Les héros de la Guinée-Bissau : la fin d une légende
241 pages
Français

Les héros de la Guinée-Bissau : la fin d'une légende , livre ebook

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Français

Description

Au fond de la brousse, près de la Côte Atlantique de l'Afrique, des anonymes combattants se battaient pour la liberté de l'homme noir contre les colons portugais. L'année 1973 marque la fin de l'ère coloniale et la Guinée-Bissau libre est proclamée dans les collines de Boé. Le général Nino Vieira est et restera celui qui a incarné le pouvoir et l'histoire politique du pays pendant plus d'un quart de siècle.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2012
Nombre de lectures 29
EAN13 9782296488519
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les héros de la Guinée-Bissau : La fin d'une légende
© L’Harmattan, 2012 5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-56854-9 EAN : 978229656549
Lourenço da Silva
Les héros de la Guinée-Bissau : La fin d'une légende
L’Harmattan
Points de vue Collection dirigée par Denis Pryen et François Manga-Akoa
Dernières parutions
Zachée BETCHE,L’invention de l’homme noir. Une critique de la modernité, 2012. Florent SENE,Raids dans la Sahara central (Tchad, Libye, 1941-1987), 2012. Armand TENESSO,L’Afrique dans un maelstrom, 2012. François MONGUMU EBOUTA,Omar Bongo Ondimba, le secret d’un pouvoir pacificateur, 2012. Patrick ATOUDA BELAYA,Cinquante ans après les indépendances, quel héritage pour la jeunesse africaine ?, 2012 Ernest Nguong Moussavou,Françafrique. Ces monstres qui nous gouvernent, 2012. Nguila Moungounga-Nkombo,Mon combat politique (entretiens avec Jean Saturnin Boungou), 2011. Gaston M’bemba-Ndoumba,L’école d’expression française en Afrique, 2011. Erick Césaire QUENUM et OSWALD PADONOU,Le Bénin et les opérations de paix. Pour une capitalisation des expériences, 2011. Roger Démosthène CASANOVA,Putsch en Côte d’Ivoire, 2011. Ismaël Aboubacar YENIKOYE,Intelligence des individus et intelligence des sociétés, 2011. Pierre N’DION,Quête démocratique en Afrique tropicale, 2011. Emmanuel EBEN-MOUSSI,Le médicament aujourd’hui. Nouveaux développements, nouveaux questionnements, 2011. Koffi SOUZA,Le Togo de l’Union : 2009-2010, 2011. Lucien PAMBOU,Conseil Représentatif des Associations Noires. Le CRAN, de l’espérance à l’utopie, 2011.
I.
LA DÉCOUVERTE DUN HOMME DE PAIX
Dans la matinée du 2 mars 2009, aux alentours de 9 heures, je o m’efforçais encore de fermer les yeux dans la chambre n 1 de l’hôtel Malaika. La longue nuit de la veille avait été marquée par l’explosion d’une bombe dans les locaux de l’état-major des armées, avec comme conséquence immédiate, la disparition brutale du lieutenant général Baptista Tagme Na Waye, chef d’état-major. Perdu dans mes pensées, je ne pouvais que me contenter d’une série de questions sans réponse, pour essayer de savoir ce qui avait réellement pu se passer cette nuit-là.
Sans admettre l’idée d’un incident de moindre importance, j’étais loin de croire que mon angoisse pouvait naître d’un fait politique plus grave. J’allume mon téléphone portable qui aussitôt sonne. C’était mère. Elle cherchait à me joindre depuis six heures du matin. Et pourquoi ? « Parce que ton chef est assassiné et que personne ne sait où tu te trouves », me répondit-elle, déjà désespérée de ne pouvoir me joindre ou à défaut, joindre quelqu’un de mon entourage pour lui donner de mes nouvelles. L’information de ma mère me parut incroyable et impossible à admettre. Mon réveil se transforme en véritable cauchemar dans la petite chambre que j’ai vue se transformer en cellule de prison. J’ai dû prier ma mère de raccrocher, le temps que je me renseigne mieux et la rappelle plus tard. Je me tourne ensuite pour regarder la télé, sur CNN, les images d’archives du Général Nino Vieira. Sa maison saccagée, le Hummer et la Nissan Armada de l’escorte présidentielle méconnaissables. J’ai pu reconnaître quelques jeunes curieux devant l’entrée de la maison, des soldats défilant partout. Le Général Nino Vieira a été assassiné après la mort de Tagme Na Waye.
