Genre et biopolitiques
262 pages
Français
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Description

Les politiques de planification familiale, dont un des objectifs est de libérer les femmes du poids des maternités non désirées, sont accusées au contraire de leur imposer des stérilisations. Où en est la liberté procréatrice aujourd'hui? Les femmes ont-elles accès à des programmes de santé qui tiennent compte de leurs nécessités ? La baisse de la fécondité se traduit par l'obtention de l'égalité juridique entre les genres, mais pas forcément par celle de la liberté procréatrice.

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Date de parution 01 mai 2012
Nombre de lectures 27
EAN13 9782296490604
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

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Extrait

GENRE ET BIOPOLITIQUES
L’ENJEU DE LA LIBERTE
© L’Harmattan, 2012 5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-96529-4 EAN : 9782296965294
Arlette Gautier
GENRE ET BIOPOLITIQUES
L’ENJEU DE LA LIBERTE
L’Harmattan
« La privation de liberté (est) la première de toutes celles qu’endurent les personnes du sexe».Gabrielle SUCHON, [1693], 1986,Traité de la morale et de la politique. La liberté.p.33.
«De toutes les libertés que la femme ambitionne et revendique, il n’en est pas une qui me semble devoir exercer une influence plus décisive sur son destin que cette liberté sexuelle – ou plus exactement cette liberté procréatrice – pour laquelle on combat ici». Nelly Roussel, [1922] 1982 (Mouvement Français pour le Planning Familial).
Cet ouvrage est publié avec l’aide de l’Université de Brest, Quimper et Morlaix.
Remerciements à: Jacqueline Heinen et les enseignantes-chercheures du groupe État et rapports sociaux de sexe Susana Lerner et les membres du programme de santé de la reproduction duColegio de MéxicoLes membres du séminaire « Genre et démographie » à l’INED Patrice Vimard et les chercheurs de l’UMR LPED de l’IRD André Quesnel L’ORSTOM, l’IRD et l’Université de Brest Tous les Yucatèques qui ont bien voulu me répondre
LIVRES DE L’AUTEURE
1993, avec André QUESNEL,Politique de population, médiateurs institutionnels et régulation de la fécondité au Yucatán (Mexique). Paris, éditions de l’ORSTOM. http://www.bondy.ird.fr/pleins_textes/pleins_textes_2/etudes_t heses/39314.pdf 2010 [1985],Les sœurs de Solitude. Les esclaves femmes aux Antilles du XVIIe au XIXe siècle, Rennes, Presses Universitaires de Rennes. ÉDITRICE 1985, « Antillaises », n° spécial deNouvelles questions féministes. 1993, avec Jacqueline HEINEN,Le sexe des politiques sociales. Paris, éditions côté-femmes. 1997, avec Marc PILON, « Familles du Sud »,Autrepart. Cahiers des sciences humaines de l’ORSTOM, nouvelle série, n° 2. 2004,Les politiques de planification familiale.Cinq expériences nationales. Nogent sur Marne, CePED, collection Rencontres.
