Insularité, langue, mémoire, identité
184 pages
Français

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Insularité, langue, mémoire, identité , livre ebook

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Description

Réunissant des textes en français et en arabe, le présent ouvrage est le résultat de réflexions de spécialistes (sociolinguistes, anthropologues, géographes, archéologues, littéraires...) sur une notion pluridisciplinaire, l'insularité. Les chercheurs ne portent pas sur cette notion uniquement un regard théorique mais traitent aussi d'aspects concrets relatifs à l'insularité dans les îles telles que Djerba, la Corse, Mayotte, les Comores, Kerkennah, etc.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 15 mai 2017
Nombre de lectures 12
EAN13 9782336789774
Langue Français
Poids de l'ouvrage 14 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture

Cover

4e de couverture

4e Image couverture

Titre

Sous la direction de

Foued Laroussi

 

 

 

 

 

 

Insularité, langue,

mémoire, identité

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’HARMATTAN

Copyright

 

© L’HARMATTAN, 2017

5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris

 

http://www.editions-harmattan.fr/

 

EAN Epub : 978-2-336-78977-4

Introduction :
L’insularité, une notion multidimensionnelle

Foued LAROUSSI1

 

« Si l’insularité constitue le statut de la connaissance aujourd’hui, cela signifie d’abord que celle-ci se décline essentiellement au pluriel même dans les sciences dites (follement) dures, qui sont aussi plus rigides que les autres. Nous sommes entrés dans l’ère des savoirs sectoriels, multiples, éclatés. De petits morceaux de savoir voguent sur l’océan : l’image inventée par Claude Lévi-Strauss, dans la célèbre préface aux œuvres de Mauss, et selon laquelle le monde est un océan de signifiés errants et un océan de signifiants errants, que le travail scientifique consiste justement à apparier, les uns aux autres, reste d’une extraordinaire capacité d’éclairage. »

 

Louis Porcher2, « Belles îles en mer », 1998, p.12

 

L’île de Djerba (Tunisie) a accueilli du 26 au 28 septembre 2014 des chercheurs de nombreuses îles du monde, venus participer au colloque international intitulé « Insularité, langue, mémoire, identité » que le laboratoire Dysola-Linguistique (Université de Rouen) a organisé en partenariat avec l’unité de recherche Anthropologie de la culture euro-méditerranéenne de la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba (Université de Tunis) et le Centre euro-méditerranéen de Houmt Souk (Djerba).

Le présent ouvrage, réunissant des textes en français et en arabe, est le résultat de trois jours d’échanges et de débats entre divers spécialistes (sociolinguistes, anthropologues, géographes, archéologues, littéraires…) autour d’une notion pluridisciplinaire, l’insularité.

Selon le Petit Robert (1993), le mot « insulaire », du bas latin insularis, de insula « île », a deux sens : 1. « qui habite une île » ; 2. « qui appartient à une île, aux îles ». Il en va de même pour le mot « insularité » qui a, lui aussi, deux sens : 1. « configuration, état d’un pays composé d’une ou de plusieurs îles » ; 2. « caractère de ce qui est insulaire ».

S’il est possible de définir l’insularité comme la configuration d’un territoire formé d’une ou de plusieurs îles avec toutes les caractéristiques qui lui sont propres (populations, modes de vie, langues, patrimoines, coutumes, etc.), les textes réunis dans cet ouvrage présentent l’insularité comme une notion complexe, car multidimensionnelle. L’approche envisagée est donc pluridisciplinaire, les auteurs mettant l’accent sur des aspects tels que les rapports entre insularité et productions langagières, insularité et mémoire, insularité et mode de vie, insularité et patrimoine…

Les espaces insulaires étant en principe de taille plus petite que les continents, il s’agit autant que faire se peut d’observer et d’analyser l’impact de phénomènes tels que l’enclavement, la périphérie, la contiguïté, la connexité et l’isolement sur l’imaginaire collectif des insulaires (leurs pratiques langagières, créations artistiques, traditions orales…) ainsi que sur les regards qu’ils portent sur leurs territoires.

À la lecture des différents textes réunis ici, de nombreuses questions se posent ; en énumérer certaines ne signifie point circonscrire la problématique, mais explorer des pistes de recherche. Existe-t-il des traits spécifiques à l’insularité ? Si tel était le cas, de quelle nature seraient-ils ? Les caractéristiques liées à l’insularité déterminent-elles des configurations géopolitiques spécifiques, voire un contenu identitaire proprement insulaire ? L’insularité constitue-t-elle un marqueur identitaire ? D’un point de vue langagier, littéraire, artistique comment se manifestent ces marqueurs identitaires ? Quelles sont les représentations sociales liées à l’insularité que véhiculent les littératures de voyage ? Comment se manifeste le fait insulaire dans la mémoire populaire collective (chroniques, contes, légendes, chants, récits historiographiques, guides touristiques…) et dans le patrimoine matériel et immatériel ?

