Dix jours à Alger
120 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Dix jours à Alger , livre ebook

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120 pages
Français

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Description

Février 2011 : la Tunisie, l'Egypte puis la Libye basculent dans le "Printemps arabe". A Alger, la révolution annoncée se fait cruellement attendre. Dans ce pays où tout le monde parle politique, cette révolution qui joue l'Arlésienne est au coeur des débats. Séjournant à Alger, l'auteur rapporte des réponses qui permettent de refaire l'histoire et rappellent le lien indissociable de nos deux pays, de nos deux peuples.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2012
Nombre de lectures 25
EAN13 9782296986060
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Ecrire et Voyager
Série. « Aujourd’hui ». Consacrée aux récits contemporains de voyageurs, cette série accueille des textes relevant de plusieurs approches : littéraire ou plus ethnographique.

Série. « Au XIX° siècle ». Cette série présente des récits de voyageurs du XIX° siècle ainsi que des journaux, et études biographiques.
*

La liste des parutions, avec une courte présentation
du contenu des ouvrages, peut être consultée
sur le site www.harmattan.fr
Titre
Christian Viollet






D IX JOURS À A LGER


Carnets d’un Printemps manqué
février 2011








L’Harmattan
Copyright

© L’Harmattan, 2013
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-98606-0
EAN : 9782296986060
DIX JOURS À ALGER