2008, « Femmes et militantisme, Europe-Amériques, XIXe-XXIe siècles »,@mnis,n°8, http://www.amnis.revues.org/58
Mots-clefs : Genre, politique de planification familiale, politique de santé de la reproduction, droits reproductifs, droits des femmes, fécondité, indicateurs sexospécifiques, régime de genre, pays en développement, Mexique, Yucatán Tableau montrant des méthodes contraceptives dans un dispensaire du Yucatán, photographié par Arlette Gautier
INTRODUCTION «En tous temps et en tous lieux, la maternité a eu un double visage : expérience physique et émotionnelle mais aussi institution faite de lois et de coutumes visant à régler les capacités reproductrices des femmes» (Rich, 1976 : 1). LA FÉCONDITÉ, LA CONTRACEPTION ET LA LIBERTÉ FEMININE La fécondité est souvent présentée comme un fardeau imposé aux femmes par la biologie (Beauvoir 1949 ; Firestone 1971). Elle l’est aussi comme la raison principale de la domination masculine, que les hommes aient voulu être sûrs de leur descendance pour transmettre la propriété privée (Engels [1884] 1976), s’approprier la force de travail présente et future des enfants (Meillassoux 1997) ou obtenir des fils qui les reproduisent (Héritier 2003). Elle nécessiterait la mise en œuvre d’institutions permettant cette appropriation, notamment la contrainte à l’hétérosexualité (Tabet 1998; Wittig 2001). La fécondité serait donc un enjeu entre les sexes et une condition de la liberté féminine (Fraisse 1999). Dans un livre au titre évocateur :Contraception : contrainte ou liberté ?Héritier et Léridon 1999), (Beaulieu, Françoise Héritier, anthropologue au Collège de France, indique que cette domination masculine se dissoudrait par le droit à la contraception, qui entraînerait avec lui tous les autres droits des femmes, ce que ne ferait pas la simple pratique de la contraception, dont Angus Mac Laren (1996) a montré qu’elle était connue et utilisée depuis l’antiquité. Elle a développé ce point de vue dans le deuxième tome deMasculin/féminin, au titre également suggestif : Dissoudre la hiérarchie(2002). «C’est l’introduction par la loi de la pratique technique contraceptive dans les pays occidentaux au XXe siècle qui a fourni
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le levier permettant aux femmes de soulever le poids de la domination masculine. Car la contraception agit au point même où s’est fondée et cristallisée cette domination, si l’on suit mes analyses, c’est-à-dire sur la période féconde féminine qui a été assujettie à la volonté des hommes, tant époux que pères ou frères, pour leur reproduction ».Le droit à la contraception «emporte dans son sillage le droit des femmes à choisir librement leur partenaire, à refuser les mariages arrangés pour elles parfois dès l’enfance, à être protégées lors de la dissolution de l’union voulue par le mari, et même à sortir de leur propre chef d’un mariage qui ne leur convient pas.On conçoit que, gros de telles possibilités, le droit à la contraception ne soit pas envisageable dans des pays où la domination masculine est le socle demeuré dur de la culture» (Héritier 2002 : 239 et 249).
Geneviève Fraisse développe l’idée que la contraception permet aux femmes d’acquérir la propriété de leur corps, à la fois face aux hommes et face à la nature. Elle entraîne une révolution du point de vue de type copernicien car la femme cesse d’exister comme un être relatif à la nature de l’espèce. La contraception est donc est une condition de la liberté féminine et même sonhabeas corpus:
« Au sens propre car « You should have the body » en est l’expression centrale, celle d’une propriété de soi, qui commence par celle du corps. Elle est exactement reprise, soulignons-le, dans le slogan « notre corps, nous-mêmes » des féministes américaines des années 1970, traduit par « notre corps nous appartient » dans le féminisme français de la même époque… La contraception s’oppose à l’injustice… qui laisse les femmes toujours plus punies que les hommes dans leurs tentatives d’éviter la grossesse ou de provoquer un avortement »(1999 : 55).
