La dominaction
91 pages
Français

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Description

Eva, une « sans-ami » sur les réseaux sociaux, André, salarié « restructuré » après trente ans passés dans l’industrie chimique, Louis, sans emploi, cherchant à prouver sa « bonne volonté » à l’aide sociale, Nadia, jeune femme infibulée confrontée au système médical suisse... Comment ces personnes vivent-elles ces vies sous contrainte ? Que font-elles face aux dispositifs institutionnels ou aux liens sociaux qui les privent d’une partie de leur liberté d’être ou de faire ce qu’elles souhaitent ? Les situations de domination ordinaire sont peu visibles dans l’espace public suisse. Nos recherches permettent de montrer que, bien loin d’être silencieux et passifs, les « dominés » mettent en place des moyens d’agir originaux. Ainsi en est-il des personnes séropositives usant du secret pour échapper à l’opprobre, des étrangers négociant et détournant les noms dont on les affuble ou encore des femmes dépendantes économiquement gagnant par un travail empathique auprès de leur mari des plages d’autonomie personnelle. Même sous contrainte, ils agissent et s’aménagent des marges de manoeuvre. Ces figures de l’action sous domination ou de dominaction, comme nous les avons appelées, représentent ainsi une énigme aujourd’hui, dans un monde où les formes de pouvoir sont de plus en plus désincarnées et où la distribution de la considération sociale, de la réputation ou de la reconnaissance constitue un enjeu central de nos sociétés.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782889301980
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0120€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© Éditions Alphil-Presses universitaires suisses, 2018
Case postale 5
2002 Neuchâtel 2
Suisse
 
www.alphil.ch
 
Alphil Diffusion
commande@alphil.ch
 
ISBN Papier : 978-2-88930-153-9
ISBN EPUB : 978-2-88930-198-0
 
Publié avec le soutien du Fonds national suisse de la recherche scientifique.
 
Les Éditions Alphil bénéficient d’un soutien structurel de l’Office fédéral de la culture pour les années 2016-2020.
 
Illustration de couverture : © Jean-Damien Fleury/Charlatan (http://www.charlatan.ch/)
 
