sous la direction de),Traité des nouveaux risques,Gallimard, 2002, p. 80. H F.Ewald, ouvrage collectif,Le principe de précaution, PUF, 2001, p. 43. 4 P.Kourilsky etG. Viney,Le principe de précaution, Rapport au premier ministre,O. Jacob, 2000, p. 271.
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principalement compris comme un principe juridique, est là pour compléter l’encadrement de l’action face à des risques nouveaux et très incertains. Pour d’autres, le changement de siècle coïncide plus ou moins avec la sortie d’une culture du progrès articulée sur le développement autonome des techno-sciences et le triomphe d’une conception économiste et utilitariste de la société ; le principe de précaution est alors compris comme un levier d’une nouvelle culture, d’un nouveau paradigme du devenir historique. Le devenir n’est plus conçu comme la prolongation indéfinie d’un même mouvement, l’exercice sans limite de notre pouvoir sur la nature, l’accroissement sans retenue de notre production et de notre consommation : le devenir doit être réfléchi avant d’être agi ; et les risques bien réels que nous encourons, mais aussi l’impossibilité d’anticiper l’évolution de bien des phénomènes, nous obligent à cette réflexion. Je me suis attaché, dans la première partie de ma thèse, à bien faire le départ entre le principe de précaution et la « Précaution ». Il me semble important d’avoir clarifié ce que l’on entend par ces deux termes, afin éviter ces glissements de sens qui sont en définitive préjudiciables à l’un et à l’autre : soit que l’on « noie » le principe de précaution dans une vision trop générale quand on le rapproche de la Précaution, soit que l’on perde la dimension la plus neuve de la Précaution en la rapprochant d’un simple principe qui viendrait s’ajouter à l’édifice actuel sans en atteindre les fondations. Cette clarification conceptuelle ayant été réalisée, je puis maintenant « quitter » le principe de précaution et réfléchir sur la Précaution.
Ce qui est en jeu est donc plus qu’un principe, venant s’ajouter sans changer rien d’essentiel à notre mode actuel de développement, et qui se limiterait à la réécriture de textes juridiques et à l’établissement d’un nouveau statut de l’expertise. Si le principe de précaution, tel que je l’ai défini, est déjà très exigeant et difficile à mettre en œuvre, la précaution représente un défi encore plus important : la précaution, au-delà du principe du « principe de précaution » (dont elle constitue la base), c’est un vaste chantier pour la réalisation d’un mode de développement alternatif à celui que nous connaissons aujourd'hui. Cette alternative n’est pas ennemie de la science, et elle veut aussi transformer le monde en s’appuyant sur la technique ! Mais elle pense que cette transformation doit être réfléchie, débattue, afin d’être orientée, elle est opposée à l’abandon sans régulation aux forces du marché, en particulier dans le domaine des techniques et de leurs applications industrielles. La précaution doit être un nouvel état d’esprit, grâce auquel, on peut l’espérer, non seulement nous saurons mieux nous prévenir des risques que nous produisons nous-mêmes par nos activités, mais aussi nous saurons redonner à nos actions un peu du sens qu’elles avaient perdu, en s’inscrivant dans la seule perspective d’une recherche de maximisation de son profit personnel. Comme Alain disait de la morale qu’elle tient tout entière dans le simple fait de « penser que l’on pense », ne pourrait-on dire de la précaution qu’elle peut se résumer dans l’exigence de
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« penser nos actions », de « penser que nous agissons » ? Ce serait à une pensée « globale » de nos actions, une pensée incluant toutes les conséquences qui nous sont accessibles, que la précaution nous convierait.
C’est en fait à un renouvellement de l’action que nous appelle le principe de précaution. La précaution nous demande de replacer l’ « intention de » au cœur de nos activités. Il faut que nous nous réappropriions l’action. La montée en puissance de la technique, l’emprise de plus en plus large du marché en économie, ont contribué à mettre en place un système de production des richesses à la fois très efficace et très peu dirigé : la tendance de ce type de « développement » à s’autonomiser est réelle. La domination des dimensions technique et économique de l’action a pour conséquence que les problèmes qui se posent à nous ne sont plus vus que comme des problèmes de recherche des moyens les plus efficaces pour atteindre une fin donnée ; la question de la valeur et du sens de nos actions est passée à l’arrière-plan, quand elle n’a pas été entièrement oubliée. L’agent réel de la décision devient alors la technique elle-même, ou l’économie : ce qu’il reste de décisions à prendre découle d’une logique purement instrumentale. Cet appel à agir que représente le principe de précaution porte en lui la redécouverte de dimensions oubliées de l’action pour lesquelles H. Arendt a tant plaidé : l’action politique, en tant que les hommes doivent se rassembler pour décider ensemble de leur avenir commun ; l’action « sur soi », car la véritable action inclut ce nécessaire et difficile travail de soi sur soi.
Mais comment établir solidement cette nouvelle attitude : la précaution ? Je vais tenter d’apporter une réponse, et ma réflexion se construira en trois étapes. La première étape sera consacrée à la recherche de bases philosophiques pour la précaution. Ces bases sont à chercher dans une nouvelle conception de la rationalité, mais aussi dans une nouvelle conception de notre rapport à la nature. Il nous faut en effet penser en rompant avec la rationalité instrumentale qui domine aujourd'hui, en rompant aussi avec une vision elle aussi purement instrumentale de notre rapport à la nature, typique de la modernité.
Dans une deuxième étape je montrerai comment, sur ces bases, nous pouvons 5 redéfinir les outils dont nous avons besoin pour venir rééquilibrer l’action , en particulier en redéfinissant le rôle de la science et des techniques, et en redonnant à la politique une place centrale dans l’orientation de la société : il faudra pour cela faire descendre l’économie de son piédestal. Plus précisément, la Précaution doit se traduire par une nouvelle « manière » de développer les
5 J’ai montré, dans mon premier ouvrage, comment l’action avait connu dans l’histoire un déséquilibre lui faisant délaisser en particulier la dimension si importante pourtant de l’agir politique (praxis) pour se centrer sur le pôle de la production (poiésis).
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