Les mythes fondateurs de l Algérie française
336 pages
Français

Les mythes fondateurs de l'Algérie française , livre ebook

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Description

Jean-François GUILHAUME LES MYTHES FONDATEURS DE L'ALGÉRIE FRANÇAISE Préface de Bruno ETIENNE Editions L'Harmattan 5-7, rue de l'Ecole Polytechnique 75005 PARIS Peut-être une génération à venir décèlera-t-elle ce qui fut le paralogisme désastreux de notre temps: ayant découvert, grâce aux méthodes scientifiques, que l'homme, en tant qu'espèce zoologique est effectivement un, nous nous sommes évertués, par la coercition et la propagande politique, à imposer à l'homme en tant qu'être culturel, personne morale, un sens unitaire analogue, contradictoire à l'essence même de notre humaine nature. Edmund LEACH, L'unité de l'homme, p. 338 PRÉFACE S. Freud dit quelque part que l'on ne peut progresser seulement qu'après avoir fait «le travail de deuil des deux côtés». Un certain nombre d'auteurs (je pense à Benjamin Stora entre autres) ont initié cette stratégie de ce côté-ci de la Méditerranée. De l'autre côté - mis à part les romanciers - ils sont plus rares encore. Il me semble qu'il est possible de lire le beau travail de Jean-François Guilhaume en ce sens. La symbolique de la relation~ l'Autre passe certes par des stéréotypes et les représentations ne sont que le produit des structures anthropologiques de l'imaginaire et de l'idéologie qui ne dit pas son nom.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 1993
Nombre de lectures 344
EAN13 9782296272064
Langue Français
Poids de l'ouvrage 10 Mo