Responsable d’édition : Sandra Lena


Avant-propos Fabrice Plomb
A yant un moindre accès aux capitaux économiques, culturels et symboliques comme aux capacités et aux opportunités de se dire, de rendre compte de leur expérience et de faire valoir leur parole, certaines figures de la société suisse, comme les femmes, les migrants, les personnes séropositives, les salariés disqualifiés, les jeunes en situation d’exclusion, les bénéficiaires de l’assurance-invalidité, sont (re)présentées dans l’espace public de façon caricaturale, victimisante ou stigmatisante. Dans la sphère publique, ces figures diverses sont parlées plus qu’elles ne parlent. L’ambition de ce livre, qui s’appuie sur des recherches menées depuis plusieurs années à l’Université de Fribourg, propose de leur donner la parole de manière à porter un autre regard sur ce que nous avons appelé les figures ordinaires de la domination .
Nous explorons dans cet ouvrage la variété des expressions publiques possibles de la domination ordinaire se situant entre l’idéal type du silence et du repli sur soi, d’un côté, et la mobilisation collective sous forme de révolte ou de participation au jeu politique, de l’autre. Nous montrons que, bien loin d’être silencieux, ces « dominés » créent des passerelles originales entre ce qu’ils vivent, ressentent, expérimentent en leur for intérieur et ce qu’ils expriment par la mise en public d’une parcelle d’eux-mêmes. Cette expression peut être freinée par le développement de dispositifs institutionnels nouveaux qui, tout en répondant aux besoins individuels de faire reconnaître une « épreuve existentielle », en limitent la portée à des sphères semi-publiques sous contrôle. Cet entre-deux, peu exploré en sciences sociales, donne à voir des rapports variés aux institutions, vues à la fois comme schèmes de pensée et organisations, qui offrent un cadre d’opportunités et de contraintes aux conduites des individus.
Les outils des sciences sociales permettent d’accéder à ces mises en public de soi « invisibilisées » aussi bien par les représentations médiatiques et expertes que par les politiques publiques ou encore par toutes les formes de rejet ordinaire. On pourra lire ici les linéaments d’une théorie des formes élémentaires de la domination qui prend en compte la diversité des types de pouvoirs, aussi bien du côté de ceux qui définissent les « règles » que du côté de ceux qui, tout en les subissant, en font un usage individuel créatif afin de parvenir à faire reconnaître une partie d’eux-mêmes.
Toutes les recherches dont nous rendons compte dans ce livre dévoilent des situations de domination peu visibles en Suisse. Mais elles montrent aussi des personnes qui agissent et réagissent dans ces situations, s’aménagent des marges de manœuvre et s’impliquent dans les entretiens qu’elles nous ont accordés dans le cadre de recherches scientifiques. La mise en commun de nos recherches et des approches privilégiées nous a posé un certain nombre de questions auxquelles nous proposons des réponses dans cet ouvrage. La première, sous-jacente à toutes ces études, concerne le rôle du sociologue dans la diffusion de connaissances sur des populations peu visibles dans le contexte suisse. Les sujets de l’inégalité et de la domination sont très peu thématisés dans l’espace public suisse et les personnes dont nous livrons ici l’expérience ne parviennent que rarement à l’étage de la représentation publique ou même politique. Pourquoi ce qui nous apparaît comme évident lorsqu’on connaît dans la durée ces populations, ces microcosmes sociaux, reste-t-il totalement invisible dans notre pays ?
Le deuxième problème auquel nous avons été confrontés concerne les sciences sociales et le manque d’outils conceptuels à disposition pour penser l’entre-deux, les interstices de la domination dans lesquels se trouvent les personnes interviewées et observées dans les enquêtes présentées. Comment rendre compte de modes d’agir ou d’actions qui sont sous l’emprise de règles non décidées par ceux qui les entreprennent ? Bien sûr, cette question n’est pas nouvelle en sociologie, mais il nous apparaît que l’arsenal conceptuel à disposition n’est pas adapté à nos découvertes empiriques et qu’il s’agit de le renouveler, même modestement. Le néologisme composé pour l’occasion de « dominaction » nous paraît riche d’enseignements heuristiques et il constituera le fil conducteur des différents textes proposés dans ce livre.
P réambule à la dominaction
Comment les individus agissent-ils sous condition de domination ? Les situations observées et analysées dans ce livre posent toutes cette question de départ. Une partie de la situation, de l’expérience de vie des personnes dont nous parlons dans cet ouvrage, échappe à leur maîtrise. Pourtant, en deçà de la dépendance à des règles dominantes, elles développent aussi un pouvoir d’agir à une échelle plus fine : celle des interactions et du jeu des émotions (Claire Balleys, Caroline Henchoz), celle du contrôle de ce qu’elles disent ou non (Laura Mellini), celle du détournement des stigmates au travers du jeu sur les catégories et des mots pour se dire (Francesca Poglia Mileti), celle du travail de recomposition de leur vision du monde social (Fabrice Plomb), des stratégies de reconnaissance passant par les interactions avec des institutions (Michela Villani). Ces pouvoirs d’agir, ces expressions diverses de capacités à faire valoir qui l’on est, passent néanmoins difficilement les frontières de la sphère privée et des réseaux personnels. Au niveau de l’espace public, compris comme la «  sphère du débat politique, de publicité des opinions privées  » (Paquot, 2015 : 11), ces voix ne se font que peu entendre, en tous les cas pas collectivement. C’est dans ce sens que le dernier article de ce livre collectif (Anne-Vaïa Fouradoulas) montre la difficulté des organisations de la gauche radicale en Suisse à créer des équivalences entre ces situations très variées de domination et à constituer une véritable représentation 1 des dominés et des précaires dans le champ proprement politique.
Penser la dominaction consiste pour nous à décrire et à analyser la tension entre deux éléments de l’équation qui peuvent paraître sémantiquement contradictoires : être dominé mais agir , développer des stratégies dans des situations de forte contrainte . Dit autrement, si «  le pouvoir des gens ordinaires est circonscrit par l’univers quotidien dans lequel ils vivent  » comme le disait déjà le sociologue américain Charles Wright Mills (2012 : 1), il s’agit aussi pour nous de comprendre les conditions de déploiement de ce pouvoir. Notre approche vise à penser relationnellement ces deux pôles de la tension plutôt que d’en privilégier un a priori, comme la sociologie a eu tendance à le faire jusqu’ici. Cette méthode, nous espérons le montrer, n’est pas moins ambitieuse que les approches macrosociologiques de la domination. Nous souhaitons au contraire, dans nos contributions, décliner les petits déplacements qu’opèrent ces acteurs à l’intérieur des frontières du quotidien et des relations contraignantes. Comme le dit bien Nathalie Heinich, il faut «  passer d’une opposition catégorielle entre dominants et dominés à une observation des déplacements d’un phénomène […] sur un axe continu  » (Heinich, 2015 : 51). Cela signifie qu’il faut réduire la focale sur ces scénarii variés qui se dessinent dans les pratiques et les discours des dominés face aux contraintes auxquelles ils sont confrontés. Ces mouvements fins, que Luc Boltanski appelle aussi «  épreuves existentielles  » (Boltanski, 2009), correspondent – au niveau microsocial – à des changements de rapports de force au niveau macrosocial. Nous faisons l’hypothèse qu’ils irriguent en quelque sorte imperceptiblement la sphère publique et lui insufflent de nouveaux potentiels de changement.
L a S uisse, le conflit et la vi

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