Les droits humains au Maroc : entre discours et réalité

Osire Glacier

Description

Entre les discours officiels sur les droits humains et la réalité, un décalage important persiste et se manifeste, y compris au cours de ces dix dernières années. Il est notamment présent dans le rôle joué par le Maroc lors de la rédaction de la Convention contre la torture, comme dans la répression sur les militants du mouvement du 20 février. En juxtaposant le discours officiel du Maroc portant sur les droits humains aux mouvements sociaux qui ont mobilisé la société marocaine depuis les luttes contre le protectorat jusqu'au Mouvement du 20 Février, ce livre nous éclaire sur le rôle joué par les représentants du Maroc dans les instances internationales, notamment dans leurs interventions au cours des négociations à huis clos en commissions et sous-commissions des grands traités internationaux. Osire Glacier s'appuie également sur des témoignages de femmes qui ont subi la torture pour montrer comment l'autoritarisme du pouvoir utilise et renforce le patriarcat traditionnel.

Sujets

• Politique
• Droits de l'homme

Informations

• Publié par: Tarik Editions
• Date de parution: 01 février 2015
• Nombre de lectures: 14
• EAN13: 9789954196939
• Langue: Français

Extrait

Les Droits humains au Maroc entre discours et réalités

Couverture et mîse en page : Fatîm ïbourg Lakhsassî

©Tarîk édîtîons 2015, pour e Maroc Tous droîts de traductîon, de reproductîon et d’adaptatîon réservés pour tous pays

ïSBN : 978-9954- 419 69- 3 Depot éga : 2015 MO 0306

Osire Glacier

Les Droits humains au Maroc entre discours et réalités

T a r i k E d i t i o n s

À la mémoire de mon père Mohamed Hadouche,

Pour tous ceux et celles qui ont consacré leur vie à l’édiIcation d’un Maroc meilleur,

Pour les nouvelles générations.

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Remerciements

Je tiens à remercier l’Université Bishop pour le soutien qu’elle a apporté à ce projet.

Je remercie également Lee-Ann St-Onge pour tous les livres que j’ai pu emprunter grâce à sa diligence et à sa persévérance.

De même,

je remercie Dr. François Crépeau et Dr. Setrag Manoukian pour leur appui inestimable.

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Sommaire

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Introduction

La participation du Maroc à la Convention contre la torture

La mobîîsatîon cîtoyenne contre a torture L’ întérêt de ’État du Maroc pour a probématîque de a torture Le suédoîs Hans Daneîus rédacteur înîtîa de a Conventîon contre a torture La dîversîté géographîque des rédacteurs de a Conventîon contre a torture Concusîon

Des enjeux internes derrière le désintérêt du Maroc pour la définition de la torture

Le désîntérêt de ’État du Maroc pour a déInîtîon de a torture L’întérêt de ’État du Maroc pour es droîts humaîns L’édîIcatîon d’un État autorîtaîre et patrîarca La monopoîsatîon de a vîoence éîmîne toute dîssîdence Concusîon

Le relativisme culturel en tant que délégitimation des droits fondamentaux

L’État du Maroc rejette e prîncîpe de ’unîversaîté Les témoîns rapportent une pratîque systématîque de a torture La torture permet a crîmînaîsatîon des détenus poîtîques La torture en tant que mode de gouvernance Concusîon

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Le colonialisme en tant que politique de résistance aux droits humains

L’État du Maroc assîmîe e droît înternatîona des droîts humaîns au coonîaîsme L’încomparabîîté du système capîtuaîre et de a jurîdîctîon înternatîonae Le coonîaîsme vîoe es droîts ondamentaux Le droît înternatîona des droîts humaîns protège es droîts Concusîon

Les droits humains en tant que solidarité internationale

Le Maroc dénonce es înégaîtés poîtîques entre États Les aîances entre États transcendent eurs înégaîtés poîtîques L’ Omertà sur ’împîcatîon des grandes puîssances dans a torture La prîmauté des întérêts géopoîtîques Concusîon

