160
pages
Français
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2004
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2004
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Publié par
Date de parution
01 juin 2004
Nombre de lectures
0
EAN13
9782748372809
Langue
Français
« Ce qui émerge partout, c’est la montée en puissance d’un discours de l’obscène, mixte mais surinvesti par les femmes », à l’image de La Pianiste d’Elfriede Jelinek, des films de Catherine Breillat, ou des romans de Michel Houellebecq. Une série d’articles traitant de Zola, Huysmans, Green ou de l’art plastique sur cette thématique duale.
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01 juin 2004
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0
EAN13
9782748372809
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Français
Le Chaste et l'Obscène
Isabelle Casta
Publibook
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Introduction La salière de M. de Taverney…
“ J’hésite à l’avouer, de peur de prononcer encore quelques gros mots : il me semble bien qu’à cette époque je ressentis le besoin d’un amour. Obscène, n’est-ce pas ? ”.
Albert Camus, La Chute.
C’est à Alexandre Dumas que je dois le couple littéraire du chaste et de l’obscène, contextuellement mis en tension dans un de ses plus célèbres romans, Joseph Balsamo , comte de Cagliostro . Au cours d’un repas, le baron de Taverney montre à Balsamo une salière explicitement désignée comme “ obscène ”, et seule richesse matérielle du vieux noble ruiné : “ Mais puisque vous la tenez, baron, cette fameuse salière, […] regardez-la ! Elle fut commandée par le Régent à Lucas l’orfèvre. Ce sont des amours de satyres et de bacchantes ; c’est libre, mais c’est joli ”. Balsamo remarqua seulement alors que le groupe de figures, charmant de travail et précieux d’exécution, n’était non pas libre, mais obscène. ” 1 Immédiatement après, Andrée de Taverney, la fille du baron, la Rose des Maison-Rouge, est plusieurs fois dépeinte comme “ pure et chaste ”, ce qui est proprement un pléonasme, puisque castus signifie pur, dans son esprit comme dans son corps : “ D’abord, la pure et chaste créature soutint ce regard singulier […] ” 2 . Bien entendu la salière est d’autant plus obscène qu’elle est présentée par Andrée, dont la vénusté et la grâce liliale éclatent aux yeux de tous par le contraste baroque entre ce qu’elle est et ce qu’on lui fait faire. L’étymologie latine “ obscoenus ” signifie en effet “ de mauvaise augure ”, et par là même “ qui blesse ouvertement la pudeur ”.
L’antagonisme des deux objets fictionnels, l’aimantation narrative qui en résulte m’ont persuadée qu’il y avait là matière à réflexion. Sans être en effet en position d’antonymie, nos deux notions supposent tout de même un écart suffisamment puissant pour avoir récemment engendré toute une série d’œuvres, littéraires bien sûr mais aussi cinématographiques, plastiques, musicales… qui ont retenu l’attention du public et des médias, soit par leur absence remarquable de tabous, soit, à l’aphélie, par leur refus de toute complaisance graveleuse ; il semble que des degrés aient été franchis : est-ce nouveau ? est-ce durable ? et, surtout, est-ce signifiant ?
Certains romans de Virginie Despentes, Michel Houellebecq, Louis Skorecki ou Elfriede Jelinek, des autobiographies ou autofictions d’Annie Ernaux ou Catherine Millet, des confessions surmédiatisées de “ hardeuses ”, des films aussi, en particulier ceux de Catherine Breillat 3 , Gaspar Noé 4 , Patrice Chéreau donc… ont connu l’effervescence critique, qui peut être due à l’effet de mode, à la surenchère aussi entre soi et les autres, entre soi et soi ; le porno chic, puis le porno trash , ont déferlé dans la mode, la publicité, la presse… On peut se demander si la littérature – si l’art en général, puisque du moment où nous restons dans la “ narration ” nous pouvons inclure aussi les représentations visuelles, plastiques ou musicales) – se trouve “ augmenté ”, profondément ou pelliculairement, par ces nouveaux extrêmismes, qu’aucune confidentialité ne met plus en enfer.
Chacun se souvient (même si trois ans ont passé) du succès simultané de deux films singuliers ; l’un, Intimacy , de Patrice Chéreau, explore la sexualité d’un couple avec une crudité assez renversante, l’autre, In the mood for love , de Wong Kar Way, occulte tellement toute manifestation amoureuse explicite que le mystère de la relation est préservé presque jusqu’à la fin ; pourtant l’argument est strictement le même : un amour adultère réunit un homme et une femme, puis les sépare à jamais… Le traitement stylistique seul diffère : pour Chéreau, dévoilement frontal des chimies amoureuses, pour Wong Kar Way, litote énigmatique, très proche au fond du chef-d’œuvre d’Alain Resnais L’Année dernière à Marienbad . Le fait que ces deux films aient triomphé en même temps au box-office donne à penser, en termes de réception, de sensibilité collective, de codification esthétique… et bien sûr de banalisation des transgressions.
