Le safari du papillon au Nigeria
145 pages
Français

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Le safari du papillon au Nigeria , livre ebook

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Description

Arrivée à Paris depuis sa Roumanie natale comme réfugiée politique en 1983, l'auteure nous raconte, l'émotion des retrouvailles avec son père et sa découverte de la Ville lumière. Elle nous emmène ensuite au Nigeria, où sa famille déménage un mois plus tard. Marina Anca nous décrit son intégration certes, mais aussi le coup d'État d'alors de l'actuel président du Nigeria, Muhammadu Buhari. Par un jeu d'introspection, son touchant témoignage nous fait découvrir les contrastes de notre société et la nécessité d'adapter constamment nos paradigmes.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 06 septembre 2017
Nombre de lectures 3
EAN13 9782336798448
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Marina Anca LE SAFARI DU PAPILLON AU NIGERIA Périples entre indigence et abondance Récit
Du même auteur Quand la chenille devient papillon ou la dictature roumaine vue par une adolescente libre, Éditions Saint-Honoré, 2016. (première édition chez ED2A, 2013) © L’Harmattan, 2017 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr EAN Epub : 978-2-336-79844-8
Merci tous mes amis qui m’ont si Qien accueillie à l’École française de Lagos. Merci aux autres aussi. Ils m’ont donné le courage de me surpasser.
« Les autres n’ont sur nous que le pouvoir que nous leur donnons ». Erhard FriedQerg
PREMIÈRE PARTIE
BONJOUR PARIS
Chapitre I – Le Louvre
De gare du Nord à gare du Nord
« Passe ! » Voilà un mot étrange dans la bouche d’u n bébé d’à peine un an. Et que dire du fait qu’il s’agit là desontout premier mot?«Impossible ! » me direz-vous. Eh bien, dans notre famille, ce mot n’a jamais été le bienvenu. Il est banni, même de notre inconscient. Nous, on aime jouer. Presque tous les soirs, nos parents jouent au bridge et nous, nous les observons depuis le canapé où nou s sommes installées. Dès que les joueurs reçoivent leurs cartes, le son «passe »s’entend à profusion. Si le donneur ne peut proposer un contrat, comme au tarot, si vous v oulez, il cède la parole au joueur suivant en disant « Passe ». Celui-ci surenchérit o u passe à son tour, et cela continue, jusqu’à trois « passe » d’affilée autour de la tabl e. Comme dans la vie… ce n’est qu’après moult passes q ue le véritable jeu commence. Avant que je vienne au monde, Moana était toute seu le près de la table. Donc, pour attirer l’attention, ma grande sœur choisit ce term e pour ses débuts en société, au lieu de diremaman. Elle inaugura ainsi la série d’anecdotes que nos parents répétaient à loisir entre deux parties, à défaut de pouvoir s’ex primer ouvertement dans le pays du dictateur. Le reste du temps, les yeux des quatre j oueurs restaient braqués sur les cartes. Elles volaient sans discontinuer à travers le carré en daim vert posé sur la table familiale. Comme vous à ce stade de la lecture, en ce temps-là , ni ma sœur ni moi ne savions dans quel régime politique nous vivions. Nous étion s petites, les adultes qui venaient chez nous paraissaient joyeux. Nous les écoutions f ascinées, tentions de deviner qui allait dire « Passe ». Depuis le canapé, la vie n’é tait qu’un jeu. La nonchalance des adultes nous rassurait. Le ton calme avec lequel il s prononçaient le mot magique, « passe »ait possession de notre nous berçait. Vers minuit, quand le silence repren appartement trois-pièces situé en plein centre de B ucarest, Moana et moi dormions les poings fermés, malgré la dictature. En grandissant, nous comprîmes. Les discussions ano dines et les anecdotes devinrent également notre norme. Le brouhaha du fut ile remplissait agréablement nos oreilles et nos pensées. Notre inconscient nous ord onnait de faire la sourde oreille aux tentatives d’endoctrinement politique via l’enseign ement scolaire. Arrivées chez nous, nous jetions nosacquis patriotiquesoubliettes, comme du linge sale. Nos parents aux ne nous demandaient pas ce qui s’y passait. Leur si lence renforçait ce processus de rejet de la doctrine communiste que l’on essayait d e nous faire avaler de force. Tous les jours, toujours plus. Oui, le silence est d’or. En gardant le silence, nous étions plus à même de supporter les directives du Parti communi ste sans broncher, sans y croire, et