Les métamorphoses du travail intellectuel
181 pages
Français

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Les métamorphoses du travail intellectuel , livre ebook

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Description

Innover, s'impliquer et s'adapter sont les maîtres-mots contemporains. S'appuyant sur une crise structurelle du travail et de l'emploi, ils nourrissent de nouvelles injonctions contraignant les salariés à défendre leur place sur le marché de l'emploi et dans l'entreprise. Parmi eux, les ingénieurs et techniciens, longtemps associés à l'autonomie, à la maîtrise technique et à la créativité, subissent des remises en cause : de l'instabilité professionnelle au risque de la déqualification, ils sont placés dans une incertitude permanente. Les bureaux d'étude sont ainsi au coeur d'une mise sous tension des concepteurs : évalués, contraints à des objectifs de productivité (lean), ces salariés mis en concurrence doivent faire la démonstration de leur capacité à tenir leur place et à valoriser leur métier face aux logiques gestionnaires et managériales.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 19 février 2020
Nombre de lectures 0
EAN13 9782336894058
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1300€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Collection « Entreprendre et comprendre »
Collection « Entreprendre et comprendre »
Cette collection est dirigée par Luc Chelly
Depuis plus de 20 ans, « Entreprendre et Comprendre » réalise des études et des recherches avec des chercheur.e.s des différentes disciplines des sciences humaines et sociales. Créée par Luc Chelly, « Entreprendre et Comprendre » est une agence d’études qui est intervenue et qui intervient auprès d’institutions (ministères, collectivités territoriales, Agences de l’État, etc.), d’entreprises (publiques et privées) et d’organisations, en assurant un rôle déterminant en amont quant à leurs décisions stratégiques et organisationnelles par une démarche d’abord qualitative. C’est à partir des pratiques et de cette expérience que la collection « Entreprendre et Comprendre » propose un regard analytique et critique afin de contribuer aux débats avec l’objectif d’être opératoire.
Dernière parution
Ida Bost, Les herboristes au temps du certificat (1803-1941) , 2019.
Titre

Sébastien Petit






Les métamorphoses du travail intellectuel
Une mise sous tension des ingénieurs et des concepteurs
Copyright


