La persistance de la torture malgré les réformes constitutionnelles de 2011

Le droît à ’autodétermînatîon des cîtoyens au cœur des revendîcatîons du Mouvement du 20 évrîer Les réormes constîtutîonnees entre es apparences d’un État de droît et es pratîques îrréguîères de ’État paraèe Concusîon

Conclusion

Bibliographie

Sources prîmaîres par ordre chronoogîque Sources secondaîres

I ntroductîon

Ce livre vise à éclairer le public sur le processus d’élaboration internationale des droits humains. Pour ce faire, il prend pour exemple le rôle joué par le Maroc dans la rédaction dela Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains (1) ou dégradants. Il retrace le discours ofciel du Maroc dans les documents des Nations Unies qui ont retranscrit la rédaction de ce traité de 1977 à 1984, tout en analysant le sens de ce discours. En effet, les croyances populaires tendent à percevoir les droits (2) humains comme des concepts étrangers, voire colonialistes . Or ces croyances se voient renforcées par l’histoire classique des droits fondamentaux. Ce récit situe l’origine de ces droits en Europe, et (3) plus précisément dans la philosophie des Lumières . Si ce récit historique est valide, des recherches récentes ont permis toutefois de le nuancer. Pour célébrer l’anniversaire de (4) la Déclaration universelle des droits de l’homme, quelques chercheurs ont décidé de réécrire l’histoire de ce traité, en examinant (5) son processus de rédaction .

1 . Désîgnée Aussî, on parera de « traîtementscî-après par « Conventîon contre a torture ». dégradants » pour sîgnîIer « autres peînes ou traîtements crues, înhumaîns ou dégradants ». 2. Abduahî An-Nam, “Toward a Cross-Cutura Approach to DeInîng ïnternatîona Standards o Human Rîghts: The Meanîng o Crue, ïnhuman, or Degradîng Treatment or Punîshment”, în Human Rîghts în Cross-cutura Perspectîves, a Quest or Consensus, ed. Abduahî An-Nam (Phîadephîa: Unîversîty o Pennsyvanîa Press, 1992), 38 ; Makau Mutua, Human Rîghts, a Poîtîca and Cutura Crîtîque (Phîadephîa: Unîversîty o Pennsyvanîa Press, 2002), 18. 3 . Adamantîa Poîs, “A New Unîversaîsm”, în Human Rîghts: New Perspectîves, New Reaîtîes, eds. Adamantîa Poîs & Peter Schwab (Bouder: Lynne Rîenner, 2000), 10. 4. Désîgnée cî-après par « Décaratîon unîversee ». 5. Pau Gordon Lauren, The Evoutîon o ïnternatîona Human Rîghts, Vîsîons Seen (Phîadephîa: Unîversîty o Pennsyvanîa Press, 2003), 199-232 ; Mary Ann Gendon, A Word Made New: Eeanor

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Ces travaux ont eu pour effet indirect de montrer que les États non Européens ont participé à la production internationale des droits humains. Inspirées par cette découverte, d’autres recherches ont suivi. Elles se sont penchées sur d’autres traités et conventions (6) relatifs à la protection des droits humains . Les conséquences de ces travaux sont multiples. En premier lieu, ils rappellent que le droit international des droits humains a vu le jour en 1948, avecla Déclaration universellesecond lieu, ils. En déconstruisent un ensemble de croyances. Contrairement aux croyances dominantes, les grandes puissances (7) n’ont pas toujours œuvré pour l’avancement des droits humains . Et inversement, les petits États n’ont pas tous été des acteurs passifs dans le processus d’élaboration internationale des droits humains. (8) En fait, certains d’entre eux y ont activement contribué . Autrement (9) dit, l’histoire n’est pas uniquement européenne . Tout comme il y a un fondement européen des droits humains, il y a un fondement des droits humains dans l’histoire de chaque pays. Néanmoins, ces histoires sont inédites. Or le déséquilibre entre la méconnaissance de ces histoires et la prééminence accordée au fondement européen des droits fondamentaux par l’histoire classique est à l’origine de ces croyances. En prenant le cas particulier du rôle joué par l’État du Maroc dansla Convention contre la torture, ce livre contribue à l’histoire