donc sans en parler. Même aux plus proches amis. Même entre nous. Moana et moi ne parlions jamais de ce que nous ressentions. En r evanche, nous jouions beaucoup ensemble. Au moment du coucher, nous inventions des histoires , avec des personnages que nous interprétions, comme au théâtre. Notre perform ance s’interrompait quand nos paupières se fermaient et reprenait de plus belle l e soir qui suivait. J’étais toujours la princesse. Moana avait tous les autres rôles, y com pris celui du prince. Ne croyez pas pour autant que je l’obligeais à quoi que ce soit. Ma sœur, qui avait exactement un an et demi de plus que moi, avait défini seule les règles du jeu, pour faire son intéressante… jusqu’à ce qu’elle apprenne à lire. Elle
préféra dès lors jouer avec les mots de ses livres plutôt qu’avec moi. Quand Moana commençait à baisser le nez dans ses li vres, ma poupée et moi descendions en bas de l’immeuble pour jouer avec le s enfants du quartier. À la tombée de la nuit, je rentrais sagement. Ma mère, comme le s autres, imposait un couvre-feu, comme si les enfants ne savaient pas jouer la nuit. Je ne lui en ai jamais voulu. Après le dîner, en l’absence d’amis bridgeurs, elle laiss ait Moana me distraire en me racontant les aventures qu’elle venait de lire. J’a vais l’impression qu’on se complétait. Ma sœur aimait lire et j’aimais parler. J’étais exu bérante, elle était posée. J’avais une longue chevelure lisse, couleur blond-cendré, u n visage pâle, ovale, des yeux vert doré avec de longs cils et des lèvres fines qui cac haient peu mes petites dents de travers. Les dents de ma sœur étaient parfaitement alignées. Ses lèvres étaient plus charnues, ses yeux d’un marron très doux et ses che veux courts, noirs et crépus, mettaient en valeur ses joues rondes et roses. Oui, ma sœur avait une tête de poupée, bien remplie de surcroît. Éblouie par sa capacité de mémorisation, captivée par ses récits, je me laissais d’autant plus volontiers entraîner dans ses lectures que plus je grandissais, moins j’avais envie de me pencher sur la réalité. À l’école, nos pensées étaient épiées, muselées, no s volontés broyées par la dictature. Impossible de savoir qui était enfant d’ espion de laSecuritateet qui ne l’était pas. Si la surveillance était connue pour être perm anente, lesurveillantl’était rarement. Nous savions tous que les membres de la police secr ète s’infiltraient dans les cercles de manière si subtile que tout le monde se devait d e soupçonner tout le monde, alors nous vivions heureux dans notre réalité communiste : les murs avaient des oreilles. Au fil des ans, leur ouïe s’aiguisa. La dictature s e durcit. Les frontières de la Roumanie furent fermées, les gens autorisés à voyag er triés sur le volet. En 1981, la vie était difficile à tous égards. Nos activités sc olaires étaient enlaidies par leur caractère politique, le quotidien des adultes noirc i par laSecuritate et nos organismes affaiblis par le manque de nourriture, d’eau et d’é lectricité. Évidemment, on ne s’en plaignait pas. N’importe qui pouvait être arrêté n’ importe quand, sur n’importe quel prétexte. Sans prétexte aussi. Voilà pourquoi, lorsque nous apprîmes, à la fin de l’été 1982, que papa venait de nous quitter afin de demander l’asile politique en France, nous gardâmes le silence. En prenant cette décision, nos parents tentèrent le to ut pour le tout. Une fois enfui, ou techniquement pas revenu, puisqu’il était parti à P aris en avion, avec un visa légal, 1 papa n’allait pas pouvoir revenir en cas de refus d e l’OFPRA . Il aurait été jeté en prison dès son retour, soit pour trahison soit pour une autre raison. Personne ne vérifiait. Seule lajusticedu Parti avait le droit de vote. Donc, en espérant que la France allait accorder à notre chef de famille l’asile pol itique, notre mère embrassa son mari à l’aéroport, brièvement pour ne pas éveiller les sou pçons, et le laissa partir dans le monde libre. Nous avalâmes les sanctions et attendîmes. Le régim e se durcit. La nourriture, l’eau, l’électricité, l’essence furent rationnées, données aux compte-gouttes. L’Occident était un rêve que nous guettions fébrilement, comme un go sse qui surveille une pièce sombre à travers le trou de la serrure. Puis, le 21 juin 1983, nous prîmes le train pour Pa ris et j’entrai enfin dans ma pièce mystère, la Ville Lumière.
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