Profession reporter
209 pages
Français

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Profession reporter , livre ebook

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209 pages
Français

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Description

Ce livre est le fruit de trente-cinq années de reportages à travers le monde durant le dernier quart du vingtième siècle : guerre du Liban ; guerre du Golfe, guerre en Yougoslavie, révolution roumaine, libération des pays de l'Est, famine en Afrique... Il est aussi témoignage de rencontres exceptionnelles avec Simone de Beauvoir, Francois Mitterrand, Lech Walesa, Woody Allen, Elie Wiesel... Il est enfin une réflexion sur le métier de journaliste, sa liberté, et ses difficultés de saisir le réel et d'en rendre compte.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2012
Nombre de lectures 36
EAN13 9782296479074
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

PROFESSION REPORTER
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr


ISBN : 978-2-296-56708-5
EAN : 9782296567085
JACQUES MERLINO
PROFESSION REPORTER

Carnets de route 1973/ 1998
























L’Harmattan
DU MÊME AUTEUR :




Les jargonautes ou le bruit des mots ,
Stock 1978


Aujourd’hui la vie (collectif),
Orban 1984


Chroniques de la France et des Français (collectif),
Hachette, 1987


Les vérités yougoslaves ne sont pas toutes bonnes à dire ,
Albin Michel 1993


Don Juan ou la séduction de Dieu ,
La Marge 2000
Pour Anna, Honoré and Co
La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil.


René Char
AVANT-PROPOS
On ne devient pas journaliste. On naît journaliste.
Enfin je le crois. Ce métier n’en est pas un, il n’est pas même une vocation, il est simplement une inclination naturelle de l’être. Un désir de liberté, une appétence de sensations et d’émotions, une curiosité ouverte à tous vents, un tempérament indépendant, vous forcent à faire un pas de côté, à regarder la vie des gens et la marche du monde d’un œil gourmand avant de tenter d’en rendre compte.
Cet élan vital, souvent en fin de trajet, se retourne sur lui-même, vous intimant l’ordre de revisiter voyages, rencontres et l’étrange univers des mots, non pour se justifier, ni pour satisfaire un ego vieillissant mais pour rechercher la cohérence d’une vie particulière. Pour transmettre aussi quelques principes d’une profession dont on voudrait qu’elle gardât une certaine noblesse. Pour répondre, enfin, à une mode dangereuse de méfiance envers les journalistes.
L’affaire n’est pas simple.
Je me souviens de cette soirée avec des étudiants bulgares, au bord de la mer Noire. C’était il y a très longtemps, au printemps de l’année 1973, je crois. Une belle soirée, avec un groupe de vrais tziganes fous, un parfum d’ivresse et de liberté qui, dans ce pays communiste attardé, ne pouvait être que passager. Nous avions ri, bu et chanté à l’excès. Au petit matin, alors que nous n’arrivions pas à nous séparer, j’avais sorti une carte routière d’Europe pour montrer à mes amis d’un soir, le trajet qu’il me restait à effectuer. Et je me souviens du silence qui, à cet instant, est tombé d’un coup, sur notre petit groupe. Autour de moi, les yeux ne s’intéressaient pas aux mouvements de mes doigts. Ils regardaient la carte dans sa globalité, avec avidité. Avec, je dirais presque cupidité tant je ressentis l’envie forte qu’ils avaient de s’en emparer. Près de moi, Pétia, une jeune étudiante en français, qui nous servait de guide et d’interprète, comprit très vite que je m’étonnais de leur comportement. Elle me dit avec de la tristesse dans la voix : « Les cartes routières d’Europe sont interdites dans ce pays ».
Je leur ai fait cadeau de ma carte Michelin. Et, sans réfléchir, j’ai écrit dessus ces trois vers de René Char :
« Les cloches de la liberté
Ne tintent qu’en pays incréés
Ou follement agonisants ».
Je me souviens encore de ce trajet dans le métro de Bucarest alors que Ceausescu était au pouvoir. J’étais avec un cameraman et un preneur de son, notre matériel était visible et il n’était guère difficile de comprendre que nous étions des journalistes étrangers. Une femme d’environ la cinquantaine, debout à côté de moi, sans me regarder, et à voix basse, dans un bon français, me dit : « Nous n’en pouvons plus de ce manque de liberté. Aidez-nous ! Nous faisons n’importe quoi pour essayer de capter les radios et les télévisions étrangères. Nous en sommes réduits à bricoler des brouettes métalliques sur les toits des immeubles pour en faire des paraboles. Nous étouffons ».
Elle descendit sans un regard, tremblante sans doute de nous avoir parlés. Plus tard, en regardant les toits des immeubles hideux de la capitale roumaine, il me sembla voir des ombres hissant sur les sommets des maisons, des pelles, des brouettes, des saladiers, toutes choses métalliques, qui, par miracle, pourraient attraper ces ondes venus de l’étranger, ces ondes qui parlaient de liberté.


