Matières et matérialismes
286 pages
Français

Matières et matérialismes , livre ebook

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286 pages
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Description

Offrir une exploration épistémologique des diverses étapes de la recherche scientifique et de la réflexion philosophique sur la matière, tel est le propos qui a régi la composition des neuf études ici réunies. Les différentes conceptions « matérialistes » dans les sciences physiques et biologiques y sont mises en rapport avec les savoirs de chaque période, depuis le temps d'Averroès jusqu'au XIXe siècle.

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Publié par
Date de parution 01 juillet 2013
Nombre de lectures 18
EAN13 9782336321202
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

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Extrait

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Yvette Conr y
MATIÈRES ET MATÉRIALISMES
Études d’histoire et de philosophie des sciences
Commentaires
philosophiques
Matière et matérialismes
Commentaires philosophiques Collection dirigée par Angèle Kremer Marietti et Fouad Nohra  Permettre au lecteur de redécouvrir des auteurs connus, appartenant à ladite “histoire de la philosophie”, à travers leur lecture méthodique, telle est la finalité des ouvrages de la présente collection.  Cette dernière demeure ouverte dans le temps et l’espace, et intègre aussi bien les nouvelles lectures des “classiques” par trop connus que la présentation de nouveaux venus dans le répertoire des philosophes à reconnaître.  Les ouvrages seront à la disposition d’étudiants, d’enseignants et de lecteurs de tout genre intéressés par les grands thèmes de la philosophie. Déjà parus Jean-Pierre COUTARD,Le soi, le temps et l’autre, 2013. Soundouss EL KETTANI,Une dynamique du visuel, L’ondoyante réalité desRougon-Macquartde Zola, 2013. Hichem GHORBEL,Etudes sur le XVIIIe siècle : Montesquieu et Rousseau ou les conditions de la liberté, 2013. Aristide NERRIÈRE,Métaphysique pour un nouvel existentialisme, 2013. Michèle PICHON,Gaston Bachelard, L’intuition de l’instant au risque des neurosciences, 2012. Guy-François DELAPORTE (traduction de),Métaphysique d’Aristote, Commentaire de Thomas d’Aquin, Tome II, 2012. Guy-François DELAPORTE (traduction de),Métaphysique d’Aristote, Commentaire de Thomas d’Aquin, Tome I, 2012. Babette BABICH? Philosophie analytique, La fin de la pensée contre philosophie continentale, 2012. Angèle KREMER-MARIETTI,Les ressorts du symbolique, 2011. Emmanuelle CHARLES,Petit traité de manipulation amoureuse,2011. Monique CHARLES,Apologie du doute, 2011. Abdelaziz AYADI,La philosophie claudicante, 2011. Mohamed JAOUA,Phénoménologie et ontologie dans la première philosophie de Sartre, 2011.
Yvette CONRY
Matière et matérialismes Etudes d’histoire et de philosophie des sciences
L’HARMATTAN
© L'HARMATTAN, 2013 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Parishttp://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-336-30231-7 EAN : 9782336302317
AVANT-PROPOS
Yvette CONRY, philosophe et historienne des sciences, prématurément disparue en 1992, a laissé un certain nombre d’inédits, parmi lesquels les cours réunis dans ce volume. Ceux-ci représentent l’analyse épistémologique d’une question scientifique et philosophique d’importance toujours cruciale. S’agissant de textes entièrement rédigés, le travail d’édition s’est limité à une vérification des références et à une mise en forme des notes. Toute erreur à cet égard me serait naturellement imputable.
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Éliane CUVELIER
I LA PHILOSOPHIE CHIMIQUE DE LA MATIÈRE ENTRE PARACELSE ETLAVOISIER
La matière spagyrique
