Un ethnologue au pays du luxe
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Description

Le commerce du luxe connaît une expansion sans précédent. La concentration des grandes marques au sein de quelques firmes et l’enrichissement accéléré de pays comme la Chine ont profondément modifié le marché du luxe. Après Un ethnologue à l’Assemblée, voici Un ethnologue au pays du luxe. Marc Abélès nous invite dans ce livre à explorer le monde du luxe, ses produits, son économie mais aussi sa symbolique. Car le luxe est une quête, celle de l’exceptionnel, de ce qui n’a pas de prix. Il porte la marque de l’excès et de la « folle exubérance ». En suivant les routes du luxe, Marc Abélès cherche ici à comprendre cette emprise quasi magique de l’objet de luxe, la fascination qu’il exerce, les échanges entre les cultures qu’il instaure, ses modes de circulation et d’appropriation. Mais la croissance industrielle fait peser sur ce marché la menace de l’uniformisation et de la banalisation. Le luxe doit sans cesse se réinventer. Comment le fera-t-il ? En nouant une alliance inédite avec le marché de l’art contemporain. Une exploration inédite du luxe, entre fascination et finance, créativité et industrie. Marc Abélès est anthropologue, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales. Il est l’auteur de Jours tranquilles en 89. Ethnologie politique d’un département français, des Nouveaux Riches. Un ethnologue dans la Silicon Valley, ainsi que d’Un ethnologue à l’Assemblée, qui a été un grand succès. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 avril 2018
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738143921
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Ce livre est publié dans la collection « Mondes contemporains » dirigée par Marc Augé
Les humains, pour diverses et inégales que soient leurs situations, sont chaque jour davantage pris dans une même histoire. Cette collection rassemble des textes qui témoignent à la fois de ces différences et de cette convergence.


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© O DILE J ACOB , AVRIL  2018 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-4392-1
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Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
I NTRODUCTION

Le luxe, ce sont des images qui envahissent notre quotidien, images de richesse, images de réussite, images de bonheur. Un parfum, une parure, un lieu de rêve… Dans des temps où la catastrophe et la mort un peu partout rôdent, ces images nous accompagnent comme pour conjurer les désordres du monde. Elles sont aussi destinées à vendre le luxe, et l’affaire est florissante. Autre chose est de s’abstraire momentanément de la fascination et de l’aura qui entourent le luxe, de ne pas céder cependant à la tentation de se poser en critique inflexible de ses excès et de ses dérives. Et si l’on essayait tout simplement de penser le luxe et de problématiser cet objet intellectuel en en explorant la complexité ?
L’intérêt pour le luxe est un fait social universel. Les témoignages sont innombrables, d’historiens et d’explorateurs à propos de la fascination des sociétés pour les biens précieux, de l’engouement pour les dépenses festives, jusque dans les coins les plus reculés de la planète. Ainsi ne s’étonnera-t-on pas que le luxe suscite, au-delà de ses manifestations anecdotiques, des questions anthropologiques majeures. Non seulement le luxe reflète l’effort permanent de l’humain pour s’émanciper de la sphère du besoin, mais cette quête a, entre autres effets, de stimuler l’innovation dans les styles de consommation et formes de vie. Le luxe, on le verra, provoque l’économie, car son horizon relève d’un au-delà de la valeur, telle qu’elle est produite dans la sphère de la marchandise. L’objet précieux porte en lui une part d’immatériel ; il condense des univers de sens et de relations qui en font bien plus qu’un simple artefact.
Comment penser cette figure de l’excès, au-delà de la valeur dans le contexte contemporain de la marchandisation généralisée ? Tel est le défi lancé aux anthropologues soucieux d’analyser les effets de la globalisation. Il est d’autant plus pressant que la circulation des marchandises de luxe est devenue aujourd’hui l’un des moteurs du commerce mondial.
Pour plus de clarté, il importe d’abord de proposer des éléments de réflexion indispensables pour mieux comprendre ce qu’engagent la notion de luxe et les pratiques qui s’y réfèrent. Dans les pages qui suivront, je tenterai, en prenant pour fil conducteur le commerce du luxe entre l’Europe et la Chine, d’analyser la manière dont la globalisation affecte non seulement l’économie du luxe, mais reconfigure aussi les dimensions culturelle et politique. La troisième partie de ce texte est consacrée à la manière dont les acteurs du luxe affrontent le problème de la banalisation liée à l’expansion de ce marché et le rôle nouveau assigné dans ce contexte à l’art contemporain.
CHAPITRE 1
Luxe et sciences sociales

