L'Evolution, revolution et l'ideal anarchique

Elisée Reclus

Description

«C’est la seule œuvre pleinement développée de Reclus dont l’objet est strictement politique; elle contient quelques-unes de ses discussions les plus soutenues au sujet du développement historique, de la nature de l’anarchisme et de la domination. Une large partie du travail de Reclus est consacrée à la critique des diverses formes de domination : les dangers d’un pouvoir d’État centralisé, les méfaits de la bureaucratie étatique, les périls du nationalisme, la manière dont l’autoritarisme, le centralisme et la représentation minent les mouvements révolutionnaires et détruisent les révolutions. L’amour intense de l’humanité qu’éprouve Reclus a pour corrélat une foi profonde dans “un autre monde”, pas seulement “éventuel”, mais qui doit avec évidence être créé aussi rapidement que possible.»
– John Clark, extrait de l’introduction

Sujets

• Political Ideologies
• Political Science
• Anarchism
• Commune
• Anarchisme

Informations

• Publié par: Lux Éditeur
• Date de parution: 07 février 2019
• Nombre de lectures: 0
• EAN13: 9782895967590
• Langue: Français

Extrait

La collection « Instinct de liberté », dirigée par Marie-­Eve Lamy et Sylvain Beaudet, propose des textes susceptibles d’approfondir la réflexion quant à l’avènement d’une société nouvelle, sensible aux principes libertaires.

© Lux Éditeur, 2004, 2019 www.luxediteur.com

Dépôt légal : 1 er  trimestre 2019 Bibliothèque et Archives Canada Bibliothèque et Archives nationales du Québec
ISBN (ePub) 978-­2-89596-759-0
ISBN  (papier) 978-2-89596-294-6
ISBN (PDF) 978-­2-89596-949-5
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada pour nos activités d’édition.
 


