Question de soin
254 pages
Français

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Question de soin , livre ebook

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Description

L'auteur de ce livre met en perspective la double visée qui caractérise tout geste de soin: celle qui fait appel à l'art, au sens antique du terme (tekhnè) et celle qui mobilise une bienveillance attentionnée envers autrui (care). On découvrira ici les éléments fondamentaux d'une éthique du soin. on se demandera si le geste de soin, enraciné dans le souci de soi et le souci pour l'autre, n'est pas constitutif du lien social.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2012
Nombre de lectures 16
EAN13 9782296989689
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1050€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Titre
Jean-Paul Resweber






Questions de soin









L ’ H ARMATTAN
Copyright

© L’HARMATTAN, 2013
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.ha rmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-98968-9
EAN : 9782296989689
Introduction
La question du soin et des soins se trouve au centre des préoccupations de nos contemporains. Elle s’exprime dans une rhétorique qui mobilise une terminologie variée, relevant de la technique, de l’esthétique, de l’éthique, de la politique et de l’économie. Afin de faire nôtre ce questionnement, examinons les raisons de ce regain d’intérêt dont témoignent les professionnels de l’éducation et de la santé ainsi que les enseignants-chercheurs universitaires.
Commençons par un court excursus historique. On peut dire que cette question revêt quatre figures, selon les valeurs de référence dont elle réclame. Nous avons d’abord à faire avec le modèle éthique du soin à l’antique qui croise l’axe de la culture du souci de soi ( epimeleia ) et celui de la santé ( therapeia ), en donnant la priorité au premier, car la santé exige, à titre de prévention, d’entretien et de guérison, un constant souci du souci de soi et des autres. Le christianisme, en faisant du souci de soi et du souci du prochain, la condition même de la relation à Dieu, a conforté et surdéterminé ces deux axes, en mettant le souci au principe de la charité et en assimilant la santé à un salut découlant d’une guérison spirituelle. Mais, au sortir du Moyen Âge, le modèle éthique de la philosophie antique et le modèle éthique de la théologie chrétienne ont pris un sens résolument politique. Dès le XVII e siècle, le pouvoir politique s’est présenté comme étant le relais de la providence divine. Il a défini les lignes de partage entre le normal et le pathologique et, par conséquent, entre le souci de soi et le souci des autres, mais surtout il a étendu son contrôle sur des domaines aussi variés que la démographie, la sexualité, l’éducation, lés épidémies et les pandémies, doublant ainsi le pouvoir ecclésiastique qui avait été jusqu’ici seul à exercer un pouvoir sur les âmes et sur les corps. Voici que naît alors le profil d’un État-Providence qui veille à la sécurité, à la paix, à la santé des citoyens. Au début du XIX e siècle, notamment en Angleterre, le gouvernement est le prestataire de « services » ( care ) offerts, par le biais de l’administration, aux personnes qui les réclament. Mais, dans ce cadre politique managérial, il n’est point question de prétendre à des services qui ne soient codifiés dans une offre préalable et donc d’honorer une demande qui ne correspond pas aux cadres préé-tablis par l’offre.
Ce modèle politique va subir, à la fin du XX e siècle, des modifications qualitatives et quantitatives lourdes de conséquences. D’une part, en effet, à la faveur du libéralisme politique, la demande de soin n’est plus subordonnée inconditionnellement à l’offre de soin : elle peut être prise en compte par le pouvoir politique, évaluée et négociée. D’autre part, pour les raisons que nous connaissons, comme celles de l’allongement du temps de la vie et des risques d’exclusion, le domaine des soins ne cesse de s’élargir, en prenant notamment en compte les besoins des personnes vulnérables et dépendantes, comme les enfants en bas âges, les vieillards, les personnes en fin de vie, les handicapés, les malades mentaux et ceux qui sont atteints de la maladie d’Alzheimer. Car ce qui constitue l’originalité de l’État libertaire, c’est qu’il renoue avec la métaphore pastorale d’un pouvoir qui déclare à qui veut l’entendre qu’il prend soin de ses sujets, comme le berger de son troupeau. Certes, les biopouvoirs qui conditionnent nos attitudes ne sont pas pour autant au chômage, mais ils peuvent être critiqués et négociés, avant d’être légitimés.