Le luxe est un sujet qui a jusqu’ici peu mobilisé les recherches en sciences sociales, alors que ces dernières ont privilégié des thèmes comme l’éducation, les migrations, la pauvreté, la marginalité, la violence. Certes, dans les années 1960, dans le prolongement des discussions sur la société de consommation, on trouve des réflexions sur le luxe, qui s’inscrivent dans le sillage des travaux de Veblen sur la consommation ostentatoire. Mais par la suite, avec l’introduction du concept de distinction par Bourdieu, l’orientation qui prévaut, axée sur les modalités de la domination, prend surtout en compte des éléments qui relèvent de la culture de masse. Il n’y a pas réellement place pour une thématisation du luxe dans des approches sociologiques focalisées sur les classes moyennes et populaires. Si la misère du monde apparaît comme un objet « légitime » pour les sciences sociales, étudier ce qui a trait à la richesse semble aujourd’hui encore plutôt problématique. Lorsqu’on présente un programme sur la question du luxe, force est de constater la réticence à peine dissimulée de nos collègues. Il y a indubitablement une axiologie sous-jacente qui conditionne le choix de sujets considérés comme plus ou moins pertinents. S’intéresser au luxe, n’est-ce pas être déjà peu ou prou complice des nantis ? Bien entendu cette axiologie n’est jamais assumée explicitement par les sociologues et les anthropologues, mais elle détermine implicitement la manière dont des phénomènes sociaux sont relégués à un statut marginal, au mépris de leur importance et de leur impact.
Le luxe en tant qu’objet d’étude peut sembler un domaine qui relève dans une certaine mesure de la futilité et qui concerne l’inessentiel. Et cependant il a suscité l’intérêt des chercheurs durant ce que Patrice Maniglier (2011) a appelé « Le moment philosophique des années 1960 », moment marqué notamment par l’influence de la sémiologie. Leur attention s’est polarisée sur la mode, et ce n’est sans doute pas un hasard, puisque la mode peut apparaître doublement comme un discours. Discours qui se déploie à travers la matière (choix du tissu, jeu des couleurs, découpe du vêtement) et dans les commentaires qui ponctuent l’exhibition périodique de nouvelles collections dans les journaux et les médias spécialisés. C’est cette discursivité riche et complexe de la mode dont Roland Barthes s’est fait l’analyste tant dans son ouvrage savant Système de la mode que dans des articles destinés au grand public. Il était conscient que pour les universitaires le sujet pouvait être considéré comme trop superficiel, ainsi que le montre la manière dont il s’exprimait à propos de Système de la mode , répondant à une question concernant le choix d’objets « insignifiants, futiles, ou modestes » :

On peut aussi concevoir Système de la mode comme un projet poétique, qui consiste précisément à constituer un objet intellectuel avec rien, ou avec très peu de chose, à fabriquer sous les yeux du lecteur au fur et à mesure, un objet intellectuel qui sorte peu à peu dans sa complexité, dans l’ensemble de ses relations. De sorte qu’on puisse se dire (ç’aurait été l’idéal, si le livre était réussi) : au début il n’y a rien, le vêtement de mode n’existe pas, c’est une chose extrêmement futile et sans importance, et à la fin il y a un objet nouveau qui existe, et c’est l’analyse qui l’a constitué. C’est en cela qu’on peut parler de projet proprement poétique, c’est-à-dire qui fabrique un objet (Barthes, 1994, p. 472-473).
L’approche du luxe chez Barthes est d’ailleurs relativement composite, d’un côté une application stricte des théories sémiologiques, de l’autre une vision ethnographique telle qu’on la trouve dans les Mythologiques et qui fait le bonheur d’écriture du texte publié dans Marie-Claire (1967) consacré au match Chanel-Courrèges. Ce qui intéresse Barthes, ce n’est pas seulement l’opposition entre le tailleur et le short, mais, au-delà, le « chic », une notion clé pour tous ceux qui s’intéressent à la mode et qu’il définit comme du « temps sublimé » (p. 157). Deux grammaires du temps s’affrontent, l’une qui privilégie l’inaltérable, l’autre qui est obsédée par le renouvellement. « Le temps donc qui est style pour l’une, et mode pour l’autre, sépare Chanel et Courrèges » (p. 157).
Cette plaidoirie pour une démarche poétique en ce qu’elle façonne son propre objet est évidemment aux antipodes du positivisme qui, à la même époque, constituait l’idéal des sciences sociales. C’est sans doute la raison pour laquelle Pierre Bourdieu s’est à son tour saisi de la question de la mode. Il en fait même la substance d’un long article publié (en collaboration avec Yvette Delsaut) dans le premier numéro de la revue qu’il venait de créer, Actes de la recherche en sciences sociales (1975). Le choix de ce thème peut paraître paradoxal, là où on l’aurait attendu sur des thèmes comme l’éducation ou la politique. Bourdieu et Delsaut nous parlent ici de la haute couture de ses grands démiurges, des griffes nouvelles qui émergent. C’est bien sûr l’occasion d’appliquer la théorie du champ, et à travers elle son analyse des modes de domination, que Bourdieu ne cessera d’affiner par la suite. Plus profondément, on discerne une sorte de fascination des sociologues pour ces personnages hors norme qu’ils tentent de mieux cerner à travers des extraits de presse qui concernent non seulement leurs conceptions de la mode, mais aussi les styles de vie qu’ils prétendent incarner. D’où par exemple la présentation de photographies des intérieurs des couturiers accompagnées des commentaires des journalistes : le goût de l’ancien chez Balmain, le côté « classique dans le moderne » de Givenchy, le modernisme de Courrèges sont traités comme des révélateurs de leurs stratégies dans le champ de la mode

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