Rappelons brièvement une situation d’origine, celle d’une matière sous le régime d’une pseudo-simplicité « élémentaire » avec le schéma quadripartite des couples feu – chaud; air – froid ; eau -- humide ; terre – sec. Sans doute faut-il voir là une transposition de la sensorialité tactile, hypostasiée, dans ses diverses impressions, en essences et entités, « qualités occultes » non commensurables et non mesurables. On serait ainsi en présence d’une matérialité anthropocentrée, voire modelée sur l’adaptation immédiate d’un vivant qui doit discriminer son milieu par les affections qu’il en reçoit. Pratique vitale donc, de conviction naïve, directe et réactive : là serait l’origine de la simplicité préliminaire, présupposée de l’ « élément » matériel, à savoir le radical et référent ultime de l’existence humaine.
Lamatière spagyriquede façon générale, autour de la s’articule, Materia primaet des « principes » que sont le soufre, le mercure et le sel, issus quant à eux de propriétés empiriques à l’intérieur d’une classification d’artisans : l’ordre fondateur serait, cette fois, d’un pragmatisme et d’une économie. Cette alchimie artisanale se conjoint à une médecine « chimique » : c’est-à-dire, en fait, à une pharmacopée matérielle minérale, par opposition avec le traitement par les « simples » (les plantes) prôné par les galénistes. Mais il ne s’agit nullement, en l’occurrence, d’un matérialisme médical : en témoigne la liaison signifiante entre la programmation / philosophie de l’alchimie comme recherche du perfectionnement des métaux en or, symbole de la santé et, en médecine, la recherche du remède universel « la panacée »). Il faut dire nettement qu’on est ici dans un méta-chimisme et une contre-chimie.
Chez Paracelse, laMateria prima,encore dénomméeIliasterouMysterium magnum, est la Mère (Matrix) où les objets prennent naissance. Elle est incompréhensible, dépourvue de toute forme, couleur, propriété ; ni mortelle, ni périssable ; incréée, bien que façonnée par l’artiste suprême. Elle se situe au-delà des « complexions » des Anciens, c’est-à-dire du mélange des matières et qualités. Il s’agit plutôt d’une substance unique, sorte de matière primordiale, modèle qui permet à la matière grossière, sensible et visible, de développer le pouvoir de croissance qu’elle recèle. La Materia primaparacelsienne est la somme des actions possibles et réalisables dans la nature.
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La vieille cosmologie professait que la matière était le matériau purement 1 passif entrant dans la préparation des « mélanges ». Dans l’esprit de Paracelse, la matière élémentaire est tout à la fois âme, force et pouvoir ; et l’âme en même temps se rapproche de la matière, est matérialisée. En fait, l’âme et la matière cessent de s’opposer et peut-être faut-il voir là l’influence de certaines notions moyenâgeuses concernant la « Matière 2 première » […] Outre ces raisons, et ces croyances philosophiques, les observations empiriques qui récusent les anciennes théories élémentaires ont, elles aussi une grande importance dans le paracelsisme : c’est le cas de la combustion de l’alcool en quoi l’observateur voyait un exemple de « feu 3 aqueux » ou d’ « eau brûlante ».
Où cède ici également la hiérarchie des éléments, telle que la formulait la cosmologie aristotélicienne : feu – air – eau – terre : ce qui autorisait et ce qu’induisait la hiérarchie à la fois d’un monde céleste / supralunaire et d’un monde terrestre infralunaire, où la « matière » céleste était affectée d’un coefficient axiologique maximal et positif. Aussi bien, en cetteMateria prima, tous les objets ont été créés, mais sans leur forme particulière. Ils y sont à l’état implicite, comme la statue qui préexiste dans le bloc de bois et qui ne se révèle que par l’enlèvement du bois excédentaire ; toutefois, dans laMateria prima, il : chaque parcelle accèdera à sonn’y a pas de déchets être par voie de séparation et condensation. La séparation est le modèle de toute naissance sensible à partir de laMateria prima.Donc les « éléments » s’en séparent et de ces éléments se séparent d’autres éléments « spéciaux ». Ainsi, il y a « des milliers de genres d’eau dans l’élémentaquaet l’eau» ; n’est pas simplement « humide et froide », comme l’ont cru les Anciens ; elle est « plusieurs centaines de fois