À la faveur de la libéralisation du pouvoir, la notion de soin tend à se politiser au point d’intégrer l’ensemble des comportements sociaux : ceux relevant de l’éducation, de la culture et de l’art, du patrimoine, de la maladie, de la pharmacologie, de l’industrie, du management, du commerce, de la diététique, de l’écologie, du consumérisme, de l’aide aux pays du tiers-monde, des aides humanitaires en cas d’épidémie ou de catastrophes naturelles. Ces nouvelles exigences et urgences qui témoignent d’une obsession planétaire du soin et des soins obligent les dirigeants à intervenir à la moindre alerte et à adopter une attitude compassionnelle qui les placent dans une double contrainte lestant inconsidérément leur responsabilité et masquant leur impuissance. Sans pour autant se substituer au contrat social qui fonde la démocratie, l’exigence de soin ainsi généralisée tend à le surdéterminer et à s’imposer comme étant au principe du vivre-ensemble. Le libéralisme politique et ce que l’on appelle bizarrement le populisme se caractérise moins par la libre circulation des biens et l’allègement des charges que par cette obligation démesurée que se font les pouvoirs d’être là, au bon moment « messianique », prêts à prodiguer les soins nécessaires pour cautériser les plaies du chômage, de la maladie, de la violence, de la catastrophe, de la vieillesse ou du handicap. Être là, c’est montrer que l’on compatit et que l’on peut avoir soin sans nécessairement prendre soin ni y mettre du sien/soin.
Mais la rhétorique du soin dépend non seulement de la libéralisation du pouvoir, mais aussi du développement et des progrès de la technique. Reconnaissons que, dans tous les domaines, la technique agit comme un pharmacon : elle est un poison qui a des effets parfois néfastes sur la santé, sur le travail, sur la santé ou sur le milieu de vie, mais elle se présente aussi comme étant le seul remède aux dégâts qu’elle aurait pu causer. C’est souvent dans cette spirale paradoxale de destruction et de remédiation permanente que se déploient les gestes de soins. On pense bien entendu aux conséquences du réchauffement climatique, mais aussi à la surmédicalisation qui se développe dans notre société. Il convient de prendre la juste mesure de ce paradoxe. La technique n’en finit pas de réparer les maux qu’elle a elle-même occasionnés.
Mais il n’y a pas que des raisons politiques qui expliquent cette inflation. L’économie de marché et l’économie politique se donnent la main pour alimenter cette faim et cette soif intarissables de soins. Le soin appelle le soin, en créant de nouveaux besoins, terme qui signifie, à la lettre, les soins auprès de (be) quelqu’un ou auprès d’un groupe. Il n’est pas jusqu’au « travailler plus » qui ne soit imprégné de cet imaginaire du soin. Soyons « besogneux » et nous serons soigneux ! En clair, c’est dans un régime d’une économie généralisée du soin que nous vivons. Il est sans doute redondant de s’exprimer ainsi, car le terme économie, comme d’ailleurs celui d’écologie, nous renvoient, le premier aux règles ( nomoi ), le second au discours ( logos ) des multiples soins, grâce auxquels nous nous efforçons d’aménager notre milieu de vie. Ce n’est donc pas la technique comme telle qui nous enferme dans un tel paradoxe, mais une certaine forme réductrice de technique, oublieuse de l’art ( technê ) qui la caractérise et des règles de l’usage auxquelles elle doit se plier. À la différence de la technologie, la technique, comme l’économie, inclut, dans son exercice même, un art qui se doit de respecter le milieu humain et de l’entretenir en répondant aux besoins existants.
Mais la rhétorique du soin inclut aussi une éthique spécifique, un art de vivre au quotidien. Que l’on veuille ou non, elle recoupe la rhétorique antique de la vie bonne, du juste milieu, ce sommet auquel peut prétendre l’homme conscient de sa finitude. Heidegger, commentant le fragment d’Héraclite : « Là aussi, dans le four, sont présents les dieux » nous rappelle que les gestes de soin se déploient dans l’espace quotidien des soins alimentaires, dans les recoins de la cuisine. Ne peut-on voir dans cette conception le témoignage d’un retour au modèle antique d’une

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