Don de soi ou partage de soi ?
123 pages
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Don de soi ou partage de soi ? , livre ebook

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Description

Comment être avec l'autre ? Faut-il se donner à lui, ou bien, au contraire, partager avec lui cette chose étrange qui s'appelle l'être et le possible, le nôtre et le sien ? Ce livre passe par le drame de Lévinas et son éthique du don de soi. Pourquoi cette éthique a-t-elle ce succès curieux où tout le monde y acquiesce et où nul ne l'applique ? Dans ce drame, il y a des repères : Heidegger, le nazisme, la Shoah, le rapport ambigu à ses origines, d'autres épreuves aussi. Rarement destin de penseur a été plus en proie au déchirement de l'histoire et au thème de l'altérité. Mais la question éthique, elle, demeure : comment sortir de soi sans se perdre dans l'autre, ni le rendre captif de ce qu'on lui donne ? Il y va aussi de la question de l'identité : comment faire avec cet autre qui nous harcèle et dont on ne peut se passer ?Psychanalyste, professeur de mathématiques à l‚université de Paris-VIII, Daniel Sibony est l'auteur de plus d'une vingtaine d'ouvrages, parmi lesquels Violence, Les Trois Monothéismes, Psychopathologie de l'actuel.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2000
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738184979
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© ÉDITIONS ODILE JACOB, SEPTEMBRE  2000
15, RUE SOUFFLOT , 75005 PARIS
www.odilejacob.fr
EAN : 978-2-7381-8497-9
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Introduction

Aujourd’hui, beaucoup de ceux qui pensent sur l’éthique – sur les conduites humaines – semblent découvrir le « souci de l’autre » comme une grande nouveauté, alors que depuis trente siècles, dans la vieille Bible gîtent des paroles « radioactives » qui « émettent » tranquillement des appels du genre : Si ton prochain est en échec, rends-lui des forces ; Souhaite pour l’autre comme pour toi-même (qu’on traduit un peu vite par : aime ton prochain comme toi-même), etc. Par une sorte de surenchère on en fait un nouvel idéal, une panacée spirituelle, une éthique du tout-pour-l’autre : « il faut » se sacrifier à lui, le remplacer dans ses épreuves, répondre pour lui, reconnaître d’avance qu’on est coupable envers lui…
Purs principes, mais qu’on brandit fermement, quitte à très vite les nuancer de façon massive à partir de l’objection simple : et si tous les autres réclament également leur part de Moi, où vais-je donner de la tête ? ne vais-je pas risquer d’être injuste en donnant plus à celui-ci qu’à ceux-là ? Alors ladite éthique s’infléchit vite, dans les faits, vers une gestion raisonnable, qui calcule les priorités, répartit les quota , aboutit même à une théorie de l’État originale : l’État serait, non pas comme l’ont dit les grands classiques, une instance qui prévient la violence des hommes dans leurs déchaînements rivaux, mais l’instance qui empêcherait que dans le dévouement absolu qui les anime, ils n’aillent donner à tout-va, dans une bonté injuste parce que imprudente.
On a donc aujourd’hui un étrange clivage : d’un côté, une éthique du tout pour l’autre, d’une bonté « folle », qui voit dans chacun la transcendance se « révéler » ; et de l’autre, une logique gestionnaire solide et multiforme où ceux qui « ne jouent pas le jeu » ou n’entrent pas dans le bon cadre basculent vite dans le néant. Dans cet « entre-deux » un peu pauvre, la pensée de ce que nous sommes ou de ce qui nous pousserait à sortir de nous-mêmes vers d’autres possibles, semble incongrue, la pensée de nos rapports à l’ être , dans le vécu et l’invivable qui est le nôtre. C’est qu’elle menacerait le clivage de ces deux pôles, lequel fonctionne à plein sur une étrange hypocrisie qui n’a cure de se questionner : qui oserait dire aujourd’hui qu’il est « contre » l’éthique de Lévinas (symbole de l’éthique de l’autre, celle du don-de-soi, du dévouement « absolu »…)? sauf à risquer de paraître célébrer l’égoïsme que la plupart veulent vivre à fond mais en parlant de choses plus belles.
Eh bien rassurez-vous, ce livre n’est pas « contre », mais il prétend explorer le phénomène étrange, marqué par ce clivage, incarné par toute une mouvance à partir de Lévinas (passant par Derrida, Finkielkraut, etc.) ; interroger ce clivage entre don de soi et gestion des affaires – clivage que les sociétés chrétiennes ont fort bien supporté : entre d’un côté les paroles paradoxales de Jésus et de l’autre la bonne gestion du pouvoir, débonnaire ou implacable ; interroger aussi le drame philosophique de Lévinas dans son rapport en impasse à Heidegger qui l’amena à produire cette éthique. Cela peut nous aider à ouvrir la voie d’une autre éthique, non pas plus réaliste mais autrement plus exposée à l’ épreuve d’être où la rencontre de l’autre soit un partage et un passage vers d’autres formes du possible et d’autres libertés d’être. Notre fil rouge sera la pensée de l’ être dans ses ancrages les plus antiques et ses résurgences les plus présentes.
Allons-y. L’« éthique de Lévinas » appelle à « répondre pour l’autre », à être responsable d’autrui, à pouvoir le remplacer dans l’épreuve, à s’accomplir dans l’amour qu’on lui porte, à voir dans son visage l’écriture même de la loi morale et l’interdit de la transgresser. Elle pose qu’on n’est « jamais assez » proche de l’autre… Faut-il vraiment critiquer cela ? Pourquoi ne pas seulement constater que ces appels – notamment au don pour l’autre – sont très voisins de ceux du Christ et connaissent le même sort : ils sont vénérés puis doucement écartés, parce qu’« il faut bien » vivre, qu’autrui veut souvent votre peau, que son « visage » n’est pas toujours très accueillant, qu’il faut « un peu de réalisme ». Le même réalisme qui fit que Lévinas nuança cette passion pour l’autre par un peu de justice : s’il faut tout donner à chaque « autre », comment faire ? On peut disserter là-dessus sans dépasser le vieux clivage entre l’idéal et le réel, de sorte que dans cette éthique on se déclare très impliqué sans vraiment pouvoir l’être…
Mais ce n’est pas si simple. Lévinas identifie pensée et éthique – pourquoi pas ? – et son éthique, inspirée par l’Holocauste (comme symbole limite de l’indifférence à autrui) se veut un rempart sinon contre le retour de telles horreurs, du moins contre la lâcheté indifférente qui souvent les conditionne. Elle se veut une riposte radicale à l’égoïsme du sujet qui, bardé de confort et de savoir, ne pense qu’à « être », qu’à affirmer son souci de lui-même, oubliant l’injustice ambiante. Certes elle a des « excès » qui semblent la rendre impraticable voire déréelle. En somme : vous voulez empêcher la barbarie ? Répondez pour l’autre ; devenez des saints. Ailleurs on dit : imitez Jésus. Les effets en furent décevants, comme on sait. Et s’il faut que tout le monde fasse le geste christique pour sauver le monde, celui-ci pourra attendre, c’est-à-dire pourra souffrir encore longtemps.
Pourtant, cette éthique, en marge de ses « excès », est un rappel crucial à tous ceux qui sont lancés dans de grandes pensées ou de grands idéaux : le rappel que c’est dans le rapport à l’autre et non dans l’abstraction que le sujet trouve son chemin d’humanité et peut mettre à l’épreuve ses idées grandes ou petites sur l’existence.
Mais ce rappel salutaire – que nous aurons à discuter – bascule d’emblée chez Lévinas dans l’appel à «  répondre  » pour l’autre ; il faut se soumettre à son regard , emblème de la détresse humaine, se substituer à lui dans l’épreuve qui l’atteint. De sorte que l’« excès » de cette éthique n’en est pas un, c’est sa logique même, car qu’est-ce que chacun peut opposer à cela ? Son rapport à l’être ? Mais l’ être n’est autre que le moi , dit Lévinas, et ce rapport à l’être n’est autre que notre égoïsme.
Voilà bien le point crucial où cette éthique, nous le verrons, bascule étrangement. Il nous faudra comprendre pourquoi Lévinas a bradé la pensée de l’ être – qui pourtant dans la Bible est très intense (le mot clef y étant non pas « Dieu » mais l’être-temps, Yahvé, les mêmes lettres que HaVaYaH : l’être). C’est clairement autour de l’être, de la question de l’être, que s’est joué le drame de Lévinas en ce qu’il a de pathétique : au prix d’un sacrifice de soi, d’un poignant renoncement (à la pensée biblique de l’être), Lévinas, démuni, acculé, fut obligé de se replier sur cette posture fragile – qu’il mit toute son intelligence à rendre extrême, intéressante à force d’être intrigante, mais aussi peu utile qu’une exhortation passionnée : Consacrez-vous à autrui ! votre rapport à l’être, c’est autrui qui le détient ! Vieil appel judéo-chrétien, on n’a même plus à se demander pourquoi, il foire régulièrement et de façon si fracassante.
 