Je ne savais plus quoi penser à part rentrer au plus profond de moi-même, pour admettre encore une fois que le Général Nino n’était pas un immortel. João Bernardo Vieira « Nino », Kabi Na Fantchamna, le Président de la République de Guinée-Bissau a bel et bien été assassiné par un groupe d’individus, des militaires apparemment. Ma stupéfaction s’accrut. J’essaye de
me concentrer devant la télé pour suivre une première intervention du capitaine Zamora Induta confirmant que les assaillants étaient des militaires venus revendiquer la mort du lieutenant général Tagme Na Waye. Selon Zamora Induta, le Président Nino serait le principal suspect commanditaire de l’attentat.
Cette intervention du capitaine Zamora à l’époque, m’a rappelé des rumeurs ayant circulé quelques jours auparavant dans les couloirs de la Présidence de la République. Des lobbyistes avaient déjà entamé les démarches en vue de la nomination d’un nouveau chef d’état-major des armées, poste pour lequel José Zamora Induta, serait pressenti comme préférence du Gouvernement. D’autres lobbyistes sont même allés plus loin dans leurs spéculations en révélant qu’un éventuel refus du Président de la République, pourrait déboucher sur un coup d’État contre lui-même.
J’avoue que ces souvenirs m’ont fait verser quelques larmes avant d’essuyer ma pauvre figure en cachette et de reprendre un peu de forces, malgré l’espoir que je sentais très, très loin de moi. Je décide ensuite de quitter la chambre de l’hôtel avec les images des conséquences dramatiques subies par des collaborateurs des présidents assassinés en Afrique et ailleurs. Puis, des coups de fil commencèrent à me parvenir de l’extérieur, ma boîte e-mail était déjà pleine de messages des amis inquiets. Des proches et des hommes d’affaires qui m’ont connu aux côtés du Président Nino Vieira il y a si peu de temps. Tout le monde était inquiet et cherchait à connaître l’ampleur de ces événements horribles.
Dans la confusion, j’ai pris le courage et l’énorme risque de partir en compagnie de deux camarades, Braima Camara dit Ba Quecuto, l’un des conseillers du Président de la République, à l’hôpital national Simão Mendes où les corps des deux plus grands généraux de l’armée étaient désormais exposés à la morgue.
Une bonne partie des membres du Gouvernement, des députés, et autres notables étaient déjà sur place et assistaient ou participaient au spectacle dont les militaires étaient les
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véritables maîtres, en fonction de l’implication de chacun dans le coup réussi de cette fois-ci. J’eus une grosse frayeur à l’arrivée, où dans la foulée, un soldat pointa son fusil sur ma poitrine en me donnant l’ordre de faire demi-tour avant que je ne le regrette. Quelques honnêtes citoyens élevèrent la voix pour lui dire que je faisais partie des conseillers du Président, alors que d’autres lui disaient qu’il n’avait pas le droit de me traiter de la sorte. Il me laisse passer après avoir vérifié ma pièce d’identité. Je me suis demandé si je n’étais pas en train de me suicider à force d’être têtu, mais je conclus ensuite que j’étais déjà mort comme tous mes concitoyens. Car cet acte constituait à mes yeux, l’aboutissement de toute la barbarie qui envahit le pays depuis le 20 janvier 1973, avec l’assassinat du leader Amilcar Cabral et les meurtres d’autres camarades qui s’ensuivirent.
