Le sourire du père
162 pages
Français
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Description

64 ans après la Libération, l'auteur est partie fouiller les Archives à Lille, Roubaix et Lewarde à la découverte de l'action héroïque de l'ingénieur en chef des mines de charbon du Nord-Pas-de-Calais. Elle n'a jamais oublié l'instant où, à six ans, sur le balcon de l'Hôtel de ville de Béthune, elle vit son père se tenir à côté d'un inconnu, le général de Gaulle. Malmenée par la vie, elle n'a jamais pu élucider le mystère de cette apparition jusqu'au jour où elle se lança dans cette quête de vérité.

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Informations

Publié par
Date de parution 06 février 2015
Nombre de lectures 23
EAN13 9782336369778
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Collection Récits
May DUHAMEAUXLEFRESNE
Le sourire du père
Un souvenir d’enfance à la Libération
LE SOURIRE DU PÈRE
Rue des Écoles Le secteur « Rue des Écoles » est dédié à l’édition de travaux personnels, venus de tous horizons : historique, philosophique, politique, etc. Il accueille également des œuvres de fiction (romans) et des textes autobiographiques. Déjà parus
Brousse (Odette-Claire),Sortir de chez soi, 2014. Beuchée (Laurent),Un regard de Haute-Bretagne, 2014. Lemaître (Vincent),Risques salés, 2014. Micaleff (André),Heimat, 2014. Michelson (Léda),Les corps acides, 2014. Leclerc du Sablon (Françoise),Derrière la seizième porte, 2014. Nicole-Le Hors (Jacqueline),La croix ou la bannière, 2014. De l’Estourbeillon (Hubert),La Cité deshauteurs, 2014. Coutarel (Colette),Promenade romantique à Pôle Emploi, 2014. Baillet (Dominique),L’absence, 2014. Zelwer (Charles),Face au miroir sans reflet, 2014. Flouzat (Denise),Le journal d’E, 2014. Ces douze derniers titres de la collection sont classés par ordre chronologique en commençant par le plus récent. La liste complète des parutions, avec une courte présentation du contenu des ouvrages, peut être consultée sur le site www.harmattan.fr
May DUHAMEAUX-LEFRESNELE SOURIRE DU PÈREUn souvenir d’enfance à la Libération
© L’Harmattan, 2015 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Pariswww.harmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-05471-1 EAN : 9782343054711
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Je descendais presque chaque matin, dès l’aube, au chevet de ma rivière. En chemin, sur le petit pont double de bois l’enjambant en deux temps elle et son île, et laissant entrevoir entre ses poutres usées l’écoulement du flux tumultueux qui cascadait de pierre en pierre tel un torrent montagnard, je ne pouvais éviter de laisser dériver mes pensées de la fuite des eaux à la fuite des heures, inéluctable, entraînant dans sa course la disparition de chaque specta-teur un jour apparu. Entourant le village, ses boucles miroitantes lui servaient de frontières. Elles avaient bien défendu au Moyen-âge les abbesses recluses en leurs murs derrière leur tour de guet. Elles défendaient encore, avec la route étroite et bosselée qui les longeait, aux multiples dos d’âne, un peu de tranquillité. Ce matin-là, passé le petit pont, je vis une oie blanche voguer vers l’ombre de son arche, au gré des flots, tranquille. Je quittai la route pour m’en approcher, me laissant glisser à flanc de colline dans les traces de pas laissées dans la boue séchée le long des rives par les grandes bottes en caoutchouc des pêcheurs. Il n’avait pas plu depuis plusieurs jours. Je prenais garde aux saillantes racines s’enchevêtrant entre les herbes. J’avais la hantise de la chute et, à mon âge, de demeurer immobilisée, de perdre ma très précieuse autonomie et d’être reléguée dans une maison