Roosevet and the Unîversa Decaratîon o Human Rîghts (New York: Random House, 2001), xxî ; Johannes Morsînk, The Unîversa Decaratîon o Human Rîghts: Orîgîns, Dratîng, and ïntent (Phîadephîa: Unîversîty o Pennsyvanîa Press, 1999), xîv. 6. Susan Watz, “Unîversaîzîng Human Rîghts: The Roe o Sma States în the Constructîon o the Unîversa Decaratîon o Human Rîghts”, Human Rîghts Quartery 23 (2001) : 44-72 ; Watz, “Recaîmîng and Rebuîdîng the Hîstory o the Unîversa Decaratîon o Human Rîghts”, Thîrd Word Quartery 23 (2002) : 437-448. 7. Watz, “Recaîmîng and Rebuîdîng the Hîstory o the Unîversa Decaratîon o Human Rîghts”, op. cît., 440. 8. Watz, “Unîversaîzîng Human Rîghts: The Roe o Sma States în the Constructîon o the Unîversa Decaratîon o Human Rîghts”, op. cît., 54. 9. Même Kar Marx, dont a phîosophîe a înspîré de nombreux révoutîonnaîres, croît que es socîétés orîentaes sont statîques, et que eur seu espoîr d’évouer provîendraît de ’extérîeur, c’est-à-dîre de a coonîsatîon européenne. ïn Kar Marx, Seectîons: Kar Marx on Coonîaîsm and Modernîzatîon; hîs Dîspatches and Other Wrîtîngs on Chîna, ïndîa, Mexîco, the Mîdde East and North Arîca (Garden Cîty: Doubeday, 1968), 19.

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de la conception des droits fondamentaux à plusieurs niveaux. D’abord, les recherches menées dans le cadre de cette étude ne permettent pas d’établir un lien entre la domination occidentale et la conception des standards internationaux en matière de protection contre la torture et autres traitements dégradants. Dit plus explicitement, ces standards n’ont pas été dictés par les États puissants au reste du monde. En fait, si ces standards existent, c’est grâce à la mobilisation citoyenne internationale, y compris la mobilisation des victimes et/ou membres des familles des victimes de la torture et des traitements dégradants au Maroc. Ensuite, cette étude montre que l’adhésion aux droits fondamentaux ne dépend pas de l’appartenance aux valeurs (10) occidentales . Plutôt, cette adhésion se fait selon des identités autour des axes de pouvoir et de contre-pouvoir. Si l’État du Maroc pratique la torture et autres traitements dégradants à l’égard de ses citoyens, la France et les États-Unis, en tant qu’États, y participent directement et/ou indirectement. Inversement, le projet dela Convention contre la tortureson existence à la mobilisation doit citoyenne à l’échelle planétaire, dont la mobilisation des citoyens (11) marocains . Donc, d’un côté il y a les acteurs qui ont le pouvoir de violer les droits fondamentaux, et qui exerceront ce pouvoir selon leurs intérêts géopolitiques et la vigilance de l’opinion publique. Et de l’autre côté, il y a les acteurs qui forment un contre-pouvoir, et qui travaillent pour l’avancement des droits fondamentaux. Cette recherche rappelle qu’on ne peut pas commodément ignorer l’existence de milliers de citoyens marocains qui se reconnaissent sincèrement dans les principes des droits humains, sous prétexte que ces derniers seraient occidentalisés, c’est-à-dire qu’ils seraient devenus « moins marocains », et donc moins « authentiques », comme s’il existait une culture et des citoyens immuablement identiques à eux-mêmes. Cette recherche déconstruit la corrélation entre l’inuence occidentale et l’acceptation des droits fondamentaux.