Selon mes collègues ayant assisté aux événements de la veille, le Président de la République s’était décidé à rendre le pouvoir dès le lendemain. Il se disait dépassé par l’ampleur de la désobéissance et du désordre qui régnaient dans le pays en général et au sein de l’armée en particulier. Il s’était auparavant réuni avec le ministre de la Défense en la personne d’Artur Silva, en compagnie des responsables des services de contre-intelligence militaire, qui n’ont pas pu lui rapporter les meilleures informations sur les événements de la soirée. João Monteiro me confirmera plus tard que les assaillants n’ont pénétré à l’intérieur de la maison qu’après le départ de ces personnalités liées au Gouvernement.
Le Président s’était déjà retiré dans sa chambre au moment où les premiers tirs d’obus sont tombés dans le salon, blessant au passage Barnabé Gomes et João Monteiro, qui ont trouvé refuge derrière les meubles pour ensuite écouter le feuilleton de l’exécution du Président sous les yeux de son épouse Madame Isabelle Romano Vieira. Cette dernière est libérée plus tard en échange d’une somme modique de 50 000 francs CFA réclamés à son jeune frère, mais aussi, comme un signe d’acceptation du dernier vœu du Président qui aurait demandé aux assaillants de laisser sa femme en vie s’il était vraiment leur unique cible. João Monteiro se rappelle encore que quelques minutes avant
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l’attaque, le Président avait cherché à prendre toutes les dispositions pour affronter le premier groupe qui tenterait de franchir la porte de sa chambre, mais il n’a pas pu aller plus loin car non seulement il n’avait pas les munitions à sa portée, mais la présence de son épouse l’en a dissuadé. Le pire, toujours selon João Monteiro, était le fait qu’au moment des événements, aucun des responsables de la garde présidentielle ne savait dire où se trouvaient les munitions réservées à la sécurité du Président de la République qui ne le sera plus depuis cette nuit du 2 mars 2009.
Cette date restera gravée dans la mémoire du peuple comme une journée noire, sous un ciel nuageux et un soleil coloré par le sang de ses enfants. Encore une date où Bissau est nouvellement devenue une ville fantôme, rappelant les souvenirs du 6 juin 1998. Les seules voitures qu’on voyait circuler dans la ville appartenaient aux militaires et aux membres du gouvernement de Carlos Gomes Junior.
À la morgue de l’hôpital Simão Mendes, régnait une autre ambiance. Celle de la loi du silence, « l’Omerta ». J’ai pu saluer Carlos Bernardo Vieira, dit Morrido, l’un des frères du Général Nino, planqué à l’entrée où il ne pouvait qu’assister aux scènes sans pouvoir pleurer sur le cadavre de son grand frère. Un groupe de ministres faisait des allées et venues dans de luxueux quatre-quatre, affichant un sourire vainqueur face au public amassé devant la morgue. Pendant que certains groupuscules de curieux faisaient la reconstitution des faits, d’autres nous pointaient du doigt en murmurant des choses qu’on ne pouvait pas comprendre, ou révélaient les noms des personnes proches du Général Nino qui avaient péri au cours de l’assaut. Beaucoup allèrent plus loin en me citant parmi les victimes, car le seul soldat mort avec le Président s’appelait Lourenço lui aussi, et ceux qui rapportaient les informations n’ont peut-être pas su distinguer les trois Lourenço (DIEME, CORDEIRO et DA SILVA) par leurs noms de famille respectifs.
J’ai quitté la morgue sans pouvoir rendre un dernier hommage au chef, car je n’avais pas le courage de trop m’approcher de son cadavre méconnaissable des pieds à la tête. La barbarie
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pratiquée lors de son assassinat dépassait mon imagination. Un sous-officier nous ordonna de nous éloigner pour laisser travailler les autorités compétentes. Puis, en partant de la morgue Braima Camara, Conco Turé et moi, croisons Madame Henriqueta Godinho Gomes, elle aussi conseillère du Président de la République pour les affaires diplomatiques, qui, en larmes, nous a ouvert les bras à tous les trois, avant de me prendre comme un fils et de me dire :!Jovem, ai meu Deus Porquê que fizeram isso ? Com tudo que temos estado a fazer para mudar as coisas ? Os novos projectos de promoção, o Portal em construção… Ai meu Deus !(Jeune homme, oh mon Dieu ! Pourquoi ont-ils fait ça ? Avec tout ce que nous sommes en train de faire pour changer les choses ? Les nouveaux projets de promotion, le Portal en construction… Oh mon Dieu !) Aucun de nous trois n’a pu lui répondre, car un autre soldat est venu nous chasser des lieux immédiatement, toujours avec un fusil prêt à tirer en cas de résistance.