Ces affirmations sont contestées car la contraception n’a pas permis l’égalité entre les genres. La division sexuelle du travail (Kergoat 2000) ou la production domestique (Delphy 1998) seraient plus fondamentales pour l’abolition de la hiérarchie entre les genres. C’est oublier néanmoins que la liberté et l’égalité sont deux notions distinctes et que l’une et l’autre sont tout aussi nécessaires. «Dans le combat féministe, tous les éléments ne
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relèvent pas de l’égalité. Certains relèvent de la liberté. Nous sommes concernées dans notre corps, par le viol, la maternité, l’excision: 299-307). Ne pas avoir d’enfant non(Fraisse 2010 . » désiré ou ne pas mourir en couches sont des libertés essentielles qui ne font pas forcément avancer l’égalité mais ils en sont néanmoins une condition, nécessaire sinon suffisante. Pour le démographe Henri Léridon (1999), l’accès à la contraception est avant tout une nécessité liée à la baisse de la mortalité, qui sinon conduirait très vite à une explosion démographique sans commune mesure avec celle que la terre a connue. Il souligne néanmoins avec Alain Giami (2000) que dans les pays en développement, l’accès à la contraception est parfois imposé, soit de façon brutale, soit dans le cadre de programmes sanitaires qui vont dicter la nécessité de stérilisations tubaires après des césariennes, d’ailleurs trop nombreuses par rapport aux normes de l’OMS. Plus généralement, la contraception médicalisée ne ferait que se substituer à celle que les femmes pratiquaient depuis longtemps avec des herbes ou des racines, et elle les dépossèderait de leurs savoirs et de leurs corps (Mac Laren 1996). Malgré l’importance tant pratique que théorique de ces débats, la reproduction n’apparait pas dans les manuels récents sur le genre (Bereni et al. 2008 ; Guionnet et Neveu [2004] 2005). Elle est aussi oubliée dans la recherche d’indicateurs qui mesurent les inégalités entre les genres. Plus grave, elle a même été évacuée des huit Objectifs du Millénaire pour le Développement qui sont supposés orienter l’action internationale depuis 2000. La contraception, qui a mobilisé tant de programmes et de mouvements féministes n’en faisait pas partie entre 2000 et 2005. Curieusement, les nouvelles techniques de reproduction font l’objet de plus de recherches alors même que, malgré tout leur intérêt, 1 elles sont assez minoritaires (Kahn 2007) . Les raisons de ces « oublis » sont variées. Pour les manuels de sociologie du genre, on peut penser que jouent les découpages
1  . Les 40 000 adoptions internationales par an dans le monde ont moins été étudiées comme « production d’enfant » (Reysoo et Bos 2010).
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2 disciplinaires qui affectent plutôt la reproduction à la démographie qu’à la sociologie, malgré des travaux sur les politiques du corps et les mouvements de planning familial (Bard et Mossuz-Lavau 2007). Il faut ajouter que la contraception et l’avortement semblent aller de soi en France, gérés qu’ils sont désormais par les médecins, même si le Mouvement Français pour le Planning Familial dénonce les entraves subtiles qui leur sont opposées. Plus profondément, penser la reproduction revient à démentir le nouveau paradigme des études sur le genre, passées de l’idée que le genre est construit à partir des différences entre les sexes à celle que sexe et genre sont totalement construits. Or, si un homme peut acquérir le statut civil de femme, cela ne lui permettra pas d’acquérir la capacité de porter un enfant. Comme le souligne Priscille Touraille (2011), l’espèce humaine étant gonochorique, sa reproduction nécessite bien deux sexes, même si les sociétés élaborent des hiérarchies entre les genres extrêmement variées à partir de cette dualité. Elle propose donc, et ce sera suivi dans ce livre, de parler de construction des genres (au pluriel) lorsque l’on évoque les hommes et les femmes et de sexes uniquement pour évoquer la sexuation reproductive. Cet oubli de la reproduction humaine est problématique alors qu’un vaste mouvement de femmes, au départ africain-américain puis transnational, exige depuis les années 1960 des politiques favorisant l’avortement mais aussi la liberté dans l’accès à la contraception ainsi que des politiques sociales et sanitaires permettant d’accoucher dans de bonnes conditions et de bénéficier d’une santé sexuelle et reproductive. Ce mouvement a reproché aux féministes blanches de ne se préoccuper que de l’avortement, qui leur était interdit, mais pas des limites forcées ou sociales à l’enfantement, que vivaient plus souvent les Noires et les Amérindiennes aux Etats-Unis même ou des Asiatiques (Fried 1990). Seule une perspective intersectionnelle (Pfeffenkorn 2007 ; Dorlin 2009) qui tient compte des préoccupations des femmes des catégories populaires racialisées permet de comprendre les modalités des politiques de la procréation (Davis 1983). En effet, 2  Adjamagbo et Guillaume 2001, Attané 2004, Bajos et Ferrand 2005, Bozon 2005, Brugeilles 2004, Gastineau 2005, Guilmoto et Kulkarni2004, Hillcoat-Nallétamby 2003, Lerner et Szasz 2008, Rossier 2010.
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