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Extrait

Jean-François GUILHAUME
LES MYTHES FONDATEURS
DE
L'ALGÉRIE FRANÇAISE
Préface de Bruno ETIENNE
Editions L'Harmattan
5-7, rue de l'Ecole Polytechnique
75005 PARISPeut-être une génération à venir décèlera-t-elle
ce qui fut le paralogisme désastreux de notre
temps: ayant découvert, grâce aux méthodes
scientifiques, que l'homme, en tant qu'espèce
zoologique est effectivement un, nous nous
sommes évertués, par la coercition et la
propagande politique, à imposer à l'homme en
tant qu'être culturel, personne morale, un sens
unitaire analogue, contradictoire à l'essence
même de notre humaine nature.
Edmund LEACH, L'unité
de l'homme, p. 338PRÉFACE
S. Freud dit quelque part que l'on ne peut progresser seulement
qu'après avoir fait «le travail de deuil des deux côtés». Un certain
nombre d'auteurs (je pense à Benjamin Stora entre autres) ont initié cette
stratégie de ce côté-ci de la Méditerranée. De l'autre côté - mis à part les
romanciers - ils sont plus rares encore. Il me semble qu'il est possible
de lire le beau travail de Jean-François Guilhaume en ce sens. La
symbolique de la relation~ l'Autre passe certes par des stéréotypes et les
représentations ne sont que le produit des structures anthropologiques
de l'imaginaire et de l'idéologie qui ne dit pas son nom. Le processus de
légitimation s'ancre sur des récits fondateurs plus faux encore que
l'Histoire elle même falsifiée par les vainqueurs mais tellement plus
efficaces tant il est vrai que ce que les gens croient est plus important que
ce qui est. En fait, Jean-François Guilhaume démonte le mécanisme le
plus classique de la domination: l'amnésie de l'anamnèse.
Les forces les plus diverses, y compris autochtones, se liguent
pour occulter la réalité des conditions de production du fait colonial et
des deux côtés à la fois on embellit le passé tout en faisant table rase du
passé de l'Autre. Il s'agit donc d'une sorte de combinatoire entre des
mémoires croisées, gommées, antagonistes qui ne font pas la même
lecture des mêmes événements eux mêmes sujets à caution. Les exemples
foisonnent dans cet ouvrage, de l'utilisation du Jihad à la légende du Père
Bugeaud en passant par le mythe Kabyle, sans oublier Charles Martel et
Rome en Afrique.
Jean-François Guilhaume décortique finement le processus du
héros des Lumières qui a le devoir de coloniser le Sauvage, le Barbare, le
fanatique dans l'intérêt de celui-ci et à la gloire de l'Humanité toute
entière.
L'œuvre de la colonisation est ainsi toute entière justifiée et
produit même une sorte d'auto-glorification qui interdit tout discours
nuancé sur l'Autre. Bien plus, l'Autre finit par disparaître complètement
de son propre pays avant de se rappeler bruyamment aux mauvais
souvenirs des amnésiques surpris. C'est l'Imam Moghni lui-même de
Babel Oued qui a dit en pleine vague «Intégriste» à un journaliste
pantois: «je regrette qu'il n'y ait aucun Algérien dans La Peste de
Camus». C'est dire combien devant la pertinence de ce jugement
inattendu nous avons encore du chemin à faire. Mais le livre de
JeanFrançois Guilhaume apporte encore une sorte de «grain à moudre».
7Il peut paraître désuet d'essayer de comprendre un processus
historique aussi ancien et enfoui dans la mémoire collective. Je pense au
contraire que c'est bien grâce à ce type de travail que nous pouvons
décrypter l'actualité: la guerre du golfe a été légitimée avec toute la
batterie des thèmes retenus par Jean-François Guilhaume. Bien plus en
France le non dit sur la guerre d'Algérie et l'effondrement de l'Empire
sont les deux causes principales de notre incapacité à parler sereinement
de l'Islam et de l'émigration.
C'est dire l'importance de ce travail à qui je souhaite de très
nombreux lecteurs.
Bruno Etienne.
8INTRODUCTION
- 1. Histoire et mémoire collective. Nous nous proposions, à
l'origine de notre recherche, de faire une étude sociologique sur la nature de
la mémoire collective, véhiculée dans un contexte colonial par la
communauté européenne d'Algérie, et sur la manière dont ce récit pouvait
varier avec le temps. La nécessité de travailler dans un champ diachronique
nous a permis rapidement de nous rendre compte que la notion de
communauté européenne d'Algérie constituait déjà à elle seule un
problème, dans la mesure où rien ne permet de penser que les ouvrages
actuels spécialisés sur l'Algérie décrivent l'histoire d'une communauté.
Rien, sinon l'idée que l'on s'en fait.
Bien sûr, si l'on s'entretient aujourd'hui avec des rapatriés
d'Algérie, ceux-ci se chargeront d'établir leur spécificité à partir de
fondements socio-historiques ; et nos observations à ce sujet nous ont
conduit à considérer la notion d'identité collective comme un enjeu et
comme un effet de conflits inter-sociaux. Cependant, le travail que nous
avons entrepris doit nécessairement aller dans le sens théorique des travaux
historiques auxquels il se réfère. Nous n'avons donc pas le sentiment
d'avoir étudié un discours produit par une communauté, mais plutôt les
propos mis en évidence plus particulièrement par les partisans de la mise
en exploitation du territoire algérien par la France, ainsi que leurs
variations; ce qui nous a amené à prendre en considération le contexte
socio-historique de leur production.
Lorsqu'on s'interroge sur la colonisation française en Algérie, une
constatation immédiate s'impose: les travaux des universitaires et
chercheurs actuels sont non seulement complètement en rupture avec la
représentation dominante retransmise antérieurement (et que l'on peut
trouver par exemple dans les manuels d'histoire destinés aux écoliers sous
la troisième République), mais de plus, ils expriment consciemment
l'existence de cette rupture. Il existe, à partir des années 1920 (1), des
travaux français d'ordre historique, géographique, ou sociologique, dont un
des éléments problématiques principaux semble reposer sur le désir
d'établir une vérité qui n'a jamais été mise au grand jour; en bref, une
1. Nous reviendrons sur ce sujet en conclusion (infra p. 242). D'ores et déjà,
nous renvoyons ici à VATIN Jean-Claude (112) L'Algérie politique. histoire et
sOciété, 1974, p. 29 qui considère Charles-André Julien comme le précurseur
de cette rupture.
9reconstruction qui a pour effet de démystifier la précédente (2). Nous
avons cherché à illustrer par des textes les «vérités toutes faites» que les
historiens actuels dénoncent (3).
Il ne s'agira pas de communiquer une version précise de l'état actuel
de la recherche historique, ou de prétendre apporter notre propre
contribution dans ce domaine, mais de nous appuyer sur des références
macro-historiques admises, et sur certains détails concernant des faits ou
des événements ponctuels; car, ce qui nous intéresse ici, c'est le problème
que pose en soi la nécessité de récrire l'histoire de l'Algérie (4). Nous
avons utilisé les travaux historiques actuels comme base de référence car
c'est leur méthode d'approche qui permet, à notre sens, d'abstraire le
mieux le facteur idéologique.
Il est aisé de constater'que les rares interprétations auxquelles les
historiens se risquent à notre époque s'appuient pour la plupart sur des
sources d'archives très précises, immédiatement identifiables, et rejettent a
priori les présupposés, pour se référer, même hors du champ de leur
recherche principale, à des documents de «première main». Les auteurs que
nous avons choisis pour constituer nos références historiques sacrifient
d'ailleurs le plus souvent leurs interprétations personnelles pour se
contenter de mettre en évidence que telle «vérité admise» n'en est pas une.
On voit donc que la rupture est double, car cette façon de procéder, un peu
à la manière de l'archéologie, remet non seulement en question les<

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