Si dans leur imaginaire collectif, les insulaires ont coutume de présenter leurs espaces comme des territoires fermés et ayant le sentiment de s’y trouver isolés, qu’en est-il, aujourd’hui, de cet isolement s’inscrivant dans un monde de plus en plus dominé par la mondialisation des moyens de communication, et dans lequel révolution numérique, multimédia et internet ont complètement modifié notre mode de vie ? Dans d’autres termes, les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication ont-elles rendu caduques les frontières des territoires insulaires ? Dès lors, la notion d’isolement a-t-elle encore un sens ? Outre ces aspects liés aux bouleversements dus à la révolution numérique, les contributeurs à cet ouvrage n’ont pas passé sous silence d’autres phénomènes tels que les flux migratoires de et vers les espaces insulaires. Certes ces phénomènes ne sont pas nouveaux, mais ils ne cessent de prouver la porosité des frontières qu’elles soient géographiques, politiques ou linguistiques.

Compte tenu du caractère multidimensionnel de l’insularité, nous avons jugé pertinent de l’appréhender par le biais de regards disciplinaires croisés, l’objectif étant d’essayer autant que possible de cerner ces territoires insulaires et de les analyser dans leur complexité et globalité. Les espaces insulaires ne sont pas perçus uniquement en tant qu’objets d’étude pour eux-mêmes, mais sont également conçus dans une démarche comparative avec les territoires continentaux (particularités, spécificités, éléments constants, mutations...) Les frontières insulaires déterminent-elles des configurations géopolitiques précises, et, partant, jouent-elles le rôle de marqueur identitaire ?

Quel que soit l’espace insulaire concerné ici, les diverses contributions rassemblées dans cet ouvrage tentent autant que faire se peut d’apporter des éléments de réponse à ces interrogations. Traitant d’espaces insulaires tels que les îles de Djerba, Kerkennah, Corse, Mayotte, La Réunion et La Nouvelle-Calédonie, les auteurs ont recours à la notion d’insularité comme un fil conducteur leur permettant de problématiser toutes les questions relatives aux territoires insulaires.

Le texte de Régine Delamotte rend hommage à Jean-Baptiste Marcellesi3, sociolinguiste de renommée internationale, « fondateur du laboratoire en Sciences du langage de l’Université de Rouen et l’un des pères de la sociolinguistique en France. Ses concepts théoriques, précise Régine Delamotte, ont été forgés à partir de son travail sur la Corse, son île natale. Ils demeurent d’une totale actualité, en général dans notre discipline, et d’autant plus dans un colloque sur la notion d’insularité ». Elle montre que la plupart des concepts sociolinguistiques que Jean-Baptiste Marcellesi a forgés : « individuation sociolinguistique », « langue minorée », « satellisation », « langue polynomique », etc. ont été inspirés par l’observation et l’analyse de la situation sociolinguistique corse.

C’est aussi à la Corse que Lesia Dottori s’est intéressée, tout particulièrement à son patrimoine insulaire, dans l’objectif d’en faire un patrimoine vivant. Dans une approche anthropologique, elle s’interroge sur les rapports, d’une part entre identité insulaire et société globalisée et, d’autre part entre mondialisation effrénée et développement durable. Afin de penser la diversité culturelle, Dottori questionne les processus et les mutations de l’époque tout en réexaminant les catégorisations sociales dans le but de les défiger. Elle montre que, contrairement à une image souvent passéiste, la Corse n’est pas « un lieu d’enfermement » ; elle dispose d’un riche patrimoine, matériel et immatériel, issu d’échanges culturels et commerciaux permanents.

S’agissant du patrimoine culturel et historique de l’île de Djerba, le texte de Sarra Ben Jebara Boussaada fait écho à celui de Lesia Dottori. Traitant des représentations de l’île de Djerba à travers les récits de voyages et guides touristiques, elle aborde l’évolution de la perception de l’espace insulaire djerbien en mettant l’accent sur la relation avec la terre : « île aux sables d’or », « île des Lotophages », « île oasis ». Elle signale que le développement du tourisme balnéaire a fait de l’île de Djerba une destination prisée non seulement pour les étrangers, mais aussi pour les Tunisiens. Cependant, si ce développement a permis aux Djerbiens de se réconcilier avec la mer, il a contribué néanmoins à l’accélération de l’abandon de la terre. En effet, la fin du XXe siècle et le début du XXIe marquent la rupture avec les représentations valorisant le travail de la terre. Dans les nouveaux guides touristiques émerge une nouvelle conscience qui consiste à mettre en garde contre l’abandon du patrimoine de l’île et le risque de le voir sacrifier au profit du développement d’un tourisme de masse dont les répercussions ne seraient pas toujours profitables à l’île.

