Alamar, un quartier cubain
219 pages
Français

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Alamar, un quartier cubain , livre ebook

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Description

A vingt ans tout juste, l'auteur boucle son sac et part finir ses études de géographie à Cuba. On est alors en pleine "période spéciale", peu après l'effondrement du bloc soviétique. Elle séjourne longuement à la Havane et découvre un quartier neuf, présenté par le régime comme la vitrine du socialisme cubain: Alamar. Il s'agit à la fois d'un palimpseste dans lequel s'inscrit lisiblement la politique cubaine depuis la révolution de 1959 et d'un quartier où se métissent toutes les catégories sociales. Devenue ethnologue, intriguée par cette ville inachevée, elle y retourne en 2002 et s'y installe.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2006
Nombre de lectures 54
EAN13 9782336271835
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

COLLECTION CARNETS DE VILLE
dirigée par Pierre Gras
PREMIERES PARUTIONS
Serge Mouraret, Berlin, carnets d’amour et de haine
Pierre Gras, Mémoires de villes
Suzana Moreira, São Paulo, violence et passions
Jacques de Courson, Brésil des villes
Pierre Gras, Ports et déports
Jean-Paul Blais, À la Bastille...
Muriel Pernin et Hervé Pernin, Transsibériennes
Nelly Bouveret, Mékong dérives
Thierry Paquot, L’Inde, côté villes
Collectif, Villes, voyages, voyageurs
Pierre Gras, Suite romaine
Baudouin Massart, Un été à Belfast
Daniel Pelligra, Quai du soleil; Lyon, port d’attaches
Bérengère Morucci, Alamar, un quartier cubain (janvier 2006)
Jean Hurstel, Réenchanter la ville (mars 2006)
Alamar, un quartier cubain

Bérengère Morucci
Sommaire
COLLECTION CARNETS DE VILLE Page de titre Page de Copyright PROLOGUE La Sibérie Beto et ses amis Près du Golf Une famille métisse La belle jeunesse A comer ! Bords de mer ÉPILOGUE LEXIQUE FRANCO-CUBAIN
www.librairieharmattan.com harmattan1@wanadoo.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr
© L’Harmattan, 2006
9782296000124
EAN : 9782296000124
PROLOGUE
Mon histoire avec Cuba est longue. Elle remonte à la formation de mes premières convictions politiques. N’ayant à l’époque que très peu d’informations sur ce pays et en butte au manichéisme ambiant, j’avais envie de découvrir une réalité qui m’échappait, vue depuis la France. Le désir de me « confronter au terrain » m’a ainsi amenée à voyager dans l’île dès que j’en ai eu la possibilité. J’avais alors vingt ans.
Hiver 1993. Je pars à La Havane pour plusieurs mois, dans le cadre de mes études de géographie. Cuba est en pleine « Période spéciale 1 ­ », en réalité une crise économique sans précédent. Depuis l’éclatement de l’Union soviétique et la chute des régimes socialistes dans les pays de l’Est, Cuba ne bénéficie plus des échanges avantageux (sucre contre pétrole) sur lesquels reposait son économie. Les États-Unis renforcent encore le blocus contre l’île. Cuba est plus isolé que jamais. Pour faire face à la crise énergétique qui s’en suit, des mesures drastiques de limitation de la consommation d’énergie sont prises. Les coupures d’eau et d’électricité sont constantes, les boutiques vides, les voitures rares et les transports publics ne fonctionnent pratiquement plus. Le développement du tourisme doit en principe amener de nouvelles ressources au pays et le sortir de la crise...
L’université de géographie où je dois me rendre pour étudier et avoir accès à la bibliothèque se trouve à une dizaine de kilomètres à l’est de La Havane, dans un quartier moderne, mais très isolé : Alamar. Mes premières expériences de balades urbaines à « dos de chameau » (« chameau » est la traduction de camello, nom donné, par dérision, aux bus havanais) datent de cette époque. Je passe des heures à attendre le métro-bus — le nom officiel des chameaux —, à traverser la ville dans des conditions plus que difficiles pour arriver à la bibliothèque. Celle-ci s’avère fermée une fois sur deux à cause des apagones (les coupures d’électricité) et d’un personnel défaillant, n’ayant pu rejoindre son lieu de travail faute de moyens de transport ou occupé à faire la queue toute la journée dans les magasins d’Etat pour acheter à un prix raisonnable une portion de nourriture.
Devenue guide accompagnatrice pour une association de voyages, je suis retournée régulièrement à Cuba. Pendant près de dix ans, je n’ai pas approché Alamar, si ce n’est à travers les vitres des cars qui nous emmenaient aux plages de l’est de La Havane.
Je me renseignais néanmoins sur son évolution auprès d’amis qui me dépeignaient le quartier comme le lieu de tous les trafics, de plus en plus dangereux désormais.
Je séjournais souvent, pour mon travail, dans les hôtels défraîchis du bord de mer. Aux touristes les plus aventureux, je proposais des excursions à Cojimar sur les traces d’Hemingway, prétexte pour quitter les « autoroutes touristiques » et proposer aux voyageurs une réalité sans climatisation ni guide officiel. Je me rapprochais ainsi davantage d’Alamar, ce lieu vilipendé par tous, qui m’intriguait et devenait du même coup si attirant.
J’imaginais cet endroit encore teinté d’authenticité socialiste, béni par les tropiques, comme un lieu où pourrait se mesurer plus facilement qu’ailleurs l’évolution du système cubain, car il semblait caché, non surveillé : un lieu où la parole et les échanges seraient plus simples, moins marqués par le rapport d’intérêt entre touristes et « autochtones ». On ne fait pas de tourisme à Alamar: il n’y a rien à y voir, si ce n’est la vie quotidienne, ses logiques, sa complexité.
Étudiante en ethnologie, travaillant sur les « cités » de la banlieue parisienne, j’en suis arrivée à concevoir une recherche sur l’image du quartier et son évolution à travers le discours de ses habitants. Et me voilà repartie à Alamar pour plusieurs mois...
Au fil de mes rencontres, je découvre, j’échange, je partage. Je me fonds dans la cité et y tisse peu à peu un réseau personnel parmi les militants communistes déviants, les révolutionnaires convaincus, les jeunes désabusés, les artistes poètes, les petits délinquants, les gros profiteurs et les idéalistes naïfs; tout un voisinage coloré, aussi complexe que l’est Cuba, pays « en pleine transition économique et sociale » depuis près de quinze ans. Ce sont les personnages de ce livre, héros volontaires d’une banalité quotidienne que j’ai partagé avec eux.
La Sibérie

