La Memoire d adeline
70 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

La Memoire d'adeline , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
70 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Dans sa chambre de la Résidence Saint-Charles, à Québec, Adeline Fortin, soixante-seize ans, est dans un coma depuis trois jours. On ne s’acharne pas à garder son corps en vie. Les soins qu’on lui prodigue assurent son confort.
Que sait-on de ce qui occupe l’esprit d’Adeline actuellement ? Son âme est-elle inerte comme l’est son corps? Jouit-elle de cette clairvoyance qui, dit-on, permet à certains mourants de visionner leur vie avant de trépasser ? Que faire d’une conscience retrouvée, arrachée des années plus tôt par la maladie d’Alzheimer? On ne peut qu’imaginer...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 03 janvier 2022
Nombre de lectures 4
EAN13 9782898311505
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0800€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Prologue
12 octobre 2018. Dans son lit de la Résidence Saint-Charles, à Québec, Adeline Fortin, soixante-seize ans, est dans un coma depuis trois jours. Une mauvaise grippe s’est transformée en pneumonie.
La voilà très proche de son trépas. Selon ses volontés, on ne s’acharne pas à garder son corps en vie. Les soins qu’on lui prodigue assurent son confort. Du moins, on l’espère ; rien ne laisse croire le contraire. Elle semble calme, pas de spasmes, pas de rictus…
Mais que sait-on de ce qui peut occuper son esprit présentement ? Son âme est-elle inerte comme l’est son corps ? Éprouve-t-elle des émotions qu’elle ne peut partager ?
On dit que certains mourants voient leur vie défiler sous leurs yeux avant de quitter le monde des vivants. On raconte aussi que d’autres sortent d’un coma et recouvrent soudainement leur conscience avant de trépasser.
Mais, comment savoir puisqu’ils ne sont pas là pour en témoigner ?


CHAPITRE 1
14 h 10
Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui m’arrive ? C’est étrange, j’ai l’impression de naître. Enfin, pas tout à fait parce que, en même temps, je suis juste assez consciente de mon corps pour reconnaître qu’il est celui d’une vieille femme.
J’ai l’impression de sortir d’un coma. Un coma qui veut céder sa place à la vie, celle de mon esprit, de mon cœur et de mon âme. C’est assez troublant.
Je vois un gouffre, un immense trou noir. Qu’y a-t-il dans cet espace de temps ? Qui étais-je durant cet épisode de mon histoire ? Je m’y plonge, je cherche. Je veux me rappeler. Je veux retrouver le souvenir de ne pas m’être souvenue. J’ai tout à coup la lucidité de ne pas avoir été lucide. Je veux savoir ce qu’il y a dans ce trou qui n’est pas qu’un simple trou de mémoire. Une fosse dans laquelle je me suis enfoncée, un puits dans lequel je me glissais un peu plus chaque jour. Quel est ce monstre qui a grugé ma conscience jusqu’à la démence ? Où sont ces moments de ma vie, sinon dans l’abîme qui m’a arraché ces années de mon existence ?
Je me souviens d’avoir eu peur de ce gouffre, mais pendant si peu de temps. Il a rapidement rongé mon esprit jusqu’à l’insouciance. Était-ce bien ainsi ? Peut-être.
Où suis-je ? Avec qui ? Je n’arrive pas à ouvrir mes yeux, mais je peux identifier certains sons : des pas, des voix qui chuchotent. À qui sont ces voix ?
* * *
Voilà que dans mon esprit, les pensées s’éclaircissent et la peur disparaît doucement. Je me sens mieux.
Je suis en train de me souvenir de moi. C’est ça qu’on appelle la mémoire ? J’ai souvenance d’avoir été un être humain avec sa raison, avec sa capacité d’aimer par des mots, des gestes, des regards.
Je me souviens de la petite fille que j’ai été, de la femme que je suis devenue. Je me rappelle mon corps et la vie qui l’a habité.
Des tableaux de mon histoire apparaissent dans cette mémoire retrouvée. Je reprends possession de mes souvenirs. Que c’est bon ! Je vais partir avec eux.


