Entre amour et amertume
190 pages
Français
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Description

Un jour, à Mascara, c'est le drame à faubourg Isidore, petit monde étroit bordé de trottoirs cimentés, abîmés, biscornus. Pour sauver les siens, la mère se jette dans les flammes et c'est alors, pour la famille cruellement éprouvée, la découverte de l'univers surréaliste des hôpitaux de l'ère boumedienne.
1971. Le narrateur troque son univers familier pour le pays de l'exil qui accueillera aussi, dans un hôpital lyonnais, celle qu'un chirurgien avisé bien que mécréant sauvera de l'amputation.

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Informations

Publié par
Date de parution 02 juillet 2009
Nombre de lectures 47
EAN13 9782296234086
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

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Extrait

Le temps. S’il avait un souffle, le temps. S’il avait un cœur, un
corps. Peut-être aurait-il été mon ami. Un vrai. Il tend la main,
parfois, pour extirper les maux qui habitent les vivants. Il me
l’a tendue à moi aussi. Des griffes des ténèbres où
sommeillaient avec moi mes semblables, il ôta mon âme pour
que mes sens naquissent une nouvelle fois. Pour qu’ils
naquissent dans cet univers inédit devenu mien. Il m’a donné la
vue pour voir, le temps. Mieux encore, la compréhension de ce
que je vois. Il m’a donné, finalement, le confort : une identité.
Ce fut compliqué, et même douloureux, pour qu’elle
accouchât, celle-ci. Longtemps la lutte féroce entre l’héritage
de mes aïeux et le monde qui s’offrait à moi dura.Fallait-il un
vainqueur ?F? me suis-jeallait-il même qu’il y ait lutte
interrogé. Il m’a semblé, et le temps m’y accompagna, qu’une
réconciliation était nécessaire pour que la confrontation cessât.

Depuis, les ex-rivaux échangent, m’enrichissent.De leur
férocité, ils ne m’éclaboussent plus. Ils ne me voilent plus la
vue pour me détourner de la réalité vraie; ils ne s’accaparent
plus mes sentiments, mes appréciations. Ils ne me ballottent
plus d’un camp à un autre, et ne m’imposent donc plus de
choisir tantôt l’un, tantôt l’autre.Au contraire, ils concourent à
ma réflexion, alimentent mes choix, attisent ma curiosité.
Quand on a ça en soi, alors on se sent disposé à retourner
côtoyer sereinement son passé, fût-il des plus ténébreux.Ce
passé dont les racines pénètrent dans l’Algérie des années
soixante-dix.Ce passé où se chevauchent deux univers, deux
cultures. Un passé qui pleure – que dis-je! – qui hurle de
douleurdepuis si longtempsdenepoint pouvoir s’exprimer.Et
qui n’a de cesse, cemartyr, demeharceler pour quejelalui
donne, cette audience, dans leprésent.

Il partit,l’immigré.Nouscroyions un temps seulement.Mais il
s’éternisa.Il s’exila dans lepaysFrance en 1971.Comme
beaucoupdeses semblables,ilcroyait,l’immigré.Ilcroyait
qu’il remplirait ses pochesaplaties par levidequi les

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composait. Il vivait en ces instants, avant son départ, pour
partir. Partir chasser le gibier franc.Puis revenir sichargé
d’argentau pointdenesavoir qu’en faire.Il rêvait,l’immigré.
Il rêvait éveillé.Sescamaradesaussi.Nous,nous vivionsdans
l’humble demeure demes grands-parentsdans larue Faubourg
Isidore, à Mascara.D’autres locataires y vivaient également.
Nous étionsentassésdanscetespacesi réduit.Danscette drôle
demaisonaux mursdeterrerêchequ’onappellehaouch.Elle
portait,la demeure demesaïeux, ce caractèrevivant,joyeux.
Ellegardaiten secret, et les mursen étaient témoins,les
douleurs,les pleurs silencieuxdes gens qui l’habitaient.Drôle.
Elleétaitdrôle,lamaisondes vieux ; les portes étaient naines
et les piècesentouraient une cour quele cielbleuetardent
illuminaitdeses millefeux.Chaquepiècefaisait office
d’appartementdéversantdans la cour unefoule d’enfantsen
basâge.

L’immigré, cet hommeprésentetabsentàlafois.Mystérieux
des plus mystérieux, avare demots,inconnudesonentourage
et même des siens.Curieux.Il étaitcurieux,l’immigré.De
l’autremonde,il revenait une, deux fois paran montrer ses
moustaches souriantes,soncorpsbaraqué.Notrejoieétait
immense àses retours.Malheureusement, ellen’était que de
courte durée.Il nous rappelait quenousavions un père.Puis
repartaitaussitôt.De France,il nous ramenaitde bonnes
choses.Choses qui n’existaient pasenAlgérie.Ils s’espaçaient,
ses retours, etdeplusen plus.Puis un jour il s’installa
durablementdel’autre côtédela Méditerranée.

