Changements dans la violence : Essai sur la bienveillance universelle et la peur
136 pages
Français

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Description

Tout est calme, tout va bien, et soudain l’intolérable surgit et avec lui la peur et la panique… L’irruption de la violence a toujours un air d’apocalypse. Et pourtant, elle a accompagné les hommes depuis les origines, elle est consubstantielle à l’histoire et il y a peu de chances qu’elle disparaisse. Car il y a en l’homme de la noirceur qu’il faut oser regarder en face. Celle de la cruauté et de la sauvagerie, celle du plaisir pris au meurtre d’autrui, celle, plus hypocrite, de la fascination pour le spectacle de la violence. Pourquoi alors nous scandalisons-nous devant les formes nouvelles de violence ? Pourquoi ce sentiment qu’il y a à la fois moins de violence et plus de violence, que le monde est plus facile à vivre et plus impitoyable, que la bienveillance est la loi universelle mais que la haine se porte mieux qu’elle, que la sécurité est un droit mais que la peur règne ?Yves Michaud est professeur à l’université Paris-I. Auteur de nombreux ouvrages, notamment Violence et politique, La Crise de l’art contemporain et Enseigner l’art ?, il est l’initiateur et le coordinateur de L’Université de tous les savoirs.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2002
Nombre de lectures 3
EAN13 9782738167750
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Yves MICHAUD
CHANGEMENTS DANS LA VIOLENCE
ESSAI SUR LA BIENVEILLANCE UNIVERSELLE ET LA PEUR
Avertissement Pour ne pas alourdir la présentation de ce livre, j’ai réduit l’appareil des notes aux références indispensables. La bibliographie finale répertorie, en revanche, tous les ouvrages utilisés durant l’élaboration et la rédaction de ce travail, à commencer par ceux des auteurs expressément mentionnés dans le texte.
www.centrenationaldulivre.fr
© O DILE J ACOB , MARS 2002 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-6775-0
Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2° et 3° a, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Catherine Lawless, ma femme.
Introduction