médicale, condamnée à la compagnie forcée de vieilles dames bavant d’éternels radotages. Qu’il devait être dur de supporter ces autorités de tutelle dont le nombre se multipliait avec l’accroissement de la longévité. J’avais tant connu de ces dames, que j’écoutais alors, en médecin attentif, se soulager sur moi de leur misère de femmes supportant mal la solitude, devenues veuves trop tard. Quel marché florissant ce troisième, ce quatrième âge ! Ma boîte à lettres, chaque jour, se remplissait de tous les contrats d’obsèques, les assurances contre la dépendance et le handicap. Je savais comment j’en finirais si je devais dépendre de tous ces vautours. J’écrirais une lettre pour expliquer ma décision, une lettre que je laisserais ouverte sur ma table de nuit. Je m’endormirais, les lunettes sur le nez comme ma sœur de l’exode, pour mieux voir, peut-être, ce qui allait se passer… J’aurais lâché sur le drap le livre tenu entre les mains. Les Pensées de Pascal, un Saint-Exupéry, un James Joyce, Baudelaire ou… Je ne l’avais pas encore choisi car j’avais la chance, malgré toutes mes douleurs physiques, d’être totalement autonome. Des interventions chirurgicales, je devrais en subir si j’étais raisonnable, mais ayant longtemps pratiqué la médecine, je me méfiais des chirurgiens. Leur bistouri répare, oui, mais en lésant aussi les tissus sains. Non, je ne les laisserai pas décider pour moi, tant que j’aurai ma tête, mes bras mes jambes pour me porter jusqu’au lit de ma rivière. Je regardai entre les proéminences des os carpiens de ma main gauche s’épanouir les fleurs de cimetière, inexorablement. Me faisaient un peu pitié ces femmes qui les masquent de crème blanchissante comme elles tartinent leur visage de crème régénérante. Espèrent-elles pouvoir ainsi éviter ce lent écoulement de l’âge comme celui des flots à mes pieds ? Ma rivière, telle l’antique Athéna ou son symbole, la chouette, me scrutait. Que venais-je donc chercher auprès d’elle chaque matin, dans le silence de l’aube témoignant du
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sommeil des oiseaux, des ragondins, des canards, en intruse de l’espèce humaine trop encline à saccager par plaisir ou intérêt ces paysages préservés depuis des siècles. Je me faisais discrète. En ce musée de la nature, je ne touchais à rien. Je ne parlais pas. Je ne chantais pas. Je me contentais de contempler, d’écouter, de lire les pages d’un livre secret. J’avais appris à apprécier la solitude, ses silences permettant à mon esprit de me parler. J’entendis résonner derrière moi, sur le goudron, les sabots d’un cheval. Je me tournais pour le chercher du regard. De l’autre côté du moulin et de l’Abbaye Royale se trouve un centre équestre. Pendant deux ans, j’avais pratiqué comme une religion l’art de chevaucher, un rêve de fiancée, une poésie, découvrir des petits secrets derrière les murs des jardins fleuris, toutes ces cachettes, hissée sur l’échine capricieuse d’un étalon n’ayant rien perdu de sa noblesse, malgré son apparente domesticité. Mon père avait dû précipitamment s’initier à ce sport à dix-huit ans pour intégrer Polytechnique, un devoir envers son père qui, après avoir été admissible à l’écrit, avait été refusé lors de la visite médicale pour une surdité de l’oreille gauche. Mon père avait réparé cet outrage en décrochant la brillante seconde place de sa promotion, sur la fin de la guerre où il eut le temps d’être mobilisé trois semaines. Puis ce fut le beau défilé du 14 juillet 1919 derrière les trois maréchaux flambant neuf sur leur cheval blanc. Jeune provincial, transpirant sous son bicorne, comme ses camarades il tourna un visage de marbre vers le Président de la République et Georges Clémenceau, le « Tigre », selon l’enseignement strict du protocole. Son père dut alors lui apparaître en esprit, impassible ou fier. Son frère suivit ses traces et l’humiliante plaie du père, trente ans plus tôt, fut doublement cicatrisée. Les sabots se turent. Je me surpris à découvrir que leur silence me laissait là, bien seule, immobile. Orpheline.
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