La presse, notamment les stations radios locales, reprenaient sans cesse les déclarations de Zamora Induta, désormais président de la Commission des militaires, affirmant : « le Président de la République a été assassiné par un groupe de soldats fidèles à Tagme Na Waye, car il était le principal suspect de l’assassinat de ce dernier », puis : « le pays va enfin pouvoir démarrer, car cet homme était un véritable obstacle au développement ». Les militaires renforcèrent ces déclarations par un communiqué disant qu’ils réitéraient le respect et la fidélité au pouvoir civil, et appelaient la population au calme et à la sérénité.
Plus tard dans l’après-midi, des rumeurs nous parviennent des coulisses de la Primature, où le Conseil des ministres réuni d’urgence s’était réjoui de l’opération et s’excusait de condamner ces actes barbares. Un communiqué sanctionne la teneur de la réunion, dont l’un des points centraux disait : « Nous félicitons le communiqué des chefs militaires pour son sens patriotique, notamment dans le respect l’ordre constitutionnel et le maintien des organes de souveraineté de l’État en place ». À sa sortie du Conseil des ministres, Maria Adiatu Jalo Nandigna, alors ministre des Affaires étrangères,
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nous rejoint chez Braima Camara. Elle avait l’air très abattue, indignée et attristée à mort. Elle nous révèle que la situation était plus grave qu’on ne pouvait l’imaginer. Les hommes du pays avaient perdu tout le sens du pouvoir et de la démocratie, selon elle.
Un peu plus tard dans la soirée, après tant de pression et marre d’entendre les rumeurs interminables, je décide de me retirer dans l’un des établissements hôteliers de Bissau, où je reçois des SMS soit de solidarité, soit me demandant si j’étais mort ou encore en vie. Entre ce climat de rumeurs et les vérités obscures qui me parvenaient par différents canaux, je ne peux pas dire à quel point j’étais choqué et meurtri par cette situation incroyable que je vivais en ce moment précis.
Le 4 mars, après avoir reçu les visites de quelques diplomates m’ayant révélé l’existence des listes noires des personnes recherchées dans l’entourage du Président, j’ai conclu que le moment était à la prudence, même si je n’avais rien à me reprocher. Je cherche ensuite à contacter João Cardoso, j’apprends que lui aussi est dans la clandestinité et qu’on ne peut pas se voir. De son côté, Maria Adiatu Jalo Nandigna réussit à me joindre par téléphone dans la journée, pour me demander de coopérer dans l’organisation de la cérémonie funèbre en hommage au Président. Sans hésiter, je rejette la proposition de Madame le Ministre.
Les frontières étaient fermées. Le Gouvernement venait de lancer une polémique en annonçant que Nino Vieira ne serait pas enterré avec les hommages dignes d’un héros national. Il était hors de question que ses proches prétendent le voir immortalisé à côté du mausolée Amilcar Cabral. Le 6 juin, je réussis à quitter le pays sur un vol d’Air Sénégal International, où le hasard m’a fait voyager avec Henriqueta Godinho Gomes et son mari, tous deux derniers passagers à monter dans l’avion, après avoir été conduits à l’aéroport par les agents du bureau de l’UNOGBIS (Bureau du représentant spécial du secrétaire général de l’ONU). La situation était trop tendue à l’intérieur de l’avion, le vol a été retardé, il fallait régler leurs billets sur place car ils n’étaient ni réservés ni payés à l’avance tel que prévu par
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