© L’HARMATTAN, 2020
5-7, rue de l’École-Polytechnique – 75005 Paris
www.editions-harmattan.fr
EAN Epub : 978-2-336-89405-8
Introduction Ingénieurs et techniciens à l’épreuve des nouveaux enjeux du travail
Le travail d’exécution dénué d’initiatives individuelles, le respect des procédures, l’empilement des strates hiérarchiques, les organisations bureaucratiques normatives et les systèmes décisionnels complexes appartiendraient au passé. Ces différents aspects du travail, caractéristiques de la société industrielle, s’estomperaient en tendance, à mesure que les organisations récentes exigeraient des travailleurs davantage d’autonomie, de créativité et d’innovation dans leur travail. L’époque serait à l’intellectualisation du travail, à l’enrichissement des activités, au travail collaboratif, à la flexibilité et à l’accomplissement personnel par l’élaboration de projets et la capacité à se reconvertir. La réactivité, les idées neuves et l’ empowerment seraient la source à la fois de nouvelles performances économiques et d’une émancipation des travailleurs, appelés à passer du statut de salarié à celui d’auto-entrepreneur. Dans cette configuration où le travail créatif et les organisations innovantes sont régulièrement invoqués par différentes catégories d’acteurs sociaux, les métiers situés du côté du travail intellectuel, à l’instar des activités de management, d’innovation et de conception, sont présentés comme de nouvelles niches d’emploi pour l’économie du futur. Cependant, la société actuelle reste marquée par la production capitaliste et industrielle et témoigne simultanément de ses transformations.
1. Le travail intellectuel et les recompositions industrielles
Les changements sociaux, économiques et productifs survenus ces dernières décennies en France sont caractérisés par un déclin des emplois dans les secteurs industriels, une recomposition du travail d’exécution, le développement des tâches de gestion et la généralisation du support informatique comme outil de travail. Ces changements découlent d’une mutation du capitalisme ainsi que des structures et des rapports sociaux qui lui sont propres. La remise en cause des modèles de travail et d’organisation de types tayloristes et bureaucratiques a eu pour effet d’ouvrir de nouvelles possibilités en termes de créativité, d’initiative, d’autonomie et de responsabilité dans le travail (Bernoux, 2004). Le développement des outils numériques et des tâches immatérielles appellerait une « intelligence collective » qui dépasserait la forme hiérarchique de la division du travail contemporaine (Moulier-Boutang, 2007).
Cette apparente rupture avec les fondamentaux du capitalisme industriel s’est incarnée dans le discours réhabilitant l’entreprise, l’initiative individuelle, le dépassement de soi et l’esprit de compétition qui a fait florès dans les années 1980 (Linhart, 1994 ; Gaulejac, 2005). Elle se manifeste par l’insistance d’acteurs économiques à souligner l’importance de l’innovation, l’attractivité des nouvelles pratiques de management ou encore le devoir pour les salariés d’être flexibles, mobiles et polyvalents. Tandis que les ouvriers, particulièrement touchés par les mutations socio-productives engagées dans les années 1970 et 1980, ont été affectés par des remises en cause, dans le travail et dans l’emploi, qui paraissent acter la rupture du compromis fordiste caractéristique des « Trente Glorieuses » (Beaud, Pialoux, 1999), les travailleurs les plus qualifiés, les travailleurs intellectuels 1 notamment, sont au centre de cette dynamique de transformation.
En considérant le discours managérial, miroir des orientations du capitalisme contemporain (Le Goff, 1992), l’enjeu serait double. D’une part, réaliser des produits et des services plus performants, plus fiables, plus rapides et moins chers. De l’autre, conformer le travail collectif aux normes actuelles de concurrence internationale et de productivité du travail en imposant aux travailleurs la quête incessante d’innovations et de flexibilités. De par sa place dans le procès 2 de production, le travail de conception est au centre de ces tensions et les concepteurs apparaissent comme une figure de proue de l’innovation (Le Masson, Weil, Hatchuel, 2006 ; Minguet, Osty, 2008).
A l’image des fonctions d’encadrement, le travail des ingénieurs et des concepteurs est pourtant lui aussi touché par un processus de rationalisation qui met en mouvement des mécanismes de transformation du travail intellectuel. La remise en cause des modèles tayloro-fordistes, qui se caractérisaient dans le cas du travail de conception par une standardisation des modes opératoires ainsi que des outils de travail et par une distinction des tâches et des postes entre ingénieurs et techniciens dans les bureaux d’études jusqu’aux années 1980, a paru générer de nouvelles formes d’autonomie et de créativité dans le travail des concepteurs.
Il en va ainsi de l’organisation par projet, qui structure désormais l’activité de conception. Le fonctionnement par projet, s’il est facteur de contraintes et de contradictions nouvelles, renforcerait l’enrichissement du travail et des compétences des concepteurs (Charue-Duboc, Midler, 2002). En outre, le travail de gestion, accru, serait susceptible de valoriser les concepteurs et de répondre à leurs attentes en termes de gestion de projet, d’investissement dans de nouveaux défis, d’animation d’équipes transverses, de renouvellement des pratiques de travail et d’enrichissement des compétences.
Contre les discours et les perspectives faisant du travail intellectuel un horizon ré-enchanté des mondes du travail, il convient de placer celui-ci dans son contexte socio-productif, c’est-à-dire à face à ses déterminants sociaux. L’activité de conception, à partir de laquelle cet ouvrage examine les métamorphoses 3 du travail intellectuel, est en premier lieu un segment du procès de production industriel. La conception, ou le procès de conception, n’est donc pas dissociable de l’ensemble de la production. Un faisceau de contraintes productives, industrielles et financières pèse par conséquent sur la conception et sur le travail des concepteurs. Il faut ainsi dissocier l’activité de conception industrielle du travail créatif. Si l’acte de travail, y compris le plus répétitif ou traversé de pratiques rompues à la routine, nécessite des capacités créatives (Alter, 2000) et donc nécessairement intellectuelles, les procès de conception de type industriel ne permettent pas, pour une large majorité de travailleurs, d’exprimer de véritables qualités de création et d’innovation qui différencieraient fondamentalement, d’une part, les actes, les tâches ou les réalisations accomplies et, de l’autre, le travailleur lui-même, de ce qui se pratique par ailleurs dans le même secteur d’activité. De par les contraintes productives, organisationnelles, techniques ou encore commerciales qu’ils rencontrent dans leur activité, les concepteurs industriels ne peuvent exprimer des capacités créatives que lorsqu’une tension forte les contraint à s’émanciper partiellement des processus et des procédures pour répondre rapidement à un objectif (technique ou gestionnaire) impliquant la réconciliation de deux éléments contradictoires : par exemple, les objectifs qui leur sont impartis avec les moyens ou les délais qui leur sont accordés.

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