La Société du malaise
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La Société du malaise , livre ebook

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Description

L’émancipation des mœurs, les transformations de l’entreprise et celles du capitalisme semblent affaiblir les liens sociaux ; l’individu doit de plus en plus compter sur sa « personnalité ». Il s’ensuit de nouvelles souffrances psychiques qui seraient liées à la difficulté à atteindre les idéaux qui nous sont fixés. Cette vision commune possède un défaut majeur : elle est franco-française. Comment rendre compte de la singularité française ? Et que signifie l’idée récente que la société crée des souffrances psychiques ?Croisant l’histoire de la psychanalyse et celle de l’individualisme, Alain Ehrenberg compare la façon dont les États-Unis et la France conçoivent les relations entre malheur personnel et mal commun, offrant ainsi une image plus claire et plus nuancée des inquiétudes logées dans le malaise français. Alain Ehrenberg est l’auteur de trois livres sur l’individualisme, Le Culte de la performance en 1991, L’Individu incertain en 1995 et La Fatigue d’être soi en 1998. Sociologue, directeur de recherche au CNRS, après avoir créé en 1994 un groupement de recherches sur les drogues et les médicaments psychotropes, il a fondé en 2001 le Cesames (Centre de recherche psychotropes, santé mentale, société), CNRS, Inserm, université Paris-Descartes.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 28 janvier 2010
Nombre de lectures 3
EAN13 9782738198877
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , JANVIER 2010
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
EAN 978-2-7381-9887-7
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
À la mémoire de mon père, Leib Ehrenberg, dit Léo.
« Nous sommes […] poussés à former des concepts absurdes comme celui “d’individu et de société”, qui font apparaître l’individu et la société comme deux choses différentes, comme s’il s’agissait d’une table et d’une chaise, d’un pot et d’un poêlon. C’est ainsi qu’on se trouve empêtré dans des discussions sans fin, pour déterminer quelle relation peut bien exister entre deux objets apparemment séparés. »
Norbert E LIAS ,
Qu’est-ce que la sociologie ? 1970.

« Ne disons pas que nous avons trop d’entendement et trop peu d’âme ; disons que nous avons trop peu d’entendement dans les problèmes de l’âme. »
Robert M USIL ,
L’Europe désemparée , 1922.

« Être au clair sur la nature de la philosophie et sur la nature des sciences sociales revient à la même chose. Car toute étude de la société qui en vaut la peine doit être philosophique dans son caractère et toute philosophie qui en vaut la peine doit se préoccuper de la nature de la société humaine. »
Peter W INCH ,
L’Idée d’une science sociale et sa relation à la philosophie , 1958.
Introduction
Le tournant personnel de l’individualisme : malaise dans la civilisation ou changement de l’esprit des institutions ?