aussi froide, mais n’est pourtant pas aussi humide » que l’eau ordinaire :leseaux diffèrent non pas par leur degré de froid ou d’humidité, mais bien par leur espèce, et toutes néanmoins ressortissent au même élément . Ainsi il y a des eaux destinées à devenir pierres, cristaux, d’autres à se convertir en formations para-végétales comme les coraux ; certaines constituent leliquor vitaede l’animal, leliquor terraedu sol. Mais les éléments ne sont pas ceux saisis par nos sens : ce qui est visible n’est que l’enveloppe de l’élément réel qui est esprit vivant dans la chose, comme l’âme dans le corps : le vrai élément, c’est la Materia primaou vie qui anime les créatures. Les principes / éléments sont des forces et des archétypes, d’une corporalité subtile, tapis dans les corps auxquels ils imposent des « signatures ».
1 Point de vue aussi bien aristotélicien que platonicien.2  Selon toute vraisemblance Avicebron, David de Dinant et le « panthéisme populaire » des Vaudois, des Béguins, des Adamistes de Bohême.3  Walter Pagel,Paracelse. Introduction à la médecine philosophique de la Renaissance, e Arthaud, 1963, 2 partie, p. 96.
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Quel est donc le statut du chimisme paracelsien ? Le soufre, le sel, le mercure diffèrent en qualité selon les objets. Chaque objet, à la limite, a son soufre, son sel ; l’or a ses ors. Ces principes ne sont donc pas assimilables aux substances des chimistes modernes. Et Lavoisier aura pour première tâche et premier mérite de purger l’ancienne nomenclature : où chaque objet était désigné par adjonction de ses multiples qualités et vertus, d’où une dénomination de surcharge par juxtaposition (huile de tartre par défaut, huile de tartre par excès, beurre d’arsenic). Le matérialisme chimique consistera d’abord à réduire la prolifération intempérante des particularisations. Ainsi sommes-nous, avec la problématique paracelsiste, dans un pseudo-matérialisme : l’éventail de la dispersion idiosyncrasique des éléments y est tel que, stricto sensu, la matière n’est pas pensée ; elle est à la rigueur recensée, mais plus encore rêvée vers une individualisation infinie. Et bien après le temps de l’alchimie, voire hors de la philosophie alchimique (mais peut-être pas hors de sa « mentalité »), on pourrait encore repérer dans cet enivrement d’un divers infinitésimal un des vices de la représentation de la matière par LE philosophe. Ecoutons Gaston Bachelard sur ce thème :
4 Voici alors l’autre pôle de l’antinomie : dans une autre série de jugements de valeur, on tient la matière comme la racine même de l’individuation, on lui donne, en tous ses éléments, souvent dans la plus infime partie, des qualités singulières, par essence incomparable d’une matière à une autre. Sur la matière prise ainsi comme racine de toute individuation, on fonde un irrationalisme radical. Et l’on défie le savant de connaître la matière « dans 5 son fond ». Au quantitativisme de la matière s’oppose alors un qualitativisme. Et le philosophe prétend que des intuitions toutes en nuance peuvent seules nous faire toucher la qualité. Il saisit la qualité en son 6 essence comme on goûte un vin fin. Il vit les nuances.
Aussi bien avec l’« élément spécial » paracelsien, nous sommes aux antipodes d’une scientificité matérialiste, car le « spécial » n’est pas le « spécifié » : c’en est même le contraire. Car il faut entendre par « spécifié » l’espèce matériellede toute autre, et non point l’irréductible et distinguée multiple singularité.
Il y a des espèces matérielles susceptibles d’être entre elles aussi nettement distinguées que le cône et la sphère dans le domaine des formes. La cire ne sera jamais confondue avec le goudron, non plus que l’hydromel avec la 7 panacée de Berkeley.
4 e  Le premier étant la « généralité » de la matière. V. infra « Masse et matière au XVII siècle ».5 Cf. Boutroux.6 e G. Bachelard,Le matérialisme rationneléd. 1963, chap. II, p.62., PUF, 1953, 2 7 Ibid., p. 63.
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