Le texte de Zouhair Teghlet, consacré à l’île de Djerba aussi, va dans le même sens que la contribution de Sara Ben Jebara Boussaada. L’auteur traite des manifestations de la croyance religieuse dans l’architecture ibadite relative aux mosquées. Mettant en exergue les points communs entre les mouvements de la prière et les lettres arabes calligraphiées traçant le mot Allah (cf. les différentes illustrations dans le texte), il montre que l’architecture prend les mêmes formes que le tracé de la calligraphie. À Djerba, les mosquées relèvent d’un « système d’interaction » situant l’architecture dans une harmonie totale avec son contexte. Cet espace obéit aux règles de la religion musulmane réadaptées et réinterprétées selon le rite ibadite, lequel considère les mosquées non seulement comme des lieux de culte, mais surtout comme d’importants centres d’activités politique, administrative et scientifique qui ont joué un rôle capital dans le développement de la pensée musulmane dans sa forme ibadite. Ces centres d’enseignement et de production du savoir ont donné lieu également à des manifestations culturelles et politiques spécifiques à l’île de Djerba.

Si ces contributions s’intéressent aux insulaires de l’intérieur, celle d’Inès Ben Rejeb est consacrée, elle, aux discours des Djerbiens résidant hors de Djerba. S’appuyant sur une enquête de terrain (entretiens semi-directifs) et analysant les rapports entre discours et insularité, elle montre que les Djerbiens entretiennent avec leur île natale des rapports fonctionnant comme des marqueurs identitaires : « quand tu rentres à Djerba, tu sens que tu vas retrouver tes racines, elle représente tes origines ». « Malgré l’extrême mobilité des Djerbiens, écrit Inès Ben Rejeb, l’identité insulaire se construit dans et par l’espace d’origine », parce que « l’éloignement de l’île renforce davantage les liens avec la terre natale ».

Consacré à l’île de Kerkennah, le texte de Mounira Kebaïli Tarchouna s’inscrit dans la continuité de ceux présentés précédemment sur l’île de Djerba. À l’instar des îles méditerranéennes, l’archipel de Kerkennah est d’une grande richesse culturelle. Son occupation humaine, très ancienne, a laissé des traces archéologiques, culturelles et patrimoniales très variées. La volonté de ses habitants de s’adapter à leur milieu insulaire a également marqué l’île, en particulier pour ce qui est de la pêcherie fixe. Ce territoire insulaire est resté à l’abri des grands aménagements touristiques, ce qui explique son originalité : certains endroits restent encore vierges. Pour Kébaïli Tarchouna, cette originalité constitue des atouts pour un tourisme culturel et écologique qui pourrait mettre l’accent non seulement sur les sites archéologiques, mais aussi sur la pêche artisanale, l’agriculture traditionnelle, la musique folklorique, l’art culinaire, etc. Autrement dit, un tourisme culturel qui mettrait en valeur l’ensemble du patrimoine matériel et immatériel de l’île.

Portant sur l’influence de la Méditerranée sur le paysage sociolinguistique tunisien, la contribution de Raja Chenoufi-Ghalleb traite d’un parler marin en Tunisie, celui des ports de pêche et d’un centre d’élevage de poissons. Elle envisage la dimension insulaire à travers la notion d’enclavement. Observant la façon dont sont construits les technolectes des professionnels de la mer, elle met en exergue le dynamisme des pratiques langagières plurilingues, en Tunisie, qui se nourrissent entre autres d’emprunts faits à l’italien et au français. Pour elle, les identités spécifiques de ces marins participent de la diversité du paysage sociolinguistique tunisien.

Puisque ces contributions nous font voyager dans le temps et l’espace, nous passons de la Méditerranée à l’océan Indien, plus précisément de la Tunisie à Mayotte, une île sur laquelle portent les travaux des sociolinguistes de Rouen depuis plus d’une décennie. Le texte de Mlaili Condro est consacré aux Chroniques mahoraises, cinq manuscrits, écrits à partir de la seconde moitié du XIXe siècle par des érudits arabophones, issus de l’aristocratie comorienne, en majorité mahoraise. Ils traduisent « une certaine reconfiguration sémiotique et politique de l’espace insulaire mahorais ». Ce sont des textes polygénériques mêlant récits d’événements historiques, généalogies, contes et légendes dans l’objectif d’aboutir à une mythification de l’histoire de Mayotte. Les chroniques mahoraises sont adressées au nouveau pouvoir colonial français afin de mettre en valeur le statut aristocratique du sultanat de Mayotte, sa légitimité ainsi que le rôle politique joué par l’aristocratie mahoraise en faveur de l’établissement de la colonisation française à Mayotte.