Cela nous renvoie à notre propre rôle de médiateurs culturels, entre nos publics éventuels (scolaire, universitaire…) et ces œuvres : tout est-il sémiotisable ? C’est la formule leitmotiv qui nous sert de viatique lorsque nous hésitons à tenir un discours critique “ public ” sur Les Chiens d’Hervé Guibert, au même titre “ heuristique ” que sur Le Rouge et le noir ou Le Fantôme de l’opéra … Les études qui vont suivre vont entrer dans ces zones de turbulence pour en faire (espérons-le !) jaillir des éclairs. Mais avant, nous aimerions souligner l’étrangeté qui nous semble parfois baigner notre rapport au langage : jamais nous n’avons été aussi crus dans les œuvres fictives, en même temps qu’au nom du politiquement correct nous bannissons tout mot un peu leste, un peu vert, de nos échanges sociaux, chaque lobby veillant jalousement sur son (chaste) pré carré ; un petit paysan (pardon : un jeune cultivateur) pourrait-il encore chanter “ parisien tête de chien, parigot tête de veau ” aux vacanciers fraîchement débarqués ? N’y aurait-il pas là grave préjudice, affront identitaire et incitation à la parisianophobie attentatoire ?… On se le demande.
Cette gentille schizophrénie nous amène à rejoindre la salière de M. de Taverney, mise en abyme de tout le roman : c’est parce qu’elle lui est présentée par Andrée, l’hermine sans tache des Maison-Rouge, qu’elle paraît alors contrastivement obscène aux yeux de Cagliostro.
C’est cette dualité (ce duel) constitutive que développe Marion Duvauchel, en cernant les attendus philosophiques aussi bien qu’esthétiques des deux notions. Christian Chélebourg, lui, soumet George Sand et Dumas au test de la “ chasteté des invisibles ”, tandis que Jérôme Solal nous fait découvrir Huysmans et le corps exposé de Marthe comme la tragédie intime d’une lente flétrissure, aussi sexuelle que sociale. Après ces deux regards portés sur le dix-neuvième siècle, source des questions que (se) pose la littérature contemporaine, nous découvrons avec Jérôme Pourcelot le clair obscur douloureux du romanesque greenien, ses réseaux obsédants, sa hantise de la déchéance et de la compromission. Frédéric Chasseloup de Chatillon nous entraîne ensuite dans les arcanes de la littérature gay , en s’interrogeant sur la frontière mouvante qui sépare revendication et exhibition, ainsi que sur la tentation du ghetto, voire de la pornographie, qui guette toute littérature de la déviance. Et précisément, Andrée-Jeanne Baudrier nous confronte à deux univers très sombres de la littérature allemande (en fait, autrichienne) à travers La Pianiste d’Elfriede Jelinek et Le Complexe de Klaus , de Thomas Brussig : âpres, dérangeants, voire carrément insupportables, ces romans se révèlent aussi très drôles, dans leur destruction quasi pathologique de tout tabou, de toute bienséance ; obscènes, oui, là l’hésitation n’est plus de mise ! mais à quelle fin ?
C’est peut-être paradoxalement à travers l’art, plastique et photographique, que parviennent des éléments de réponse : Isabelle Le Pape-Doleviczenyi et Danièle Meaux désignent dans leurs études sur l’art fétichiste et sur le corps-matière une crise de la Représentation, qui affecte profondément nos systèmes de valeurs, et dont La Pianiste à sa façon “ outrageante ” manifeste une fascinante occurrence. Henri Rossi nous invite alors à une extraordinaire plongée dans le Mal, les ténèbres sans fond d’un monde pervers : Le Nécrophile , de Gabrielle Wittkop, œuvre-limite aux échappées glaçantes. L’obscène et chaste pratique y règne en maître, là où rien ne luit plus…
Imprécateur déchaîné mais grand styliste, le rappeur Eminem refermera la page : c’est (à mes yeux du moins) à lui que revient l’honneur de “ l’obscène désémantisé ”, cette parole torrentielle, scatologique, charnelle, désespérée, qui sous des oripeaux clinquants et cinglants rejoint les grands universaux de la sensibilité humaine : l’amour, la trahison, le délaissement, le crime, la solitude, la mort. L’obscénité y redevient chaste, car elle a le goût des chimères de l’enfance.
Sans avoir répondu à toutes les questions de notre incipit, nous pouvons d’ores et déjà envisager la dualité du chaste et de l’obscène comme la tentation (accomplie ? ou éternellement imminente ?) d’un nouvel inventaire terrible des choses du Monde, une “ rétrogènése ” au sens de l’ American Psycho de Brett Easton Ellis ou de la Plateforme de Michel Houellebecq. Le mot-clé pourrait alors nous être donné par le beau titre d’un roman de Catherine Breillat : Pornocratie …
Isabelle Casta
IUFM, Amiens
Le chaste et l’obscène : deux catégories oubliées de la philosophie, deux topoï de la littérature, deux figures inversées de l’intimité
Mon approche des catégories du chaste et de l’obscène part d’une question simple : qu’en disent les philosophes, qu’en disent les romanciers ? Et d’un constat : les philosophes, à peu près rien ! Les romanciers… voire. Deux questions vont donc structurer mon propos : tout d’abord comment expliquer le silence, la pudeur, la retenue de la philosophie ou sa relative inaptitude à rendre compte de ces deux notions ? Ensuite, qu’est-ce que la littérature restitue ou réfracte des problèmes philosophiques que posent ces catégories conceptuelles ?
Je propose une enquête en deux grandes étapes, l’une philosophique, l’autre litt