Les sages-femmes de Suisse romande au cœur d’une politique de contrôle
181 pages
Français

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Description

En septembre 1850, Élise Bovay, une jeune domestique de 23 ans, comparait devant un tribunal pour infanticide après la découverte du corps d’un nouveau-né au fond de la cave de son père. En filigrane de la situation de cette jeune femme du milieu du XIXe siècle, c’est toute l’évolution de l’encadrement autour de la femme lors de son accouchement qui est représentée.
Cet ouvrage est une plongée dans le quotidien des femmes – matrones, sages-femmes et filles-mères – et leurs rapports au corps, à l’intime et à une société fortement attachée aux moeurs. En écho aux débats actuels sur la place des femmes et de leurs aspirations légitimes à pouvoir user de leur corps librement, ce livre fait ressurgir un passé résolument actuel.
Alors que traditionnellement, l’accouchement était un acte essentiellement féminin, encadré par des matrones et des voisines, qui permettait aux femmes de la communauté de se retrouver et d’échanger, il se met en place une nouvelle politique de contrôle des naissances au cours du XIXe siècle. Par crainte d’une dépopulation, les autorités régionales mettent en place un encadrement législatif et une formation professionnelle de sages-femmes dans le but de sauver les femmes en couches et leurs nouveau-nés.
L’homme prend le contrôle des naissances et la sage-femme devient un agent de surveillance pour les autorités qui dénonce les grossesses et les accouchements illégitimes. Cette nouvelle position rompt les rapports jusqu’alors privilégiés qui existaient dans le monde des accouchements. Les filles-mères, enceintes sans être mariées, en sont les premières victimes.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782889305131
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0120€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© Éditions Alphil-Presses universitaires suisses, 2022
10, rue du Tertre
2000 Neuchâtel
Suisse
 
 
www.alphil.ch
 
Alphil Diffusion
Commande@alphil.ch
 
 
ISBN : 978-2-88930-449-3
ISBN pdf : 978-2-88930-514-8
ISBN epub : 978-2-88930-513-1
 
 
Les Éditions Alphil bénéficient d’un soutien structurel de l’Office fédéral de la culture pour les années 2021-2024.
 
Cet ouvrage est publié grâce au soutien de la Société d’histoire et d’archéologie du canton de Neuchâtel.
 


 
Cet ouvrage est issu d’un travail de master qui a reçu le prix Fritz Kunz 2020.
 
Illustration de couverture : La paturiente est assise ; devant elle la sage-femme, et derrière elle une aide qui la soutient , in S IEBOLD VON E. G. J., Essai d’une histoire de l’obstétricie , tome 2, Paris, 1891-1892, p. 10.
 
Responsable d’édition : Rachel Maeder


Remerciements
Je désire exprimer ici toute ma reconnaissance au professeur Olivier Christin qui a accepté de me suivre en tant que directeur de mémoire de master et m’a orientée vers le thème fascinant de la maternité de nos aïeules et de leur perte de liberté face à la lutte des autorités pour les mœurs. Leur expérience résonne avec force encore aujourd’hui.
Mes remerciements vont également à ma mère, Katrin Huguenin, et à Elane Panaget pour leurs précieuses relectures, à mon père pour son soutien permanent, ainsi qu’à toutes les personnes qui, d’une manière ou d’une autre, se sont investies dans cette recherche.
Enfin, je tiens à remercier chaleureusement les éditions Alphil pour leur confiance. Grâce à elles, l’expérience de ces sages-femmes et filles-mères ne restera pas inconnue.


