LE Cas de l archipel
239 pages
Français

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LE Cas de l'archipel , livre ebook

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Description

Abélard croyait avoir mis tout ça derrière lui.
Déshumanisé, arraché à ses proches, malmené, torturé puis, enfin, réfugié, il a refait sa vie dans son nouveau chez-lui, à Cocagne, capitale de l’archipel, pour suivre une formation médicale exhaustive et offrir à son tour ses soins aux gens qui en ont grandement besoin.
Désormais psychiatre et psychanalyste, il laisse se déposer sur la page blanche de son visage les désarrois, les craintes et les désirs refoulés de ses patients, s’émerveillant chaque fois du cheminement de ceux-ci.
Or, un jour, son patient le plus notoire lui confie vouloir démissionner.
Paul, gouverneur de l’archipel récemment arrivé à la démocratie, souffre de la fatigue liée à sa tâche.
Abélard, appréhendant une catastrophe, passera les mois suivants à se demander comment il aurait pu intervenir pour éviter à son pays d’adoption une dépression politique.
Quatre ministres attablés autour d’elle lui paraissaient déjà complètement intoxiqués. Un autre, sur le point de flancher, affichait un sourire de courtisan.
La politique au sens noble du terme se résumait à une question, une seule, qu’elle avait posé maintes fois à son cher Paul quand le doute s’emparait de lui dans l’exercice de ses fonctions : « Vous êtes là pour servir, d’accord, mais servir qui ? »
Une action politique bien ciblée transforme sans détruire. Tel était le credo de Bernadette. Cela exigeait vision et conscience, deux qualités rares qu’il avait eues. Des êtres de l’envergure de Paul, y en avait-il seulement la moitié d’un autour de cette table ?
« Pourquoi a-t-il abandonné ? », se demanda-t-elle en regardant les convives qui mâchaient d’un air satisfait. Elle ne comprendrait jamais.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 16 septembre 2019
Nombre de lectures 1
EAN13 9782764438183
Langue Français
Poids de l'ouvrage 8 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Du même auteur
La Grande Baie, portrait d’une bibliothèque (avec les dessins de Caroline Boileau), éditions du Passage, 2018.
La Caverne , Québec Amérique, coll. Latitudes, 2016.
Ne t’arrête pas , roman, Leméac Éditeur, 2010.
Pur chaos du désir , théâtre, Dramaturges Éditeurs, 2009.
La culture en soi , essai, Leméac Éditeur, 2006.



Projet dirigé par Éric St-Pierre, éditeur

Conception graphique et mise en pages : Nathalie Caron
Révision linguistique : Isabelle Pauzé
En couverture : La Grande Tour de Babel , huile sur panneau de bois de chêne, 114 cm × 155 cm, Pieter Brueghel l’Ancien (Domaine public)
Conversion en ePub : Marylène Plante-Germain

Québec Amérique
7240, rue Saint-Hubert
Montréal (Québec) Canada H2R 2N1
Téléphone : 514 499-3000, télécopieur : 514 499-3010

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada.
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. We acknowledge the support of the Canada Council for the Arts.
Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.


Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Titre : Le cas de l’archipel / Gilbert Turp.
Noms : Turp, Gilbert, auteur.
Collections : Collection Littérature d’Amérique.
Description : Mention de collection : Littérature d’Amérique
Identifiants : Canadiana 20190024666 | ISBN 9782764438169
Classification : LCC PS8589.U76 C37 2019 | CDD C843/.54—dc23
ISBN 978-2-7644-3817-6 (PDF)
ISBN 978-2-7644-3818-3 (ePub)

Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2019
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives du Canada, 2019