Alger, dimanche 20 février 2011. Hôtel Albert 1 er , 5 Bd Pasteur, chambre 721. Il est 1h30 du matin. Hadj vient de me quitter, non sans avoir voulu inspecter ma chambre, l’œil mécontent. « J’avais demandé la 720, elle est mieux, plus grande, et la vue est plus belle. Je vais demander à la réception que l’on te change ! » La vue est splendide du balcon de la chambre 721 : à gauche les lumières du port, juste en dessous, un jardin étagé, avec en son centre un monument de style néostalinien, et, tout autour, des immeubles dont la blancheur irréelle transperce la nuit. Alger, Alger la Blanche à mes pieds… Une brise de mer assez forte fait claquer au-dessus de ma tête le store de toile rayée de la porte-fenêtre et apporte jusque dans la chambre un mélange d’odeurs, odeur de port, huile lourde et varech, de ville, essence mal brûlée et asphalte humide, de jardin, herbe coupée et jasmin subtil. Pas sommeil malgré l’heure tardive, impression de tenir cette ville entre mes mains, sous un ciel plombé, hostile, où les nuages s’amoncellent. Excitation de fatigue, envie de pousser mon lit devant cette porte-fenêtre, de m’allonger à plat ventre pour tenter de m’endormir en contemplant, comme depuis un poulailler imaginaire, la scène nocturne d’Alger la Blanche…
Je ne connais pas Alger et je connais Alger comme ma poche… Je ne connais pas Alger pour y être venu épisodiquement très peu de temps, en escale, une première fois pour aller dans le M’zab, une autre pour randonner dans le Hoggar et le Tassili, il y a des années de cela. Je connais Alger à travers l’histoire récente de la guerre d’Algérie, des soubresauts d’agonie de la IV e République, du retour au pouvoir du Général, du « Je vous ai compris ». Je connais Alger par les livres, récits, témoignages, études d’historiens, par les photos des pages de Paris Match feuilletées lorsque j’étais enfant, par les actualités cinématographiques de l’époque, les documentaires, les films. Bref, alors que je n’ai passé, au mieux, que quelques jours dans cette ville il y a plus de vingt ans, la rue d’Isly, la Grande Poste, le GG, le tunnel des Facultés et bien d’autres lieux me sont familiers. Je ne suis pas né à Alger ni dans ce pays, je ne suis pas Pied-Noir, je n’ai ici aucune racine d’aucune sorte et pourtant j’ai failli embrasser et serrer contre moi cette vieille femme en hidjab blanc, front et menton bleuis de tatouages, qui m’a demandé, alors que je prenais une photo de la porte d’entrée d’un immeuble du début de siècle dans Bab el-Oued : « tu es né dans cette maison, mon fils ? »
Sur mon balcon de la chambre 721, j’ai sorti une chaise, et appuyé à la rambarde, je contemple cette ville qui me donne une bonne semaine de vie commune, sans trop savoir par où commencer. Je suis arrivé depuis moins de douze heures, et Hadj, venu me chercher à l’aéroport Houari Boumediene m’a donné le tournis : parlant sans cesse, conduisant d’une main (vite, très vite), téléphone portable collé à l’oreille, il m’a emmené de El-Biar à Hydra, redescendant à Sidi M’hamed, remontant à ND d’Afrique pour le point de vue sur la ville avant de plonger sur Bab el-Oued puis de filer le long du port. Je suis perdu, ne me repère que grâce à la mer aperçue entre deux virages, entre deux immeubles. J’aimerais me poser un moment, m’installer à l’hôtel, prendre un verre, souffler un peu. Impossible ! Et je ne sais pas encore que nous allons dîner ce soir chez l’un de ses vieux amis à quarante kilomètres à l’ouest d’Alger !
Alors sur mon balcon, ivre de fatigue, mais aussi du vin de Mascara que Sid Ahmed, le vieil ami en question nous a généreusement servi, j’essaie de faire le point, d’organiser un programme pour les jours à venir, tout du moins pour aujourd’hui. L’averse violente qui s’abat soudain sur la ville, tout en m’obligeant à rentrer, me procure un peu de cette lucidité qui m’a fait défaut depuis mon arrivée : inutile de chercher à programmer, à organiser. Alger décidera.
Dans l’avion qui m’emmène, le faible nombre de journaux offerts par Air France à l’entrée de l’appareil ne m’a laissé que le Figaro et l’Equipe . Le jeune steward au visage poupin et arrogant à qui je réclame le Monde ou Libé me répond avec insolence que j’ai déjà un journal ! Interloqué par ce manque de courtoisie, je m’apprête à répondre, mais mon voisin, jeune beur, look banlieue chic, m’en dissuade d’un sourire : « Laissez m’sieur, sur ce vol, y se croient tout permis, c’est plus un avion, c’est une bétaillère ! » Discussion : il est Oranais, a fait du droit et de la gestion, n’a jamais trouvé de boulot alors a monté une « affaire » d’import-export d’un peu tout, textile, pièces auto, CD, DVD et j’en passe. Pour les taxes d’importation, il se débrouille, dit-il avec un sourire entendu. Trabendo , corruption, seule solution selon lui pour s’en sortir et être respecté en Algérie. Samir a une morale qu’il me résume en quelques mots : « prendre petit mais souvent, jouer dans sa cour tant qu’on ne peut pas jouer dans celle des grands ». Il m’explique qu’il gagne bien sa vie, que grâce à lui, sa famille ne manque de rien, mais qu’il se garde de tout signe extérieur d’opulence. Il me raconte l’histoire de Rafik Khalifa, son ascension et sa chute : les costumes Hugo Boss et Versace, la banque, la compagnie aérienne, le sponsoring de l’OM, la fréquentation des célébrités. Catherine Deneuve et Depardieu invités à Alger pour assister à un match de foot de l’OM, moyennant quelques dizaines de milliers d’euros, puis l’arrogance qui devient gênante, trop voyante pour les généraux qui dans l’ombre soutiennent, s’engraissent, distribuent, et, d’un coup décident de siffler la fin de la partie. Alors les amis qui se défilent, le fric qui n’arrive plus, la fuite qu’on vous facilite pour que l’on devienne le coupable aux yeux de tous, l’arrestation à Londres, la prison. Samir, dans le fond, est admiratif du parcours, il ne parle pas des dizaines de milliers d’épargnants ruinés, petites gens modestes en plein désespoir. Lorsque je les évoque, il sourit de façon cynique et me montre du doigt un article à la une du Figaro : la coordination appelle à une marche et à une manifestation à Alger, place du 1 er Mai, le 19 février, c’est-à-dire aujourd’hui. « Ce sont les mêmes, manipulés, futurs niqués par le système, par les Services ». Ce dernier mot est lâché avec une sorte de haine respectueuse et craintive qui m’étonne dans la bouche de ce type sûr de lui. Je ne le sais pas encore, mais je retrouverai bientôt ce mot et l’expression qui l’accompagne dans d’autres bouches et à d’autres moments. Samir me regarde avec une sorte de commisération et décide de me tutoyer : « tu ne connais pas l’Algérie mon frère, mais l’Algérie c’est ça : soit tu acceptes le système et, au pire tu survis ou comme moi, tu vis, en attendant mieux ; soit tu renonces ou tu t’agites comme eux, pour rien car ils n’ont pas les cartes pour jouer et ne les auront jamais de cette façon-là. En Tunisie, ils viennent d’avoir Ben Ali qui n’a nourri que sa famille, au Maroc ils auront peut-être Mohamed Saucisse. Regarde, le Figaro y annonce une gigantesque manifestation pour demain, mais en Algérie, aucun risque, c’est verrouillé double tour. D’ailleurs tu verras rapidement ». Une hôtesse dépose devant nous un minuscule sandwich et nous propose une boisson. On se concerte du regard. Vin rouge demande Samir, puis il ajoute en haussant les épaules « tant qu’on peut encore » et ôtant la cellophane du sandwich, il me tend l’étiquette qui l’accompagne : « repas garanti sans porc ». Tu vois, ajoute-t-il, sur certains vols, Air France va plus loin encore et précise que la bouffe est halal ! Les islamistes ont perdu la guerre, mais, même dans les avions français les interdits religieux s’imposent ! Je pense à cette gue

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