 

Dans une approche sémiotique et discursive, Mlaili Condro tente de saisir la conception du sultanat et de son pouvoir politique à travers les chroniques mahoraises qu’il envisage comme « un procès discursif et sémiotique du sultanat mahorais », représentant son pouvoir « comme un pouvoir tendu entre deux types de détermination », « insulaire » et « archipélique ». Pour Condro, « préoccupées par la question de la légitimité les chroniques mahoraises ne peuvent échapper à la question de l’origine du pouvoir sultanique », c’est-à-dire sa « constitution » et son « statut historique ». C’est le principe de la matrilinéarité qui non seulement fonde et gère la transmission légitime du pouvoir sultanique à Mayotte, mais aussi « fait de celui-ci un pouvoir insulaire, qui ne saurait être soustrait aux Mahorais, ni être le prolongement d’un autre pouvoir insulaire (malgache ou anjouanais) ». Et c’est, justement, pour cela que les chroniques considèrent le dernier sultan malgache de Mayotte, Andriantsouli4, « comme un usurpateur, et les sultans anjouanais comme des prétendants non légitimes au trône de Mayotte parce que ne faisant pas partie de la matrilinéarité des sultans de Mayotte. »

Mlaili Condro met ainsi à nu les propres contradictions des chroniques mahoraises, en tant que textes narratifs mêlant objectivité et subjectivité, car, en situant, par ailleurs, l’origine du pouvoir sultanique dans une patrie lointaine, Chiraz, c’est-à-dire hors de l’île de Mayotte et de l’archipel des Comores, les chroniques ont recours à un autre principe, celui de la patrilinéarité des généalogies des sultans mahorais qui les fait remonter à leurs ancêtres chiraziens. Or le « mythe de Chiraz », qui tient donc sa légitimité du principe de la patrilinéarité, est contredit par celui de la matrilinéarité, argument très souvent mis en avant par les chroniqueurs mahorais pour délégitimer l’inscription archipélique du pouvoir sultanique.

Quoi qu’il en soit, les chroniques mahoraises assimilent le sultanat de Mayotte à l’aristocratie mahoraise qui a permis sa constitution au XVIe siècle. Elles témoignent également de son remplacement par « la colonisation française et de sa continuation à travers la constitution d’un corps politique local, l’aristocratie mahoraise et ses notables érudits ». Et ce sont ces mêmes notables, réunis en conseil, qui approuvèrent la décision « de faire don de l’île de Maorè au roi de France ».

 

Ainsi le particularisme politique mahorais trouve-t-il ici ses vraies origines ? Si tel était le cas, le vote par l’Assemblée territoriale comorienne, en 1958, de la résolution sur le transfert de la capitale de Dzaoudzi (Mayotte) vers Moroni (Grande Comore)5, présenté souvent par les historiens comme l’acte politique à l’origine de la décision des notables Mahorais de se séparer des Comores, ne serait-il alors qu’un épiphénomène ?

Faisant écho à la contribution de Condro, le texte de Mahfoud Mahtout met l’accent sur d’autres aspects montrant que Mayotte, département français d’outre-mer, est construite d’apports multiples : austronésienne et africaine de traditions, musulmane de religion, Comorienne de culture et Européenne de statut. Traitant de l’éducation à Mayotte, il décrit deux systèmes éducatifs très différents, l’école coranique et l’école publique, dite « républicaine » qui coexistent sans réellement cohabiter. Dès son jeune âge, l’enfant est dirigé vers l’école coranique où il apprend non seulement le Coran, mais aussi le calcul, la politesse, le respect, la solidarité, la fraternité, etc. À son arrivée à l’école publique, l’élève mahorais parle déjà une langue première autre que le français ; de plus, il est alphabétisé en arabe. Le français devient sa langue seconde dans laquelle il va exclusivement apprendre à lire et à écrire, l’école publique interdisant l’usage des langues premières. Pis, elle exige de ces petits de ne parler qu’en français6. Pour Mahtout, les deux écoles, coranique et publique, ne doivent pas s’ignorer. Il déplore que l’école publique ne tienne compte ni des acquis langagiers ou culturels ni des apprentissages développés par l’école coranique afin de les mobiliser dans le but d’assurer une bonne éducation aux élèves, respectueuse des valeurs multiples de la société mahoraise et valorisant la diversité linguistique et culturelle comme source d’enrichissement. Au contraire, dans le droit fil d’une politique éducative jacobine et assimilationniste, l’école publique reste fermée aux langues mahoraises.

