Le Fait juif dans le monde

François Thual

Description

Sur le plan démographique, le peuple juif est minuscule au sein de la population mondiale. Et pourtant, il est au cœur de nombre de problématiques géopolitiques actuelles. Cet ouvrage analyse les configurations territoriales successives que le monde juif a prises depuis deux siècles.À partir de l’effondrement de la Pologne au XVIIIe siècle, l’espace juif va se mondialiser pour fuir les persécutions et la misère. Paradoxalement, c’est l’antisémitisme qui dessinera une nouvelle carte des polarisations, dépolarisations et repolarisations des communautés disséminées à travers le monde. Au XXe siècle, la Shoah, la création de l’État d’Israël et l’expulsion des juifs des pays arabo-musulmans aboutiront à la bipolarisation actuelle du « fait juif », principalement entre le pôle israélien et le pôle nord-américain. Cette situation n’est pas exempte d’interrogations. Il y a environ 14 millions de juifs pour 7 milliards d’êtres humains, soit un poids démographique en diminution au sein de l’humanité. Quel sera l’avenir alors que le présent est marqué par une assimilation rampante au sein de la diaspora ?Un état des lieux synthétique de la situation des communautés juives dans le monde contemporain. Les problèmes du judaïsme revus à l’échelle mondiale. François Thual, conseiller du président du Sénat pour les affaires stratégiques et professeur au Collège interarmées de défense (ex-École de guerre), a écrit plus d’une trentaine d’ouvrages de géopolitique dont certains traduits en plusieurs langues. Ses livres sont centrés sur le territoire et ses déclinaisons religieuses, politiques et identitaires.

Sujets

• Religion
• Judaism
• Philosophie et théologie

Informations

• Publié par: Odile Jacob
• Date de parution: 14 janvier 2010
• Nombre de lectures: 1
• EAN13: 9782738196309
• Langue: Français

Extrait

© ODILE JACOB, JANVIER 2010
15, RUE SOUFFLOT, 75005 PARIS
www.odilejacob.fr
EAN 978-2-7381-9630-9
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Pour Jean-François Gayraud
« Le problème juif se pose plus ou moins régulièrement à chaque période de malaise économique et social lorsque la majorité, cherchant à la fois une explication et un responsable hors d’elle, est trop heureuse de trouver la cause de ses malheurs dans une minorité sans défense et dissemblable ».
Charles DE G AULLE à Albert C OHEN , représentant l’Agence juive auprès des gouvernements en exil en Grande-Bretagne, Londres, le 9 août 1940.
Introduction

Pourquoi ce titre ? Pourquoi avoir employé le terme de géopolitique et celui de « fait juif » et non pas le terme géopolitique du monde juif ou du judaïsme ? D’emblée, il convient de s’expliquer sur ce choix. S’il y a géopolitique, c’est parce que durant deux cents ans la polarisation géographique des populations juives a évolué d’une façon extrêmement complexe. De fait, l’espace juif mondial n’a cessé de se polariser, de se dépolariser, de se repolariser dans des glissements géographiques imputables en général à l’antisémitisme, à la misère ou aux exterminations. Cette dynamique de polarisation du peuplement juif amène à constater une succession de concentrations démographiques qui font de l’histoire juive depuis deux cents ans, sur le plan géographique, une réalité véritablement protéiforme. Quant au terme « fait juif » qui peut surprendre, il résulte du polymorphisme des réalités juives. Phénomène religieux, réalité sociologique, structure identitaire, instance géopolitique à partir du moment où l’État d’Israël existe, il a semblé nécessaire d’exprimer cette complexité en utilisant l’expression « fait juif » comme plus petit dénominateur commun capable de rendre compte de la grande complexité du phénomène juif. Le « fait juif » existe. Selon les points de vue d’où l’on se place, il est à la fois une réalité religieuse, une réalité sociologique, une réalité identitaire et une réalité politico-stratégique avec Israël.
 
Ni histoire du peuple juif, ni histoire du judaïsme, ni histoire de l’État d’Israël, le présent essai aspire à mettre en évidence les grandes pulsations sociologiques, démographiques et géographiques des communautés juives dans le monde depuis la fin de l’époque napoléonienne jusqu’à nos jours.
 
Fort de 2,5 millions d’hommes en 1800, au moment où la planète atteignait son premier milliard d’habitants, le monde juif totalise en 2010 un peu plus de 14 millions d’êtres humains pour une population mondiale de presque 7 milliards. À cet égard, les évolutions démographiques et les mutations géographiques considérables du peuplement juif dans sa distribution géographique ne peuvent se comprendre qu’en partant de l’analyse de trois facteurs majeurs :
— la disparition du royaume de Pologne à la fin du XVIII e  siècle où vivaient plus de la moitié des juifs de l’époque ;
— un essor démographique sans précédent dû, comme pour l’ensemble de l’Europe orientale, principale zone de résidence juive au XIX e  siècle, aux progrès de l’hygiène et de la médecine, essor qui portera la population juive à 11 millions de personnes en 1914 ;
— la rapide disparition de l’ordre féodal à l’est du continent prolongée par l’industrialisation de certaines régions et une urbanisation croissante du monde juif au détriment du judaïsme rural, entraînant une prolétarisation massive.
 