Dans monesprit,l’Algérie demeure.Elle estàlafois lointaine
et très présente.Si lointaine eneffet, et pourcause :moncorps
l’aquittéeil ya bien longtemps.Ellereste cependantencore
très présenteparcequ’on nerompt pasavecses origines.Elles
sont là,présentes,toujours.L’Algérielointaine,l’Algérie
présente.Bizarre.Ilestbizarre cesentiment.Alamaison,
l’Algérie est fréquente dans lesâmesetconversations, dans la

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joie et la tristesse. Parfois ilscrient,mesaînés ; la colèreles
empoigne.Sous sonciel incandescent,l’Algérierenfermerait
biendescôtés sombres.Et lui,le diable,quoiquerépudié par
les sujetsde Dieu,il futbond’une bonté inégalée.Moi,jeme
souviens un peu.J’étaisenfant.Des imagesconscienteset
indélébilesdemeurent étenduesau fond demamémoire.

J’ai toujours pensé queles histoires étaientconfectionnées par
laviepour êtreracontées.Qu’ellesdevaient êtreécrites pour
demeurerdans les mémoires.Rien n’est pire, eneffet,quele
fait qu’ellesdisparaissentensevelies par lesaléasde
l’amnésiqueprésent.Aussiai-je décidédesatisfaireles
sollicitationsdu passéen luiconsacrantces quelques pages.
Voicidonc :

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En ce mois de juin 1971 et comme tous les matins, le muezzin
de blancvêtu sortitdesentraillesdesamaison,plongée dans le
noir.Sasilhouette drapéepénétra dans unemaison voisine.Au
sommetde celle-ci,un minaretculminait letoutBab Ali.Il
gravit unescalier plus quepentu pouratteindrelehaut-parleur
dirigé sur les sujetsde Dieu.Puisdesavoixdouce et régulière
ilappela àlaprière :lapremière delajournée, celle dufajr.
Les parolescoraniques seplantèrentdans tout lequartieret
bienau-delà encore.Nous habitions lequartier.Quelques
hommes sortirentdeleurdemeurepour s’enfoncer, euxaussi,
dans l’obscuritédes ruellesencore en sommeil.Ils s’enallaient
accomplir leurdevoiràlamosquée.

Puis, Bab Ali,lalumièrel’envahit progressivement.Les
maisons, collées les unesauxautres,seréveillaient peuàpeu.
Les rues seremplissaient.Les voitures ne défilaient qu’au
compte-gouttes.Ici l’espace appartenaitaux vivants.Deleurs
ronces, deleursbois éparset secs, des fermiersdescendaient.
Ils tiraient, agrippaient,portaient,les pauvres malheureux.Ils
bousculaient leurs mules fatiguées.Ils rejoignaient lesoukde
laville, enbas,sur laplaceRékaba, au milieudelameute de
bus.Ces hommes,leurdosdisait ôcombien pesaient lesannées
de dur labeur.Auxcôtésdeleursbêtes ils setraînaient
péniblement.Ils poussaientdescarriolesbranlant sur les routes
caillouteuses.Ils passaient par larue FaubourgIsidore :notre
petit monde; le centre du monde.Ilsarrivaientdela commune
d’ElKeurt,localité voisine.Unboutde chemin séparaitEl
Keurtde Mascara.D’autres provenaientde SidiBenDjabar, à
deux pasde chez nous.

Pour serendre auSouk,il fallaitdéambuler lelongdelaveine
principale de Bab Ali.Il fallaitcroiser les hordesdevieuxetde
jeunes, assis sur lesbordsde caniveaux,rendus patraques par
des nuitscourtes.Larue des matins était lethéâtre des tirs
croisésdes «Hé !Ahmed, héyoua qué raq?Des ouech si
Mohamed ? »théâtre bruyantdes hommes s’envoyantdes

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politesses. De leur place, ils les balançaient, les politesses.
Elles fusaient.Etdegestesamples,ilsexpédiaientdes
«Héyoua »deleur voix virile,tandis quelesbelles, elles,se
cachaientdans les maisons,pour parfois ouvrir furtivement
leur porte.Etdescadres voûtés, expulsaient
leseauxarchiuséesdans laruequ’elles tachaientd’humidité.Lesenfants
jouaient.Partout.Lapoussières’élevait.Elleétaiten
mouvementcomme cettejeunessefoisonnante,frétillante.
Jeunesseproche des vieux messieursau visageflétri,uséà
l’instardeleurs semelles qui, deleurs pas,les traînaient
laborieusement.Elles’accrochait,l’inévitablepoussière,sur
des mursblancsetdont lafraîcheurd’antan n’était plus.

Du hautdelarue, au loin,selaissait percevoir le brouhaha
d’unemassenoire difforme, auxcontours mouvants.C’était le
souk,sesituantenboutdela cascade des toits tuilés.Vorace,il
avalait leflotcontinudes gens: ceuxdelaville etceuxdes
douarsenvironnants.Ilsdescendaient,lesappétits insatiables,
cherchaient,fouinaient, bourraient.Ilsbavaient,les obsédésde
lanégociation.Et puis il yavaitceux qui remontaientàpeine
rassasiés,maisconsommés,éprouvés par lesouk,l

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