Ce renoncement à la pensée de l’être se révèle d’autant plus tragique que cette pensée, contre laquelle Lévinas dresse son éthique, fut développée par Heidegger, promu en France par le même Lévinas – qui la rejeta après la guerre devant l’horreur de l’Holocauste et l’option nazie de Heidegger. Simple détail : cette option était connue dès 1933, et le livre Autrement qu’être , clef de voûte de l’éthique lévinassienne, date de 1974 ; c’est dire que Lévinas a vécu plus de quarante ans dans la souffrance de l’amputation : il se coupe d’une pensée sur laquelle il s’est fondé, et pour ne pas tomber dans le vide, il développe un moralisme que seule sauve du ridicule son « obsession », son « excès », le forçage même qui en fait un symptôme. Si en outre, on sait que ladite pensée de l’être de Heidegger est ancrée dans la pensée biblique (juive) de l’être, on peut dire que le chemin de Lévinas confine à la passion (terme essentiel de son éthique) voire au chemin de croix – sur le plan et du vécu et de la pensée ; chez lui elles furent unies dans la même blessure.
Il s’agit donc de comprendre ce qui a fait produire à un homme une pensée à l’évidence excessive (se sacrifier pour l’autre, répondre pour lui où qu’il soit et quel qu’il soit…), une pensée que son auteur n’a semble-t-il pas appliquée, ne répondant à ce point ni de ses proches ni de ses lointains. Et ses adeptes aussi perpétuent le même décalage : appelant au sacrifice et à la responsabilité pour l’autre sans que cela ait d’incidence dans leur vie, alors que c’est le support de leur discours. La conviction semble aussi sincère que décalée du monde réel. Cela mérite d’être interrogé comme formation singulière du rapport à l’autre.
Que lui est-il donc arrivé ? Pas seulement « la Shoah » ; ou plutôt, elle a chez lui percuté un contexte plus complexe : a) son système de valeurs est au départ très « grec », très « occidental » ; le judaïsme y est mis en marge, non pas refoulé mais écarté, p

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