S’il y a un problème de la violence, ce n’est pas un de ces problèmes radicalement nouveaux que posent aujourd’hui la production d’énergie pour des milliards d’êtres humains, la pollution de la terre par leurs activités et leurs déplacements ou l’eugénisme qui se met en place derrière les avancées de la génétique.
Nous découvrons toujours la violence comme scandaleusement et absolument inédite pour la simple raison que nous vivons notre vie à nous et pas celle des autres, que c’est à nous que les choses arrivent et pas à un spectateur flottant au-dessus de l’histoire et qui en aurait vu d’autres. C’est pourquoi il y a toujours un air d’apocalypse à l’irruption de la violence dans une paix dont la durée se mesure à notre expérience.
Il est vrai aussi que les formes de la violence changent avec l’évolution des moyens techniques et les inventions de l’imagination meurtrière. Au point que la fiction cinématographique ou littéraire semble le laboratoire où s’élabore la réalité de demain.
C’est pourquoi il n’y a effectivement aucun sens à affirmer que les choses étaient pires au XVIII e  siècle, dans la Chine des années 1930 ou aux temps mérovingiens : personne ne fera jamais la comparaison pour de bon et, si l’on réfléchit au malheur de ceux qui ont vécu des épisodes atroces pour revenir ensuite à la paix (je pense à Primo Levi), ce n’est peut-être pas plus mal. Pour autant, la violence comme trait des actions et des interactions, caractéristique des comportements humains, n’est rien de nouveau. Pour le pire mais parfois aussi le meilleur (quand il s’agit de se débarrasser des tyrans et des fous sanguinaires), elle a accompagné les hommes depuis leurs débuts de chasseurs et de cannibales il y a à peine deux millions d’années ; elle est consubstantielle à l’histoire, à la technique et même à la culture et il y a peu de chances qu’elle disparaisse – à moins que, comme dans Le Meilleur des mondes , l’eugénisme justement…
La violence ne constitue pas non plus un de ces problèmes éternels et métaphysiques que nous traînons et traînerons toujours avec nous. Ou plutôt si, mais cette question, comme toutes les autres de la même sorte, est sans réponse parce qu’elle n’a que les apparences d’une question. Nous aimerions certainement y voir plus clair sur les rapports entre l’être humain et la violence, savoir si nous sommes des animaux dénaturés, humanisés, des dieux déchus ou que sais-je encore, mais, comme ces expressions le suggèrent, il y a peu de chances que l’on puisse inventer là-dessus autre chose que des contes et des mythes, propres à se bercer, à se consoler ou à se faire peur. Le plus loin que l’on puisse (et doive) aller ici est de reconnaître la connivence, l’intimité, la complicité trouble et malsaine de l’être humain avec la violence, ne serait-ce que pour ne pas céder à l’angélisme des bons sentiments. Il y a en l’homme de la noirceur, une extrême noirceur, qu’il faut oser regarder. C’est la noirceur de la cruauté et de la sauvagerie, celle du plaisir pris au meurtre et à la douleur d’autrui. C’est celle, plus hypocrite sous couleur de curiosité, de la fascination pour le spectacle de la violence, depuis l’attrait pour le sensationnel et le fait divers jusqu’au plaisir pris à l’horreur transfigurée par l’art. J’aurai plusieurs fois l’occasion d’y revenir.
Le problème de la violence est en réalité plus concret, plus localisé et mieux défini, même s’il nous apparaît de manière confuse et dans le malaise : c’est celui d’une situation comme celle que nous vivons, où la violence fait l’objet de contrôles et d’asservissements de plus en plus perfectionnés, d’usages de mieux en mieux maîtrisés, de refoulements de plus en plus forts et de condamnations morales de plus en plus catégoriques, et, en même temps, ne cesse de refaire surface en dépit de ces contrôles, dans leurs interstices ou leurs trous, mais aussi au sein même de cette maîtrise et de ces refoulements, au beau milieu d’eux. Tout est calme et tranquille, tout va bien, mais, soudain, l’intolérable surgit et avec lui la peur et la panique, comme dans un récit de Lovecraft ou de Stephen King. La violence est, comme on dit et croit, « sous contrôle », mais elle ne cesse de faire retour avec toute son horreur, ou bien ce sont les contrôles qui sont vécus comme violents. La paix elle-même semble insupportable de contraintes.
Cette violence qui resurgit est vécue comme inconcevable, inouïe, apocalyptique, ou bien, et parfois dans le même mouvement, comme inévitable, banale, fatale, comme quelque chose dont il faut que nous nous accommodions et dont, effectivement, nous nous accommodons.
Apocalypse ? Celle du terrorisme qui fait basculer la vie tranquille et affairée dans le cauchemar meurtrier et ébranle les certitudes les mieux assises en matière de paix et de sécurité, dont la menace oblige à emprisonner la vie, les activités, les échanges dans un réseau de précautions, de soupçons, de barrages et de contrôles. Les attentats de New York et de Washington, le 11 septembre 2001, ont marqué à cet égard une étape importante – en attendant malheureusement pire : le terrorisme bactériologique, chimique ou nucléaire. Le paroxysme de la catastrophe et de l’événement spectacle a fait cependant oublier que ces attentats venaient dans la suite d’une longue et banale habitude humaine du massacre où l’un chasse l’autre : Sabra et Chatila à Beyrouth, c’était en 1982 avec 2 750 morts par les milices libanaises, Srebrenica en Bosnie, c’était en 1995 avec 7 000 morts par les Serbes, Mazar-i-Sharif en Afghanistan, c’était en 1998 avec 6 000 personnes massacrées par les talibans, pour ne rien dire des massacres d’autrefois ni des génocides modernes ou récents.
Côté banalité et fatalité, c’est le même mélange d’affliction, d’indignation et d’indifférence. Si une poignée de touristes en vacances sur une île paradisiaque est victime d’un enlèvement par une obscure armée de libération tropicale, des moyens considérables en hommes, en temps, en argent et en médias sont mobilisés pour informer sur leur sort, les récupérer ou les racheter, mais la mort d’un passant tué par un automobiliste en état d’ivresse coûte à un chauffard civilisé normal quelques mois de prisons, la plupart du temps avec sursis, et il peut espérer moins en appel. Pour le reste, son assurance paiera. Des chirurgiens passent des heures à tenter de réimplanter le bras d’un motocycliste qui allait trop vite, mais la batte de base-ball pour casser la tête d’un membre d’une bande rivale est en vente à vingt euros dans un pays où personne ne joue au base-ball. Le harcèlement moral sur les lieux de travail est dénoncé comme une violence intolérable, mais on peut assassiner son prochain pour une peine très modérée si l’on a un bon avocat et un passé qui vous excuse. Même les assassins d’enfants finissent, selon l’expression consacrée, par « avoir payé leur dette à la société » et réclament la pitié après une incarcération qui, à écouter leurs avocats, aurait gâché leur pauvre vie. Les patrons des grandes entreprises étalent jovialement leur philanthropie universelle sur les écrans de télévision et dans la presse qu’ils contrôlent, mais ils annoncent dans des communiqués de presse jupitériens dix-mille ou vingt mille licenciements et quelques délocalisations. Israël, pays des rescapés de l’Holocauste, est la victime pitoyable des terroristes, mais l’armée israélienne a tué depuis le 3 octobre 2000 entre trois et dix Palestiniens chaque jour dans la routine du maintien de l’ordre et le bilan de la seconde Intifada s’élevait en octobre 2001 à près de six cents morts palestiniens.
Le constat difficile à vivre et à comprendre est qu’il y a à la fois moins de violence et plus de violence, que le monde est plus facile à vivre et plus impitoyable, que la bienveillance est la loi universelle, mais que la haine se porte aussi bien, sinon mieux, qu’elle, que la sécurité est un droit, mais que la peur règne. Tout cela sur le fond d’une communication et d’une médiatisation capables de tout dénoncer et de tout faire pardonner – et, j’insiste, les deux à la fois.
C’est cette situation que je veux essayer de décrire et de comprendre.
Pour y parvenir, je vais m’efforcer de décrire les situations et les faits, les sentiments qu’ils nous inspirent et les idées à travers lesquelles nous les appréhendons et, en même temps, de situer ces faits et ces concepts dans la dynamique de la production sociale, dans le processus de ce que les philosophes allemands appellent dans leur jargon (traduit) l’autoconstitution de la société. Quels changements et quelles continuités marquent aussi bien les faits de la violence que les représentations

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