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés

© Éditions Québec Amérique inc., 2019.
quebec-amerique.com



I
La salle des pas perdus


1
1 er février
Ça sentait le cauchemar à plein nez à Cocagne, et de plus en plus en approchant les abords du Palais. Abélard freina doucement au pied de la butte et laissa sa bicyclette à l’ombre de la clôture qui ceinturait le parterre de l’édifice. Il avait à peine fait deux pas que la grille s’entrouvrit d’elle-même avec un clic ; les caméras l’avaient vu, on l’attendait. Il franchit le portail de fer en cherchant les gardiens du regard, mais il ne vit personne et n’entendit rien. Il s’arrêta un instant, incertain. L’aube ne se décidait pas. Une couche de grisaille aplatissait tout, accentuant son impression de mauvais rêve, comme si le temps se couvrait d’un silence de cendre.
« Il manque quelque chose », se dit-il, pour se rendre compte aussitôt que c’était le chant des oiseaux. Normalement, à cette heure, ils pépiaient partout.
Il gravit la butte Alpha, ainsi nommée à cause de son talus à découvert, qui montait en pente régulière à exactement trente degrés jusqu’à l’enceinte du Palais. Pour l’heure, un flou blafard voilait les murailles, et l’arche centrale, donnant sur les jardins intérieurs, lui apparut brouillée.
Abélard était mal éveillé, anxieux. Il n’avait pas sa clairvoyance habituelle. Il avait passé les trop longues heures de sa courte nuit à s’agiter dans son lit, la tête tournoyante. Hier en soirée, alors qu’il était assis avec quelques amis à la terrasse d’un bistrot de la plage, il avait reçu un appel d’urgence de la psy de garde, débordée. Il s’était levé à regret au beau milieu d’une conversation intéressante et joyeuse pour se rendre à l’hôpital. Là, il avait calmé un garçon de treize ans qui, en pleine puberté, parlait d’en finir avec sa vie déjà en train de s’éteindre, de toute façon .
Abélard suivait ce garçon, que tout le monde appelait le Kid, depuis trois semaines. Il l’aimait bien et son cas l’intéressait particulièrement. L’adolescent était le fils unique, né sur le tard, de parents qui avaient survécu par miracle à un terrible accident de voiture. Le Kid avait grandi sous la chape de souffrance de ses parents, physique chez sa mère et psychologique chez son père. Pourtant, c’était lui qui se sentait handicapé, et Abélard se demandait si l’auréole de douleur irradiante de ses parents n’était pas, justement, ce qui lui donnait à lui le sentiment d’être éteint.
Il avait su apaiser la crise du garçon sans médication, simplement avec des paroles et de l’implication, mais cela au prix du repos de son propre esprit le reste de la nuit.
Dans ces circonstances, l’appel du gouverneur, à 4 heures du matin, lui avait fourni une bonne raison de fuir le champ de bataille de ses draps et de quitter son lit. Il avait pris une douche rapide et jeté dans sa serviette quelques dossiers médicaux dont il aurait besoin en matinée si son rendez-vous avec le dirigeant s’étirait, puis il avait quitté sa maison sans avoir avalé quoi que ce soit.
Sous le voile humide et charbonneux du dehors, Abélard avait frissonné et s’était demandé s’il ne ferait pas mieux de prendre sa voiture, mais il avait finalement enfourché son vélo. L’exercice lui ferait du bien. De la périphérie qu’il habitait, il avait pédalé sans effort jusqu’au centre-ville de Cocagne, traversant la cité assoupie sous les nuées de février comme on flotte dans la dissipation du rêve.
Ce fut seulement à la vue du Palais que l’inquiétude générée par l’appel du gouverneur se confondit à la grisaille de l’aube pour lui nouer l’estomac.