De la conjugaison de ces trois facteurs naîtront les tragédies et les espérances du monde juif : une montée irrésistible de l’antisémitisme, des migrations internes aux empires russe, autrichien et allemand, une forte émigration hors de l’Europe vers les Amériques, et la formation du projet sioniste accompagnée d’une politisation plutôt ancrée à gauche des populations misérables des régions polono-russes.
Après la Première Guerre mondiale, la configuration du monde juif va changer avec l’apparition de nouvelles nations dans l’Est européen et la formation de l’URSS. À cette époque de l’entre-deux-guerres, le monde juif atteindra son apogée démographique, totalisant en 1939 environ 17 millions d’âmes. Ce sera aussi la période de consolidation d’un antisémitisme d’État dans beaucoup de pays.
De 1940 à 1990, trois événements majeurs vont marquer l’histoire juive à jamais : la Shoah, la soviétisation du reliquat du Yiddishland et la naissance de l’État d’Israël.
Ces événements vont reconfigurer la répartition géographique mondiale des juifs. La création de l’État d’Israël et la déjudaïsation du monde arabo-musulman accélérée par les décolonisations anglaises et françaises du Maghreb et du Moyen-Orient, puis la déjudaïsation de l’URSS à partir des années 1965, qui se sera poursuivie jusqu’à notre époque dans les États successeurs de l’URSS, ont dessiné le visage actuel du monde juif.
 
En 2010, les 14 millions de juifs se répartissent en trois grands pôles géographiques : Israël représente environ 45 % du monde juif, les Amériques (États-Unis, Canada et leur prolongement sud-américain, Argentine, Brésil) environ 53 %, puis l’Europe prise dans le sens large constitue essentiellement le reste, ce qui illustre la lente érosion du judaïsme européen.
Cette « modestie démographique » du « fait juif » – 14 millions d’êtres humains pour 7 milliards d’habitants – est peu connue et contraste avec l’importance géopolitique du problème israélien. Or, si la géopolitique de l’État hébreu a donné naissance à beaucoup de travaux, la situation géopolitique des communautés juives est moins connue. Elle forme pourtant le socle incontournable de la période présioniste comme de la période actuelle ainsi que de l’avenir du monde juif.
L’enchaînement chronologique des problématiques politico-démographiques qui constitue la trame de l’ouvrage illustrera la plasticité sociogéopolitique du « fait juif » au XX e  siècle. Cet essai s’achèvera par une photographie de la situation actuelle et l’examen des hypothèses à venir concernant le futur de la démographie juive et ses inscriptions géographiques au III e  millénaire.
Deux avertissements s’imposent. Le premier est d’ordre mathématique : les chiffres avancés tout au long du livre ne sont que des estimations . Il convient, en second lieu, d’apporter des précisions sémantiques. Judaïté implique la réalité socio-culturelle et socio-religieuse du « fait juif » ; judaïsme renvoie à la pratique religieuse. Ces expressions tendent à être remplacées depuis quelques décennies par le mot de judaïcité qui permet de synthétiser toutes les composantes du « fait juif ».
Le fait juif en chiffres en 2010 (Estimations)

Soit un total très approximatif d’environ 14 millions. Les microminorités n’ont pas été prises en compte comme celles du Japon ou de l’Ouzbékistan. Ces estimations sont très hautes ; de nombreux experts considèrent que le chiffre le plus probable serait un peu en dessous de 13 millions. Les variations des estimations renvoient à la difficulté d’une définition précise de la notion de juif selon que l’on retient des critères strictement religieux ou des critères identitaires. Cette bataille des chiffres est insoluble et il vaut mieux prendre ceux-ci comme des indications tendancielles.

La population juive mondiale depuis le XIX e  siècle en millions

1800 2,5 1900 10,6 1920 13,5 1939 17 1945 11 1960 12,5 2000 14
Sans la Shoah, certains démographes estiment que la population juive serait aujourd’hui d’environ 32 millions. Rappelons qu’au début de l’ère chrétienne, pour une population mondiale de 250 millions d’êtres humains, le peuple hébreu atteignait 4,5 millions dont plus de la moitié vivait déjà en diaspora hors de la Palestine romaine.
Première partie
Un long XIX e   siècle (1814-1918)
1
Les trois mutations de base

De la fin des guerres napoléoniennes à la fin de la Première Guerre mondiale, un peu plus d’une centaine d’années s’est écoulée. Durant ce long siècle, on peut sans excès dire que l’ancien monde juif a disparu pour laisser place à de nouvelles configurations démographiques, sociologiques, politiques et géopolitiques de l’espace juif tant européen que mondial. Ces transformations ont abouti à la mise en place d’un nouveau monde juif, lequel disparaîtra pour partie sous l’effet de la Shoah. S’il marque l’apogée démographique des juifs, ce long XIX e  siècle est aussi caractérisé par la montée en puissance d’importantes tensions : tensions de l’antisémitisme, tensions au sein du monde juif entre les partisans de l’assimilation, les sionistes, les marxistes qu’ils soient socio-révolutionnaires, à l’instar du Bund, ou bolcheviques, enfin tensions aussi au niveau de la vie quotidienne, souvent insupportable, en raison de la misère et des persécutions. À cela, il faut ajouter les tensions religieuses internes au judaïsme avec des conflits entre conservateurs, libéraux et orthodoxes. Pour mieux comprendre les polarisations démographiques du « fait juif » ou, pour le dire autrement, la géopolitique interne de l’espace juif à l’époque de sa mondialisation, il faut se centrer sur trois facteurs dont la synergie a fondé la modernité du « fait juif » : la fin du refuge polonais et l’éclatement de la judaïcité polonaise entre l’Empire russe, l’Autriche et la Prusse ; l’expansion démographique des juifs à l’instar des populations d’