La subjectivité, l’affect, les émotions, les sentiments moraux, la vie psychique imprègnent aujourd’hui l’ensemble de la société et opèrent une percée notable au sein de la connaissance scientifique. Des notions comme la santé mentale et la souffrance psychique qui n’avaient guère d’importance avant le tournant des années 1980 occupent désormais une place majeure. Leur diffusion a d’abord accompagné le mouvement d’émancipation des mœurs à partir des années 1970, puis les transformations de l’organisation de l’entreprise et la crise du système de protection sociale qui s’amorçaient dans les années 1980 et se sont accélérées au cours des années 1990. Un immense et hétéroclite marché de l’équilibre intérieur s’est formé au cours des quatre dernières décennies, mobilisant de multiples corps professionnels et employant des formes de thérapie ou d’accompagnement les plus diversifiées. Parallèlement, dans la connaissance scientifique, la vie psychique est devenue un objet transversal à la biologie, via les neurosciences avec les thèmes de l’empathie et de la prise de décision, à la philosophie, avec la vague de la philosophie de l’esprit naturaliste, et à la sociologie ou à l’anthropologie à travers « le retour de l’acteur », « le nouvel individualisme », « le retour du sujet » ou « la subjectivation ». Malade ou saine, la subjectivité individuelle est sur le devant de la scène, et nombreux sont ceux qui espèrent trouver le secret de la socialité humaine à travers la connaissance des émotions.
Santé mentale, souffrance psychique, émotions se sont ainsi installées, en relativement peu d’années, au carrefour de la psychologie, des neurosciences et de la sociologie. Dans ce contexte, nous ne savons plus très bien où nous en sommes entre l’homme biologique, l’homme psychologique et l’homme social. Si cette incertitude n’est pas nouvelle, elle est devenue un champ de bataille : une atmosphère de bruits et de fureurs imprègne les relations entre les pratiques visant la transformation du psychisme humain. Ces querelles ont la particularité d’aller bien au-delà des controverses thérapeutiques, cliniques ou étiologiques que l’on trouve dans les autres domaines pathologiques. Les acteurs font rapidement de la Métaphysique, montent immédiatement au créneau de l’Éthique, s’affrontent allégrement sur leurs conceptions différentes du Sujet humain.
Ces transformations se sont opérées sous l’égide de valeurs rassemblées par le concept d’autonomie. Il désigne aujourd’hui de prime abord deux choses : la liberté de choix au nom de la propriété de soi et la capacité à agir de soi-même dans la plupart des situations de la vie. L’autonomie joue un rôle majeur dans la centration de la société et des savoirs sur la subjectivité individuelle parce qu’elle implique une attitude générale : elle consiste en une affirmation de soi, en une assertion personnelle qui avait une place limitée dans la vie sociale française jusqu’à la fin des années 1970. L’affirmation de soi est à la fois une norme, parce qu’elle est contraignante, et une valeur, parce qu’elle est désirable. La généralisation des valeurs de l’autonomie à l’ensemble de la vie sociale équivaut à un tournant personnel de l’individualisme. Il dessine une atmosphère de nos sociétés qui donne sa valeur sociale à la santé mentale et à la souffrance psychique.
L’objet de ce livre est double. Il vise d’abord à rendre compte des changements qui érigent les notions de subjectivité et d’autonomie, aujourd’hui systématiquement associées, en concepts clés de nos sociétés. Plus précisément, il s’agit de clarifier le fait que les relations sociales se donnent désormais dans un langage de l’affect qui se distribue entre le mal de la souffrance psychique et le bien de l’épanouissement personnel ou de la santé mentale. Il espère ensuite montrer, à l’encontre de l’opinion commune, que nous en savons bien plus que ce que nous croyons concernant la relation entre les deux catégories du « psychologique » et du « social 1  ».
Ce livre prolonge à nouveaux frais une série d’enquêtes consacrées à la diffusion des normes et des valeurs de l’autonomie dont l’individu conquérant et l’individu souffrant sont les deux facettes. La dépression a joué un rôle d’entité clinique relais entre l’ancien monde de la psychiatrie et de la folie et le nouveau monde de la santé mentale et de la souffrance psychique. Elle a accompagné, au cours de la seconde moitié du XX e  siècle, le déplacement de la discipline à l’autonomie en prenant progressivement la place de la névrose freudienne, cette pathologie de la culpabilité, pour devenir l’ombre de l’individu normé par l’autonomie. Dans un style d’existence organisé par la discipline traditionnelle, la question qui se posait à chacun était de type « névrotique » : que m’est-il permis de faire ? Quand la référence à l’autonomie domine les esprits, quand l’idée que chacun peut devenir quelqu’un par lui-même en progressant de sa propre initiative devient un idéal inséré dans nos usages quotidiens, la question est de type « dépressive » : suis-je capable de le faire ? La culpabilité névrotique n’a évidemment guère disparu, elle a pris la forme de l’insuffisance dépressive. Dans le déplacement du permis au possible, l’assertion personnelle, l’affirmation de soi passent au cœur de la socialité démocratique. La capacité à s’affirmer de manière maîtrisée et appropriée devient un ingrédient essentiel de la socialisation à tous les niveaux de la hiérarchie sociale. Ce changement de la normativité place l’individu sur une ligne qui va de la capacité à l’incapacité. Quand le curseur se rapproche de l’incapacité, l’impuissance fait apparaître sa culpabilité de ne pas être à la hauteur. C’est sur le mode du déficit, de l’insuffisance ou du handicap qu’apparaît la culpabilité.
Je vais d’abord indiquer les problèmes examinés dans ce livre et les hypothèses proposées, puis donner les objets empiriques à partir desquels ils seront traités et, enfin, la démarche adoptée.

L’autonomie et la subjectivité : sociologie individualiste et sociologie de l’individualisme
En France, la santé mentale et la souffrance psychique font l’objet d’un discours sur le « malaise dans la civilisation ». Il se résume dans la double idée que le lien social s’affaiblit et qu’en contrepartie l’individu est surchargé de responsabilités et d’épreuves qu’il ne connaissait pas auparavant. La preuve de ce malaise se trouve dans ces pathologies sociales, ces maladies du lien qui se développent dans notre monde moderne. Les professionnels de santé mentale sont tous préoccupés par les relations entre l’évolution des valeurs et des normes de la vie sociale, d’une part, et les problèmes psychopathologiques, d’autre part. En effet, dans les discours sur la souffrance psychique et la santé mentale, la référence à la vie sociale, aux transformations institutionnelles et normatives est permanente. Ainsi, une foule de cliniciens pensent que des pathologies du lien social se développent (comme les addictions, le stress post-traumatique ou les troubles du comportement) ; les acteurs de l’entreprise (organisations patronales et syndicales, directions des ressources humaines, cabinets de conseils) sont mobilisés par la souffrance au travail et le stress qui seraient l’expression de nouvelles pressions résultant des transformations des modes de management ; les équipes municipales se penchent sur les souffrances psychiques des exclus, des pauvres, des femmes et des minorités en se référant à la notion récente de souffrance psychosociale (car la souffrance sociale est psychologique). À différents niveaux et dans différents contextes (le salarié harcelé ou la personne atteinte de psychose ne se traitent pas de la même manière), la santé mentale semble poser aux acteurs et aux observateurs du domaine la question du vivre-ensemble, du destin du lien social dans les sociétés démocratiques où règnent l’individualisme de masse

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