Paroles de quidam
« Quartier marginal, c’est comme ça qu’on les appelle ici. Vous, vous dites autrement; quartiers pauvres, je crois. C’est très cubain ça, de dire marginal », me confie Carlos, un ami qui vit à Alamar depuis vingt ans.
« À Habana Vieja, les bâtiments tombaient, ça devenait dangereux. On les a détruits et on a envoyé les gens vers Alamar. Tous ne veulent pas venir, c’est loin de tout. Ici, on dit le dortoir. Cela veut bien dire ce que ça veut dire. Le problème ici, c’est qu’on n’a pas de lieu de distraction. Il y a une salle de la culture, un cinéma, le XI Festival. Dans la salle de la culture, on a la possibilité de suivre des cours de musique, de théâtre. Les en fants jouent à la balle dans la rue, les vieux jouent aux dominos sur une table dehors. On fait avec ce qu’on a, on s’en sort plutôt bien je trouve, c’est plus tranquille qu’ailleurs. Je te dis cela, mais moi, je ne suis personne d’important, je suis une personne parmi d’autres, un quidam qui vit dans le quartier, simplement. »

Première visite à Alamar
On m’avait dit : « Attention, à Alamar, tu rencontres de tout : du meilleur et du pire. Là-bas, on te fait un mariage comme on te fait un enterrement, il ne faut pas traîner avec tout le monde, mais bien savoir avec qui on parle ! »
J’ai rendez-vous place Hanoi avec Carlos. J’ai repéré les camellos (les « chameaux »), ces bus qui relient la capitale à sa banlieue comme des cordons ombilicaux : M1, M3. Le premier, celui que j’emprunte, part du Vedado, passe par le Capitole, emprunte le tunnel, longe Habana del Este, Cojimar et traverse tout Alamar, où il termine sa course à la base militaire. Quel que soit la longueur de son trajet, on s’acquitte de quarante centimes de peso cubain auprès du contrôleur, que l’on voyage assis ou debout, chargé ou pas, que l’on soit Cubain ou touriste. Tous unis et égaux dans la bosse du chameau.
Les taxis collectifs partent du Capitole. Pour dix pesos, on s’assure une place assise pour tout le trajet jusqu’à Alamar. À ma première tentative, je me fais refuser par les chauffeurs, qui me renvoient vers les taxis à touristes, à dix dollars la course. Je ne pourrai ainsi emprunter les taxis collectifs qu’après de longs repérages. D’abord, il faut prendre les taxis d’Alamar vers La Havane, identifier précisément les emplacements des voitures (tous les taxis collectifs partent de la même place), me faire reconnaître par les chauffeurs (ils habitent le quartier), savoir me repérer dans Alamar et appliquer certains codes à bord : parler le moins possible (mon accent me trahit toujours),

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