Introduction
Lire Reclus aujourd’hui ?
É LISÉE RECLUS EST CONNU comme un penseur libertaire majeur, une figure importante de l’histoire de l’anarchisme, mais il faut reconnaître que, dans une large mesure, il est demeuré dans l’ombre de figures plus connues, comme Proudhon, Bakounine et Kropotkine. Ce fait est quelque peu paradoxal, car aucun des anarchistes classiques n’a surpassé son dévouement envers le mouvement anarchiste, qui lui valut l’emprisonnement et de nombreuses années d’exil. De surcroît, la qualité de sa pensée et la profondeur de son analyse en font l’égal de n’importe lequel des grands théoriciens de l’anarchisme. On peut soutenir, en effet, que Reclus fut la voix la plus prophétique des grands penseurs libertaires du XIX e  siècle, et qu’il est celui qui nous a laissé l’héritage intellectuel le plus important.
L’ironie vient du fait que c’est peut-être l’ampleur même de son œuvre qui en a empêché un rayonnement plus grand. Élisée Reclus est surtout connu pour ses courtes brochures telles que Évolution et révolution, Anarchie , À mon frère le paysan, travaux d’un intérêt certain, mais qui ne rendent pas compte de la profondeur et de l’étendue de ses idées. Car ses réalisations les plus importantes, en philosophie et en théorie sociale, sont dispersées à travers un immense corpus qui n’est pas facilement assimilable et qui, par conséquent, a été négligé.
Il est difficile, à vrai dire, de résumer la multitude des contributions théoriques de Reclus, du fait de l’étendue stupéfiante de son œuvre. Les publications de Reclus comptent près de 30 000 pages et couvrent un vaste éventail d’enquêtes à la fois scientifiques et humanistes. Sa Nouvelle géographie universelle [ 1] , qui comprend 19 grands volumes publiés entre 1876 et 1894, est un exploit intellectuel monumental. Le géographe Gary Dunbar observe que, « pour toute une génération », cette œuvre « allait représenter l’autorité géographique ultime » et qu’elle a constitué « probablement la plus grande prouesse individuelle d’écriture dans l’histoire de la géographie [ 2] ». L’œuvre finale de Reclus, L’Homme et la Terre [ 3] , en six volumes et 3 500 pages, constitue une synthèse grandiose de ses idées en géographie, histoire, philosophie, science et politique, ainsi qu’en religion, en anthropologie et en bien d’autres domaines. Elle ouvre la géographie sociale à une vision étendue du monde, au-delà des limites conventionnelles du géographique.
À considérer les nombreuses facettes de cette grande réalisation intellectuelle, on peut mentionner une multitude de domaines dans lesquels Reclus et son œuvre méritent notre attention aujourd’hui. Figure pionnière dans l’histoire de l’urbanisme, il fut l’initiateur d’une tradition passionnante qui lui valut des successeurs tels que Patrick Geddes et Lewis Mumford. Il est l’un des théoriciens les plus originaux de l’éducation libertaire et des droits des enfants. Il a grandement contribué à ce que l’on considère notre traitement des autres espèces d’un point de vue éthique. Sa propre vie peut être étudiée comme un modèle, en tant que synthèse harmonieuse de compassion, de solidarité, d’égalitarisme, de dévouement, d’humilité, de curiosité intellectuelle, de joie de vivre et d’amour profond des hommes et de la nature. J’aimerais toutefois mettre l’accent sur quatre sphères qui, peut-être, révèlent le mieux la personnalité de Reclus, non seulement en tant que figure majeure du panthéon anarchiste, digne de mémoire et de respect, mais aussi en tant que penseur dont les idées ont une signification cruciale pour notre propre époque et qui méritent aujourd’hui une étude attentive.
Un prophète de l’écologie
La crise écologique est le problème prépondérant de l’avenir de l’humanité. James O’ Connor l’a désignée comme la « seconde contradiction du capitalisme », et elle peut, en effet, être vue comme la contradiction ultime de la civilisation elle-même. Reclus, plus peut-être que tout autre penseur social du XIX e  siècle, a contribué au développement d’une vision écologique globale du monde, vision qui situe cette crise dans le contexte plus large de l’histoire planétaire. Béatrice Giblin, dans son article « Reclus : un écologiste avant l’heure ? », soutient que Reclus « avait une sensibilité écologique globale qui a disparu avec lui, pendant près d’un bon demi-siècle [ 4] ». À la question rhétorique qu’elle pose, elle répond judicieusement par l’affirmative ; et l’on peut ajouter que Reclus est bien en avance sur notre propre temps, aussi.
« L’Homme est la nature prenant conscience d’elle-même. » C’est par cette épigraphe que Reclus inaugure son œuvre majeure de théorie sociale, L’Homme et la Terre [ 5] . Cette affirmation résume bien la problématique de sa philosophie et, dans une large mesure, la portée historique essentielle de son ouvrage. Dans celui-ci et d’autres écrits de grande ampleur, il retrace tout le cours de l’histoire humaine, et montre l’unité sous-jacente au développement de la diversité des cultures et des époques. Il situe aussi ce parcours de l’humanité à l’intérieur de l’histoire plus vaste de la planète. Il souligne la puissante aptitude humaine à réaliser sa liberté et à se mettre en harmonie avec le monde naturel, et repère ces aspects de la culture qui ont contribué au progrès de l’homme dans cette voie, ainsi que la nature des obstacles qu’il a trouvés sur son chemin.
Reclus est convaincu que l’humanité moderne peut encore coopérer avec le monde naturel tout en conservant les bénéfices de l’industrie humaine et son ingéniosité. Il discute les multiples façons dont l’humanité a œuvré en commun avec la Terre pour produire bonté et beauté, plutôt que de rechercher à la dominer impitoyablement et à l’exploiter. De plus, il condamne toute perturbation de la nature et toute destruction de sa splendeur. Très en avance sur son époque dans son analyse de nombreux domaines écologiques, y compris la déforestation, la dégradation du paysage et les abus de l’agriculture industrielle, il a également prévu le besoin de programmer une restauration écologique.
Mais si l’on peut ainsi attribuer à Reclus des points de vue perspicaces sur de nombreux points d’écologie, c’est son appréhension globale de la relation entre le social et l’écologique qui le distingue de la plupart des penseurs sociaux de son temps. Yves Lacoste déclare que si Reclus est « le plus grand géographe français », sa vision a généralement été « complètement méconnue » en raison du « problème épistémologique central de la géographie universitaire », c’est-à-dire « l’exclu­sion du Politique [ 6] ». Reclus est un écologiste social –  et sans doute devrait-il être considéré comme le fondateur de l’écologie sociale  – en ce qu’il ne voit pas seulement les problèmes sociétaux comme étant à la racine des problèmes écologiques, mais plus significativement parce qu’il saisit l’ensemble de l’histoire comme une dialectique entre la nature et la culture, un processus d’interaction mutuelle entre la société humaine et la Terre. Il rejette l’idée occidentale dominante selon laquelle la nature serait une simple toile de fond d’une activité humaine qui la transformerait ; il conçoit plutôt cette nature comme une force toujours active et créatrice dans l’histoire. De plus, sa géographie sociale est aussi une écologie polit