Je me souviens de ces soirées à Varsovie, du temps de Jaruzelski. C’était à la fin des années quatre-vingt.
Tous les mardis soir, dans la crypte de l’église Wenceslas, se regroupaient hommes, femmes, adolescents, qui bravant le risque d’une arrestation, venaient là pour participer à ce qu’ils appelaient « La gazette parlante ». Dans la pénombre de cette crypte d’église, avec ce qu’elle avait d’imposante et de sacrée, ils échangeaient les bribes d’information qu’ils avaient pu glaner la semaine passée.
L’un rapportait ce que lui avait raconté un cousin revenant de France. L’autre disait ce qu’il avait vu à Moscou. Le troisième, universitaire probablement, racontait l’Europe en formation. Et quand tous ceux qui détenaient quelques bribes d’information les avaient livrées, ils se séparaient.
Lentement. Sans perdre du temps à polémiquer. En espaçant les sorties pour ne pas attirer l’attention de la milice qui traînait aux alentours. Ils avaient respiré un parfum de liberté. Un parfum qui leur était interdit.
Tous les jours, ou presque, je repense à ces hommes et à ces femmes. En marchant dans Paris, en écoutant tel ou tel, en suivant un meeting politique, en zappant d’une chaîne à l’autre ou en surfant sur le web pour ne pas manquer la dernière information. Je leur en suis gré car ils m’ont appris l’importance de ce curieux métier qu’est le journalisme. Ils m’ont appris le besoin de pouvoir, au moins, se situer sur une carte, entendre une langue étrangère, comprendre le monde en évolution. J’ai le curieux sentiment de faire, pour ces raisons, partie d’une infime minorité : celle qui considère la liberté d’information comme un besoin vital. Aussi vital, ou presque, que de boire ou manger. Je ne l’écris pas avec une arrière-pensée d’élitisme ; elle n’aurait aucun sens dans ce contexte. Je l’écris parce que j’ai eu la chance d’être en situation de le ressentir, de le partager et de le comprendre.


Je l’écris aussi parce que je constate une grande lassitude des Français dès que l’on ouvre le débat sur la liberté d’information. De même que je n’ignore pas leur grand scepticisme concernant le travail des journalistes.
C’est pour cela que je me suis attelé à ce récit, cette tentative de raconter trente ans de reportages, en allant autant que possible de l’autre côté du miroir.
Deux choses encore.
Je ne me souviens pas de la presse d’avant 1939. Je n’étais pas né. Mais je me dis que si elle avait mieux fait son travail, personne n’aurait ignoré la folie nazie et qu’une guerre aurait pu, peut-être, être évitée.
Je ne peux pas m’en souvenir et je ne comprends pas qu’elle n’ait pas tiré le signal d’alarme. Mais je me souviens des excuses présentées par le New York Times, et les autres grands médias américains, pour s’être laissé intoxiquer par les mensonges de George W. Bush à propos des armes de destruction massive supposées détenues par l’Irak.
La liberté de la presse n’est pas un luxe. Elle est une impérieuse nécessité. Ne serait-ce que parce qu’elle peut, peut-être, permettre d’éviter des catastrophes majeures. Et qu’il serait bien imprudent de croire que nous sommes à l’abri de celles-ci.
Ou encore parce qu’il serait bien agréable de faire mentir René Char lorsqu’il soutenait que :
« Les cloches de la liberté ne tintent
Qu’en pays incréés
Ou follement agonisants ».
VERS L’ORIENT COMPLIQUÉ…
Si un homme te traite d’âne, n’y prends point garde
Si deux hommes te traitent d’âne, achète-toi une selle.


Proverbe yiddish




L’OISEAU ET LA MOUCHE
Beyrouth. 10 mai 1973

Quand les premières rafales d’armes automatiques ont éclaté, le

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