10. An-Nam, op. cît., 428 ; Mutua, op. cît., 155. 11. Ann Marîe Cark, Dîpomacy o Conscîence, Amnesty ïnternatîona and Changîng Human Rîghts Norms (Prînceton: Prînceton Unîversîty Press, 2001), 37-69.

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Enn, cette recherche contribue à l’histoire politique du Maroc contemporain de façon tripartite. En premier lieu, elle rappelle des luttes populaires passées qui, de nos jours, tendent à être occultées par l’histoire ofcielle. En second lieu, elle fait ressurgir les liens qui existent entre le patriarcat et l’autoritarisme. Contrairement aux récits dominants où l’histoire et la sphère (12) politique sont masculinisées , cette recherche relate autant que possible l’histoire politique du Maroc à travers les témoignages des femmes qui ont subi les sévices de la torture. Ce faisant, elle montre que la hiérarchisation des sexes dans la sphère privée assure la hiérarchisation des hommes dans la sphère politique. En dernier lieu, cette recherche est l’une des premières à étudier la participation du Maroc au processus d’élaboration internationale des droits fondamentaux. De ce fait, elle invite les chercheurs à étudier cette partie encore inexplorée de l’histoire du Maroc indépendant. Or dans le cas dela Convention contre la torture, la résistance aux droits fondamentaux dissimule une politique de délégitimation des droits fondamentaux des citoyens par les élites dirigeantes. Aussi, cette étude invite également les chercheurs à examiner plus amplement le lien qui existe entre l’acceptation des droits fondamentaux par la population, et les politiques de délégitimation de ces droits poursuivies par les élites dirigeantes.

12. Parmî d’autres, ’anthropoogue Mehdî Bennouna airme : « Tout oppose es combattants et es hommes des partîs poîtîques ; es emmes ne sont pas à, ce quî est e seu poînt commun », în Héros sans goîre, échec d’une révoutîon 1963-1973 (Casabanca : Édîtîons Tarîk, 2002), 9.

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La Partîcîpatîon du Maroc à la Convention contre la torture

« Hani Shukrallah semble suggérer que les droits humains sont le produit de la pensée ou de la civilisation occidentale. Je pense qu’il s’agit là d’une dangereuse catégorisation.La Déclaration universelle des droits de l’hommeet tous les Pactes qui ont suivi ont été adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies. Durant ces débats historiques, les pays occidentaux ont été une simple minorité. La Déclaration et les Pactes ont été adoptés par une majorité constituée par les pays du tiers-monde, plutôt que par les représentants des puissances européennes et américaines. En fait, l’un des trois architectes dela Déclaration universellele est libanais Charles Malik. Alors nous parlons d’un document qui est universel, et auquel nous avons activement participé. Donc, il n’est pas étranger au monde arabe, il est notre œuvre en tant qu’êtres humains, et il n’est pas nécessairement issu de l’Amérique du Nord (13) ou de l’Europe occidentale. » Muhamed Mugraby .

Ce chapitre retrace le processus d’élaboration dela Convention contre la torture et autres traitements dégradants,en soulignant la participation du Maroc, État et citoyens confondus, à ce processus. Il vise à déconstruire la croyance populaire selon laquelle les droits humains seraient produits uniquement par les pays occidentaux. En effet, une multitude d’acteurs ont participé à la production de ces droits, y compris l’État et les citoyens marocains.

13. ïnternatîona Aspects o the Arab Human Rîghts Movement, An ïnterdîscîpînary Dîscussîon Hed în Caîro în March, 1998, Organîzed by the Harvard Law Schoo Human Rîghts Program and the Center or the Study o Deveopîng Countrîes at Caîro Unîversîty (Cambrîdge: Harvard Law Schoo Human Rîghts Program, 2000), 22-23.

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