La nostalgie comme sentiment

Piero Galloro, Antigone Mouchtouris

Description

La période de grandes transformations sociales que nous vivons actuellement est propice à l’émergence et au développement du sentiment de nostalgie, qui peut même devenir une attitude de vie. Tous les sociologues qui mènent des recherches sur l’immigration connaissent bien la présence de la nostalgie dans la vie des personnes qui en sont issues.
L’analyse de ce sentiment nous permet de comprendre que l’être humain ne peut pas toujours être socialisé, ni s’adapter à n’importe quelles conditions de vie. Cet ouvrage interroge la nostalgie au niveau philosophique, littéraire, politique, ainsi qu’à travers ses manifestations dans la publicité et le cinéma.
Un éclairage qui nous fait comprendre l’impact et l’influence de certains discours politiques qui exaltent le passé et nous aide à réfléchir sur la question de l’adaptation de l’être humain à son époque.

Informations

• Publié par: Le Manuscrit
• Date de parution: 16 août 2016
• Nombre de lectures: 7
• EAN13: 9782304046052
• Langue: Français

Extrait

La nostalgie comme sentiment

Piero Galloro et Antigone Mouchtouris

Editions Le Manuscrit 2016
ISBN:9782304046052
Cet ebook a été réalisé avec IGGY FACTORY. Pour plus d'informations rendez-vous sur le site : www.iggybook.com
Table des matières

Préface
La nostalgie : le mot, le mal, le sentiment
La Nostalgie, de l’aveuglement à la refondation
La nostalgie : ni maladie, ni deuil, ni gnose, mais ancrage et gratitude
La nostalgie et sa fondation en mythologie
L’Écriture sauvage (nostalgie et élégie chez Thomas Clayton Wolfe)
« To the Lighthouse » de Virginia Woolf : Une vision de la nostalgie des Modernes
La nostalgie dans la littérature grecque
La nostalgie dans la chanson populaire grecque.La temporalité sociale d’un sentiment
La nostalgie des moments héroïques
Ostalgie, nostalgie politique, nostalgie du politique ?
Dynamiques interculturelles et nostalgies
Nostalgie d’un passé minier et engagement militant des mineurs de fer retraités de Lorraine
« C’était mieux avant ». La nostalgie comme figure temporelle du vieillissement
Nostalgie : partir et repartir aller-retour noétique de la personne immigrée
La nostalgie des immigrés âgés d’origine maghrébine
Nostalgie et représentations médiatiques du corps affecté
La nostalgie dans la comédie « à l’italienne »
Des imaginaires sur le passé à la newstalgia
Dans la même collection
 
Temporalité et jugement social , Antigone Mouchtouris, 2014
Éros et liberté. Trois essais de sociologie et d’histoire , Joëlle Deniot, Antigone Mouchtouris et Jacky Réault, 2014
Actualité de la pensée Grecque , Antigone Mouchtouris et Panagiotis Christias, 2014
Passions sociales , Bernard Valade, Antigone Mouchtouris et Éric Letonturier, 2013
Actualité muséale. La temporalité d’un espace culturel , Antigone Mouchtouris, 2013
La réception des œuvres : la temporalité de l’expérience esthétique , Antigone Mouchtouris, 2013
 