2
Au moment où Abélard arrivait au Palais, le rédacteur de L’Insulaire mit la touche finale à son éditorial intitulé « Le Perpétuel Rattrapage », avec lequel il s’était battu toute la nuit. Il le termina par une goutte de vitriol : Quand est-ce qu’un engagement devient un mensonge, monsieur le Gouverneur ? N’aurait-il pas mieux valu ne rien promettre, pour avoir si peu tenu parole depuis deux ans ?
Balthazar avait élevé au rang d’art la question perçante, décochée lorsqu’on ne l’attend plus. C’était sa manière de canaliser son amertume. Le gouverneur avait soulevé tellement d’espoir à son premier mandat ; même lui s’était enthousiasmé.
Il pivota sur son fauteuil et jeta un coup d’œil dehors. Sa vitre encrassée reflétait le gris des premières lueurs de l’aube. Un temps à rester sous la couette avec Madeleine. Elle l’avait appelé vers 1 heure, cette nuit, en lui demandant quand il arriverait. Il lui avait répondu de ne pas l’attendre, mais maintenant, le seul fait de penser à elle l’excitait. La simple idée de se glisser dans sa chair si enveloppante suscita un début d’érection. Son désir le parcourut comme un ruissellement incandescent au creux du ventre. Il se leva, décidé à courir chez elle et à sauter dans son lit juste à temps pour la surprendre avant qu’elle ne doive se lever à son tour pour aller travailler.
Dix-huit mois exactement qu’il était amoureux, et la courbe graphique de son désir montait encore, exponentielle. Ils s’étaient rencontrés à une fête populaire et, depuis, cet amour ascendant, sans failles et sans déception, était à n’y rien comprendre. Madeleine était devenue son foyer d’équilibre et de chaleur, son heure juste.
« Elle, elle ne m’a rien promis », songea-t-il.
Il tira sa veste du crochet derrière la porte et, s’apprêtant à sortir, avisa du coin de l’œil le carton d’invitation au Bal du Gouverneur, posé sur son bureau. Madeleine avait adoré l’événement l’année passée. Un rien lui faisait plaisir, à cette femme. Tout le contraire de lui, qui était plutôt du genre intense.
Il s’empara du carton et fila sans même prendre la peine de verrouiller sa porte. De toute façon, il n’y avait plus rien à dérober dans les bureaux de L’Insulaire .


3
Au faîte du talus, deux gardiens de sécurité habillés en civil, postés devant l’arche principale de l’enceinte du Palais, laissèrent Abélard passer sans un signe, sans un regard. Étonné, le docteur les salua d’un hochement de tête. Il traversa rapidement les jardins qu’irriguait une grande fontaine, dont les jets jaillissaient des seins graciles d’une sirène et du pénis attendrissant d’un chérubin. Parvenu au seuil de la salle des pas perdus, il s’arrêta devant deux grandes portes à panneaux de chêne closes.
Charlemagne, le vieil intendant, se leva avec effort en le reconnaissant et le salua en faisant une telle tête d’enterrement qu’Abélard sentit sa propre anxiété s’aiguiser. L’homme savait quelque chose. Mais inutile de poser des questions maintenant. De toute façon, quand le gouverneur de Cocagne vous fait mander, vous obtempérez. Charlemagne abaissa en grognant la poignée de bronze des grandes portes et fit signe à Abélard d’y aller d’un geste du gant. Celui-ci prit une profonde inspiration et s’avança.
Il faisait très sombre et plutôt froid dans la salle. Une lueur timide tombait des hauts vitraux, réfractant quelques flaques de couleur sur le sol marbré. Abélard ne put s’empêcher de se demander d’où venait cette appellation de « salle des pas perdus » qui semblait justifier à elle seule son inconfort. À l’autre bout, l’estrade des musiciens s’enfonçait dans l’obscurité. Il s’avança jusqu’au milieu de l’espace et se retourna vers le balcon arrière. La loge du gouverneur était plongée dans le noir, elle aussi. L’aube ne se décidait toujours pas. Un léger courant d’air faisait valser des relents de moisissures et d’haleine fétide. Il fronça les narines. Quelque chose dans cette odeur décatie et poussiéreuse l’interpella, qui accentua son impression d’être dans un mauvais rêve. Il tira son carnet de la poche intérieure de sa veste et nota, avant de l’oublier, ce qui venait de lui traverser l’esprit.
Il y a les rêves qu’on fait et les rêves qui nous font ; les rêves qu’on traverse et ceux qui nous traversent.
Il y a aussi les rêves dans lesquels on se voit et ceux auxquels on assiste, comme si on était spectateur.
Mais à la fin, ils sont peut-être tout simplement les épisodes

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