C’est aussi sur la thématique de l’éducation à Mayotte que porte la contribution de Pascal Ferrié. Loin d’une déclinaison d’actions éducatives entreprises par l’État, l’auteur met en avant un fonctionnement se fondant sur l’articulation de compétences de divers acteurs éducatifs. Il propose une approche dynamique allant à l’encontre d’une conception « partielle » ou « mono-institutionnelle » qui ignorerait les réalités sociales et culturelles de Mayotte. Dans le but d’identifier les partenaires efficients, les dysfonctionnements et les résistances, Ferrié plaide pour la création d’un observatoire des politiques éducatives à Mayotte, un organisme transversal qui ferait appel aux compétences diverses (État, Conseil départemental, chercheurs, acteurs politiques, associations éducatives…) et qui prendrait en charge les politiques éducatives dans cet espace insulaire, souvent traité comme le parent pauvre de la France. Cet observatoire devrait fournir un cadre d’échanges, de propositions et d’analyses, en matière de conception, aménagement et contextualisation des politiques éducatives nationales.

Portant également sur Mayotte, la contribution de Mahfoud Mahtout et Mlaili Condro est consacrée à la réforme de la justice cadiale, installée dans l’île hippocampe depuis l’époque chirazienne, au XVe siècle. Passant en revue les stratégies discursives et argumentatives ayant conduit à cette réforme à l’aune de la départementalisation de Mayotte, les auteurs étudient les conséquences et enjeux de la réforme sur la société mahoraise. Sa première conséquence est la remise en question de la justice cadiale dont l’organisation et le fonctionnement ont été très souvent mis en cause, ce qui a entraîné la modification du statut personnel du droit local, lié directement à la justice cadiale. On passe du droit coutumier au droit commun, ce qui entraîne une réduction des attributions des cadis au profit des juges de droit commun. Au terme d’une réforme qui a duré plus d’une décennie, la justice cadiale est définitivement supprimée, et le rôle des cadis est réduit à une sorte de « médiation sociale ». Examinant des termes, utilisés par le législateur pour mettre en œuvre la réforme, tels que « extension », « identité législative », « modernisation », « clarification du statut personnel », « médiation sociale », les auteurs montrent que derrière les mots politiquement corrects, s’est profilée une réforme rapide, silencieuse et incompréhensible qui n’a pas laissé le temps aux citoyens de se constituer une conscience juridique.

Consacrée à l’analyse de textes littéraires d’auteurs mahorais francophones, la contribution de Foued Laroussi montre que l’insularité est une notion constamment convoquée par ces auteurs pour décrire les transformations fulgurantes que connaît Mayotte actuellement. Ballottée entre tradition et modernisme, écartelée entre culture locale et culture métropolitaine, divisée entre droit coutumier et droit commun, l’île hippocampe doit composer avec tous ces antagonismes. La société mahoraise, fortement marquée par l’insularité, et dont l’évolution a été largement influencée par les apports extérieurs, doit faire face, aujourd’hui, à une immigration massive en provenance des îles comoriennes voisines, une natalité galopante et une pauvreté endémique dont l’impact sur le paysage sociolinguistique est indéniable. Dans les textes romanesques mahorais, l’espace insulaire, qu’il soit géographique, politique, littéraire ou imaginaire, fonctionne très souvent comme un marqueur identitaire.

Sans quitter l’océan Indien, avec le texte de Mélanie Mezzapeza, nous passons de Mayotte à la Réunion, une île qui s’est construite dans un contexte historique lié à la colonisation où les transplantations sociohistoriques et culturelles complexes, les rapports entre dominants et dominés et la négation de certaines cultures structuraient la vie sociale. Étudiant le shikao7, un réseau associatif mahorais à la Réunion, qui perpétue l’identité collective du groupe, M. Mezzapeza veut comprendre jusqu’à quelle mesure le monde associatif mahorais permet d’étudier le lien entre territoire, économie et identité. Quelle construction identitaire est-elle en train d’émerger de ce shikao et quelle nouvelle territorialité est-elle en train de se créer en contexte migratoire ? En construisant l’identité collective en terrain d’immigration, le shikao reterritorialise les pratiques culturelles, culinaires, musicales et religieuses.

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