 
© couverture, Galloro Piero-D, Cuba, 2007, A pasitos
Préface
 

 
Antigone Mouchtouris Professeure de sociologie Université de Lorraine-Metz
 
Dans cet ouvrage, la nostalgie n’apparaît pas seulement comme un sentiment, mais aussi comme une attitude de vie. Tous les sociologues qui mènent leur recherche sur l’immigration savent bien la présence de ce sentiment dans la vie quotidienne des personnes qui en sont issues. Lambros Couloubaritsis, dans sa conférence sur Marx et la technique selon Axelos [1] , déclarait que ce qui reste de Marx aujourd’hui : « c’est la souffrance, qui est hélas d’une grande actualité avec les réfugiés ». Les interprétations technocratiques du marxisme ont minimisé cette partie de l’oeuvre de Marx, qui est celle des sentiments et de l’imaginaire. La nostalgie est un sentiment, non seulement personnel mais aussi issu des conditions de vie que les gens subissent et où le déplacement n’est pas le fruit de leur propre choix. Nous pouvons affirmer avec cet ouvrage que la sociologie ouvre une nouvelle porte, celle des sentiments, des attitudes et de leur temporalité. L’analyse de ce sentiment nous permet de comprendre que l’être humain ne peut pas toujours être socialisé, ni s’adapter à n’importe quelles conditions de vie. « Mon père, c’est moi, c’est ton fils, celui que tu regrettes, et qui, après vingt années d’absence, revient enfin dans sa chère patrie ! Ô mon père, sèche tes larmes et retiens tes sanglots ; car j’ai à te dire… » [2] . Ulysse est le personnage qui illustre le mieux ce qu’est un être nostalgique . Rien ne le rend plus heureux que son retour, malgré tous les obstacles à affronter.
Les médecins des xviii e et xix e siècles ont considéré ce sentiment de la nostalgie comme une maladie, parce qu’ils en avaient observé des symptômes physiques. La souffrance du corps est la douleur du non-retour. Les médecins militaires avaient considéré avant tout ce mal-être chez les soldats suisses, resté dans l’histoire nosologique : la nostalgie des Suisses . Ils avaient même parlé d’épidémie nostalgique. Avec la nostalgie, le corps et la conception du monde ne font qu’un. Les ruraux étaient paraît-il plus touchés que les urbains, mais à l’époque, la majorité de la population vivait à la campagne, donc ce n’est pas un argument transposable à notre époque. On compare la nostalgie à un deuil, souvent de manière hâtive, ce qui est une erreur d’appréciation. C’est une question de spatialité et non de disparition : dans le cas d’un deuil, les êtres aimés ont disparu, tandis que le topos , le lieu auquel l’acteur social est attaché, existe physiquement.
« Alors, ils arrivent avec des valises d’illusions et, après, ils se rendent compte que c’est difficile de vivre avec, sans ses racines. Ils meurent de nostalgie et de mélancolie… On ne quitte pas un pays si facilement, la terre nous habite… » [3] .
On peut trouver la nostalgie dans la sociologie politique, dans la sociologie de l’immigration, mais aussi dans les périodes de grandes transformations comme la nôtre. C’est tout à fait normal que cette notion revienne, parce qu’on peut ainsi comprendre les groupes sociaux ou l’influence de certains discours politiques qui exaltent le passé. La nostalgie passe d’un sentiment à une attitude de vie, ce qui intéresse les sociologues pour comprendre la dimension sociale de l’homme.
La nostalgie reste ainsi toujours un sujet d’actualité. À ce propos, le Mercure de France vient de publier un recueil de textes choisis par Anne-Marie Cousin [4] .
L’étendue du sujet apparaît à travers les chapitres de notre ouvrage, dans lequel nous posons la question de la nostalgie au niveau philosophique, littéraire, politique, ainsi qu’au niveau du monde des représentations avec la publicité et le cinéma.
Ainsi, nous avons essayé, au fil des chapitres, de poser les fondements de la compréhension de ce sentiment afin qu’il puisse devenir un objet d’étude sociologique. Il s’agit d’un sentiment complexe et la grande difficulté avec un sujet de cette nature est de le dégager de l’affectivité émotionnelle pour neutraliser l’objet afin de comprendre comment il agit sur l’être humain, comment l’acteur social gère ses relations entre ses affects et son environnement.
Dans la prise de conscience du sentiment de la nostalgie comme objet d’étude, un lent processus s’est mis en place qui a d’abord été abordé le thème comme une pathologie par les médecins des xviii e et xix e siècles, avant que les sciences sociales ne s’en emparent. Et ce n’est pas par hasard si la nostalgie redevient actuellement un objet d’étude à part entière. Ce sujet nous interroge au niveau des relations de la temporalité (passé – présent – futur), avec l’environnement et sur les questions de la socialisation et de l’adaptation de l’être humain.

Footnotes ^ Collège international de philosophie, 05/02/16 ^ Homère, L’Odyssée , Paris : éd. GF – Flammarion, 1965 (dernière édition par Garnier Frères). ^ Ben Jelloun, Tahar, 1978. Moha le fou, Moha le sage . Paris : Le Point ^ Cousin, Anne-Marie (textes choisis par), 2015. Le goût de la nostalgie . Paris : Mercure de France
 
 
Partie I
Approche philosophique et sociologique
La nostalgie : le mot, le mal, le sentiment
 

 
Bernard Valade Professeur émérite Université Paris Descartes
 
L’expérience affective que désigne le vocable « nostalgie » relève d’une pluralité de disciplines et de domaines sémantiques plus ou moins profondément labourés. S’il revient à la médecine de l’avoir précocement identifiée et scientifiquement constituée en état pathologique, ses expressions littéraires, ses manifestations psychologiques comme sa signification philosophique, ont été inégalement envisagées. En Histoire, l’étude de ce sentiment ne semble pas avoir été ajoutée au programme de la psychologie historique naguère établi par R. Mandrou (1961). Quant aux sciences sociales, on sait la faible part faite à la subjectivité dans l’examen des faits ou des phénomènes qu’elles se proposent d’expliquer. Plus ou moins érudite, la littérature consacrée à ce t