Première parti e
INTRODUCTION


Introduction
Le XVIII e  siècle marque un tournant dans l’histoire de l’accouchement en Europe, et la Suisse n’y fait pas exception. L’enfantement devient un sujet d’importance pour les autorités qui craignent une dépopulation après des calculs démographiques (erronés) démontrant que l’Europe se dépeuple 1 . À cette même période, les philosophes des Lumières sont convaincus que le corps n’est pas soumis à la seule volonté divine mais peut être sauvé, donnant une valeur nouvelle au domaine médical. Cette corrélation de faits touchant à la vie montre l’importance de l’accouchement, qui devient alors central parce que «  chaque accouchée, chaque nouveau-né est étroitement lié aux données d’une civilisation, à une place dans le tissu social, à un niveau de richesses et de connaissances  » 2 . Afin de sauver les femmes et les enfants qui permettent au pays de prospérer, les autorités, aux côtés de médecins et soutenus par les philosophes des Lumières, établissent des cours pour faire disparaître la matrone au profit d’une sage-femme compétente 3 .
Ce siècle voit l’obstétrique passer du bastion exclusivement féminin à une discipline complète, convoitée par les autorités, les hommes, les chirurgiens, les médecins ou les docteurs. Jusqu’alors les décisions concernant la communauté étaient prises par les hommes, sauf l’accouchement qui restait le seul domaine géré par les femmes. L’accouchement était un événement durant lequel la population féminine se retrouvait et échappait à l’emprise masculine. Parentes ou voisines accouraient pour y assister, sans invitation, à l’annonce des premières douleurs. L’accouchement d’une nouvelle mère était un moment purement féminin propice aux remémorations des accouchements de toutes. Rassemblées, elles adoucissaient le précepte biblique de la Genèse – «  Tu enfanteras dans la douleur  » – en prenant soin de la femme et de son confort en préparant son lit, le feu et le matériel nécessaire. La présence de la matrone et des femmes constituait une solidarité féminine qui était «  un élément sécurisant dans le rite de passage angoissant qu’ [était] une première naissance  » 4 . Dans une volonté déguisée de sauver les femmes et les futurs enfants de la patrie, les autorités du XVIII e  siècle visent en réalité à limiter la liberté des matrones et de leurs pratiques. Elles profitent de certains accouchements malheureux pour prouver que le savoir empirique des matrones et leur ignorance mettent en danger le futur de l’humanité et justifier le besoin de sages-femmes instruites. La matrone est en réalité «  bien plus qu’une simple accoucheuse ; elle est le symbole d’une forme de culture au féminin  » 5 , culture que les autorités veulent transformer pour se l’approprier et la dominer.
S’intéresser aux matrones et aux sages-femmes qui ont pratiqué en Suisse romande entre la deuxième moitié du XVIII e  siècle et la première moitié du XIX e  siècle, soit durant un siècle, permet de découvrir un aspect de la vie féminine de l’époque. L’histoire essentiellement orale de cette partie de la vie intime réservée à une communauté de femmes et aux matrones s’ouvre aux historien.ne.s dès le XVII e  siècle grâce à une première infiltration des hommes dans ce domaine. Les documents concernant les sages-femmes formées permettent de faire revivre leur quotidien durant les XVIII e et XIX e  siècles. L’intérêt de cette recherche porte non pas sur les mécanismes de l’accouchement mais sur le corps des femmes et son contrôle par celles qui sont chargées de faire venir l’enfant au monde en toute sécurité et de s’occuper de la mère. En un siècle, la position des matrones dans la société change drastiquement : elles sont petit à petit remplacées par les sages-femmes, qui deviennent l’objet de surveillance et doivent justifier leurs actes 6 . Leur présence capitale lors de l’accouchement est utilisée par les autorités à leurs propres fins dans une tentative d’entrer dans une politique et un contrôle du corps, de la sexualité et de la naissance tout en s’abritant derrière l’hygiène, la lutte contre la mortalité, mais aussi derrière l’éthique et la morale, notamment au sujet des filles-mères. C’est à travers le contrôle des sages-femmes que les autorités peuvent s’immiscer dans le domaine féminin et faire main basse sur le corps des femmes. Les filles-mères sont tout particulièrement visées par ces nouvelles procédures de contrôle, les autorités les soupçonnant de commettre des infanticides afin de se débarrasser de leur fruit illégitime, et cela avec la complicité des matrones. La sage-femme nouvellement formée opère donc un rôle d’intermédiaire entre les autorités et les femmes.
Deux procédures parallèles sont instaurées par l’autorité publique pour établir une sage-femme formée : la régularisation juridique de son activité et sa formation, prodiguée par des médecins et supervisée par les autorités. La sage-femme assure un encadrement obstétrical, mais elle se retrouve également au cœur d’une politique plus vaste de contrôle de l’État sur le corps des femmes, et notamment sur celui des filles-mères, qui effraient par leurs pulsions sexuelles ou meurtrières. Leur domination est cruciale parce que «  l’ordre de la société, le respect de la religion, l’éducation des générations futures supposent l’encadrement et la soumission des femmes  » 7 . Cette domination des femmes par les sages-femmes reflète l’histoire des autorités en place et des femmes, qui réduit la vie féminine en son nom, et une conquête masculine sur un domaine qui leur échappait jusqu’alors.
Avant que les chercheur.euse.s ne s’intéressent à la naissance et aux sages-femmes, l’attention s’est portée en priorité sur la médicalisation, et plus particulièrement l’histoire de la technique obstétricale. L’intérêt venait avant tout de médecins ou de chirurgiens, uniquement intéressés par leur propre activité. Ils se sont principalement attardés sur les innovations que leur domaine a connues à partir du XVII e  siècle, sur les grands praticiens médicaux, ou sur les auteurs d’ouvrages d’obstétrique. En se focalisant sur la médicalisation, et ainsi uniquement sur l’acte physiologique de l’accouchement, l’histoire médicale a laissé de côté tout ce qui ne touche pas à la pratique et aux techniques de l’accouchement, comme le lieu de l’accouchement, les traditions qui l’accompagnent, les femmes qui accouchent, les femmes qui entourent celles-ci, parentes ou voisines, les nouveau-nés ou les femmes qui exercent l’art des accouchements.
L’obstétrique ne commence à intéresser les historien.ne.s que tardivement, dès les années 1970, dans le prolongement de l’histoire des mentalités, menée par Philippe Ariès et Michel Vovelle. L’histoire de l’enfant émerge dans les années 1970-1980, tout comme l’histoire de l’obstétrique. Elle est principalement portée par des ethnologues, des anthropologues ou des sociologues, mais également par des historiens. En 1960 déjà, dans L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime , Philippe Ariès montre comment la manière de traiter les enfants évolue selon les époques historiques. Dans La place de l’enfant dans la société française depuis le XVI e  siècle (1986), François Lebrun établit la deuxième moitié du XVIII e  siècle comme porteur de l’émergence d’une nouvelle attention envers l’enfant, désormais considéré comme un bien précieux qu’il faut sauver dès sa naissance 8 . Ce siècle est un tournant : «  ne serait-ce que par la quantité de volumes consacrés à l’éducation au XVIII e  siècle, on peut dire que l’enfant a pris alors dans la société un rang considérable  » 9 . De nombreux ouvrages traitant de l’éducation des enfants sont en effet publiés durant cette période, comme l’ Émile ou De l’ éducation de Rousseau en 1762 ou les Pensées sur l’ éducation du philosophe John Locke en 1693, qui recommande aux parents de montrer de la tendresse à leurs enfants et de jouer avec eux. C’est dans leur prolongement que des ouvrages traitant des sages-femmes et des améliorations à porter à leur formation afin de préserver les enfants dès leurs premiers instants de vie sont publiés. Cette correspondance démontre que l’histoire des sag

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