CHAPITRE 2
Au deuxième étage de l’école Stadacona, à Québec, une bonne sœur enseigne à ses élèves de quatrième année les valeurs et croyances dictées par la religion catholique. À la voir sans l’entendre à travers la vitre des grandes fenêtres de bois, fermées en ce début novembre, on devine la passion qui l’anime.
Aujourd’hui, la religieuse met en garde les fillettes de dix ans contre la vanité qui pourrait les guetter d’ici quelques années. « Les femmes doivent demeurer non seulement pures, mais aussi modestes et discrètes », insiste-t-elle.
Le silence pesant qui suit est brusquement brisé par Thérèse Bureau, qui n’en manque pas une lorsqu’il s’agit d’offenser Adeline.
— En tout cas, Adeline Fortin, elle, elle n’est sûrement pas un exemple de modestie. Regardez-moi ça, ces cheveux tout frisés ! Elle doit se lever bien de bonne heure pour faire ces boudins-là avant de partir pour l’école !
— Voyons donc, réplique la religieuse, tu sais très bien que c’est le petit Jésus qui l’a frisée. C’est naturel… N’est-ce pas, Adeline ?
— C’est sûr que c’est naturel. Je suis venue au monde avec ce frisou-là.
Adeline décide qu’aujourd’hui, c’est la fin des insultes de Thérèse. Elle lui riposte :
— Tu veux la preuve, toi ? Attends une minute !
Adeline obtient la permission d’aller aux toilettes. Elle quitte et revient cinq minutes plus tard, les cheveux dégoulinants.
La religieuse met un certain temps à saisir les intentions de sa première de classe. Elle reprend tout bonnement la leçon et poursuit en parlant des sept péchés capitaux, s’efforçant de capter l’intérêt des élèves, qui n’ont d’yeux que pour la chevelure rousse qui, tout d’un coup, a pris quelques pouces.
Au fur et à mesure que sèche la crinière d’Adeline, elle reprend ses vagues et ses boudins devant l’étonnement de Thérèse et des autres élèves demeurées silencieuses, mais pas moins curieuses.
— Alors, clame Adeline à Thérèse, avant de me faire la morale en parlant de modestie, fais donc un examen de conscience sur « l’envie », maintenant que tu connais les sept péchés capitaux.
La maîtresse d’école est bouche bée devant la réaction d’Adeline. D’habitude, celle-ci fait abstraction des insultes de Thérèse. Il faut croire qu’elle en a assez, pense-t-elle, un brin complice. D’ailleurs, la bonne sœur se doute bien que la crinière frisée n’est pas le seul motif du comportement hostile de Thérèse. Elle voit bien les efforts que celle-ci déploie pour atteindre le statut de meilleure élève, sans jamais y arriver, alors qu’Adeline maintient sans peine cette position depuis sa première année.
Il y avait longtemps qu’Adeline rêvait d’une vengeance. Depuis quatre ans, elle endurait ses injures, il était temps qu’elle lui cloue le bec une bonne fois pour toutes. Adeline est satisfaite de son coup, joué avec adresse et spontanéité.
* * *
Adeline rentre de l’école. Son père, Paul-Eugène, requiert ses services pour le remplacer au magasin, prétextant une réunion importante avec des amis dans le hangar.
Fière d’une telle marque de confiance de la part de son père, elle veut remplir sa tâche avec brio.
Le commerce occupe la moitié du rez-de-chaussée de leur maison, le reste tient lieu de cuisine et de salon réservé pour la visite, qu’on a rarement. Cela arrive quelques fois par année durant la période des fêtes et, bien sûr, il y a la visite annuelle de monsieur le curé, toujours fidèle à ses requêtes de dîmes qu’on n’oserait jamais repousser, même dans la misère. Le deuxième étage est occupé par une pièce centrale entourée de trois chambres aux petites fenêtres à mansardes.
* * *
Adeline est l’aînée de cette famille de quatre enfants. Brillante, curieuse, débrouillarde, elle est toujours prête à vivre des expériences nouvelles. Ses parents, très occupés à faire rouler le magasin et à voir au bien-être de la marmaille, ont vite compris qu’ils pouvaient compter sur elle pour la réalisation de bien des corvées familiales, même si, la majorité du temps, elle s’en charge de son propre gré.
À l’école, les religieuses reconnaissent son potentiel et encouragent les parents à faire instruire leur fille. On la voit enseignante ou encore infirmière, des professions de prestige pour les filles.
* * *
Juchée sur un escabeau derrière le comptoir, elle accueille une dame venue payer sa dette d’épicerie, accumulée depuis quelques semaines.
— Est-ce que ton père est là ? Je viens lui remettre mon dû.
— Non, madame, il n’est pas disponible. C’est moi qui garde le magasin. Vous savez, vous pouvez me faire confiance. Je peux même vous faire un reçu.
Adeline a vu ses parents tant de fois poser ces gestes ; elle connaît par cœur la procédure et ne doute pas un seul instant de sa capacité à la réaliser.
La cliente sourit devant la naïveté de l’apprentie commerçante, sachant bien qu’un reçu signé des mains d’une enfant de cet âge n’a aucune valeur légale. Tout de même, elle accepte volontiers de régler ses comptes en tant que cliente fidèle et assidue de la seule épicerie de ce quartier ouvrier.
— D’accord. C’est quand même rare que ton père s’absente de son magasin…
— Ah, il n’est pas loin, il est dans le hangar. Il m’a dit de ne pas le déranger. Maman est en train de bercer ma petite sœur Simone qui pleure encore.
— Elle est malade ?
— Non, elle a juste mal au ventre. Elle a des comiques.
— Ah ! Tu veux dire des coliques ? réplique la dame dans l’intention de corriger la petite.
— Oui, c’est ça. Mais moi j’aime mieux dire des comiques. Je trouve ça plus drôle.
— Et son jumeau, Simon, il va bien ? poursuit la cliente, amusée.
— Ah lui ! répond Adeline, l’esprit à sa tâche, il mange, il dort et il remplit sa couche. C’est ça, sa vie.
Adeline sort du tiroir le grand cahier des comptes, cherche et trouve le nom de la cliente, descend avec son doigt la liste des articles achetés depuis les trois dernières semaines et lit avec soin le montant inscrit au bas de la colonne.
— Ça fera 10,55 $.
— Bravo, ma belle. C’est bien ça. Ton père m’en a informée la dernière fois que je suis venue. Tiens, j’ai le montant juste.
Pendant que madame Pelletier dépose l’argent sur le comptoir, Adeline replace le grand livre et sort du même tiroir le calepin de reçus, prend modèle sur les copies carbone des précédents et règle en bonne et due forme la quittance de la cliente. Celle-ci s’en accommode et félicite Adeline pour son savoir-faire, qu’elle estime assez impressionnant.
* * *
Voilà Constance, la maman d’Adeline, qui fait son apparition dans l’épicerie. Ça fait six mois qu’elle a accouché des jumeaux et elle a de la difficulté à reprendre le dessus. Cette grossesse, arrivée comme un cheveu sur la soupe sept ans après la naissance de Jean-Pierre, a pris le couple au dépourvu et demande à la mère d’aller au bout de ses énergies, parfois même au-delà de ses forces.
Constance n’est pas dotée d’une fo

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents