L espace et le temps au jardin grec
217 pages
Français

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L'espace et le temps au jardin grec , livre ebook

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Français

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Description

Quels rapports y a-t-il entre les jardiniers grecs et leur jardin ? A quoi pensent-ils tandis qu'ils plantent, sarclent, désherbent ? Quelle est la fonction du jardin dans la civilisation grecque d'hier et d'aujourd'hui ? Pourquoi sur le plan culturel, les Grecs sont-ils si passionnément attachés à leur jardin ? Quels types de jardins retrouve-t-on dans cette région de Makedonia ? Projet fou, sujet dont aucun n'a encore traité. Dix ans de réflexion, de démarches et de rencontres. Les dix plus belles années d'une vie.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2010
Nombre de lectures 95
EAN13 9782296697706
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’espace
et le temps
au jardin grec
© L’H ARMATTAN, 2010
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris

http://www.l ibrairieharmattan.com
diffiision.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-11685-6
EAN : 9782296116856

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Martine Landriault


L’espace
et le temps
au jardin grec
Photos : Martine Landriault
Design de la couverture : Fleury/Savard, design graphique
Être à l’abri. Être centré.

Il en est de certains pays comme de certaines amours. Ce n’est ni le coup de foudre, ni l’amour aveugle. Pourtant, on s’y attache tout de suite. Sans le savoir. De façon viscérale. On le quitte, on y retourne et au bout du compte, on constate qu’on y a passé une partie importante de sa vie. D’autres pays, d’autres aventures m’ont attirée, c’était même très très bien, mais jamais n’ai-je vécu de liaison aussi forte qu’avec la Grèce. J’y ai séjourné sur de longues périodes à plusieurs reprises, dans différentes régions, pour finalement devenir une fidélisée de la Grèce du Nord. Toujours sans comprendre pourquoi. Jusques au jour où à une vingtaine de minutes de marche dans un sentier sinueux au-dessus de la route, en retrait d’un village, je me retrouve avec Giannis P., dans la trentaine, debout dans le kiosque construit de ses propres mains. Il regarde droit devant lui :

« Tu vois, ici, c’est mon monde, c’est à moi. Au centre du terrain, ma maison, ma femme, mes enfants. Devant et sur les côtés, des fleurs et des aromates dont ma femme s’occupe. Derrière, encore des fleurs plus un potager, mes arbres fruitiers, ma vigne. Pas très loin derrière, les montagnes. Certains jours, j’ai l’impression qu’en étirant le bras, je pourrais les caresser. Elles cachent mes oliviers. Et, d’où nous sommes maintenant, entourés de pins d’Alep, la mer. Je n’ai qu’à la suivre vers la droite pour apercevoir mon village. À gauche, à travers les arbres, je devine le toit des maisons d’un autre village. J’ai choisi l’emplacement du kiosque en raison de la beauté du paysage. Je peux tout voir, tout admirer, sans être vu. Je suis à l’abri. Je suis centré. »

J’ignorais, alors, que l’homme au cœur de son temple fondu dans le paysage naturel, héritage architectural de lointains ancêtres, venait de m’engager sur la voie des jardins privés grecs. Ce fut comme un choc électrique. Le don de sa vision, de sa saisie du monde et l’esquisse de l’organisation de son espace-jardin, était l’explication, fausse ou réelle, ou quelque chose entre les deux, de la constance, de la durée de cette vie à deux avec ce pays.

Les jours suivants, je me suis mis à repérer à pied ou en voiture tous les jardins des alentours. J’aurais voulu être invisible pour les observer de plus près. Plus que tout, je souhaitais entendre ces jardiniers, ces jardinières, me raconter ce que cet espace représente pour eux. Quels rapports existent entre les jardiniers grecs et leur jardin ? Pourquoi y passent-ils toute leur journée ? À quoi pensent-ils tandis qu’ils plantent, sarclent, désherbent ? Quelle est la fonction du jardin dans la civilisation grecque d’hier et d’aujourd’hui ? Pourquoi, sur le plan culturel, les Grecs sont-ils si passionnément attachés à leur jardin ? Quelles plantes utilisent-ils ? Leur accordent-ils un endroit particulier sur le terrain ? Quels types de jardins retrouve-t-on dans cette région de Makedonia ? Dans cet espace, se sentent-ils à l’abri, centrés, comme Giannis P. ? « Être à l’abri », je pouvais comprendre, mais « être centré » semblait renfermer quelque chose d’essentiel, de rare, de précieux, d’unique qui m’échappait. Comme un bout d’organe délicatement ficelé, celé au plus profond de soi, constamment menacé d’arrêter de respirer au moindre manque de vigilance.

Je savais que j’avais devant moi un projet fou, un sujet en or dont aucun n’avait encore traité. Ce que je ne savais pas, c’est que ces dix années de réflexion, de démarches et de rencontres allaient représenter les dix plus belles années de ma vie.
I
Par où commencer ?
J’ai d’abord longuement observé, j’ai pris des notes, j’ai fait des liens. Lentement, les témoignages des jardiniers se sont peu à peu regroupés en termes récurrents : l’enfance, le plaisir, la pureté, la beauté, la liberté, l’harmonie, la méfiance, la crainte, l’ambiguïté du Nous et de l’Autre, les barrières associées à l’État, à l’histoire, à la production du Soi (c’est-à-dire à l’identité), aux classes sociales, le passage à l’acte, le passage des générations, l’héritage culturel, la mémoire.

Ce qui importait le plus pour moi, c’étaient les propos des jardiniers {1} que je considère comme des acteurs sociaux ; propos concernant leur espace-jardin que je qualifierais d’autobiographie, de récit politisé. J’ai cherché à descendre dans l’arrière-plan de leur conscience de leur intimité culturelle en tenant compte de toutes les expressions symboliques, même celles contenues dans les propos « anodins » du quotidien. Ce concept exprime la dynamique des tensions codées ou formelles entre la présentation officielle de soi et ce qui se passe dans le privé de l’introspection collective. Dans cet esprit, j’ai puisé dans ce que l’anthropologue Michael Herzfeld {2} appelle les poétiques sociales. Les éléments dynamiques de ces poétiques sont l’embarras et la triste reconnaissance du Soi. C’est un jeu auquel les gens se livrent afin de tenter de changer un avantage éphémère en une condition permanente. Pour ce faire, ils déploient les débris du passé pour toutes sortes de raisons ayant trait au présent. Une interaction entre les poétiques « anodines » de tous les jours et les grands drames officiels et historiographiques est alors créée et l’écart d’illusion en est diminué.

Le jardinier utilise les plantes comme matière, comme objets à penser. Réflexion sur un ensemble d’idées, le jardin est conçu comme un espace d’inscription du symbolique, un commentaire pluridimensionnel dicté par un jeu de relations des cinq sens étroitement liées au désir et à l’imaginaire. L’organisation spatiale, autrement dit l’aménagement des jardins en Grèce du Nord comporte des caractéristiques spécifiques et ces dernières correspondent à l’intimité culturelle des jardiniers. La création du jardin par l’humain en opposition à la création de la nature, suggère que la première est une projection de perfection contrastant avec les imperfections de la seconde. Le jardin ainsi considéré devient un lieu hybride où le jardinier, citoyen et acteur social, s’indigne, proteste, refait le monde, le blâme de tous ses problèmes et de ses échecs personnels sans risque de représailles, sans que ni ses proches, ni son milieu de travail, ni les autorités de l’État-nation le contredisent ou l’accusent de faire entrave aux normes légales et culturelles officielles.

L’examen de l’aménagement des jardins de Makedonia tente d’apporter quelques explications sur celle-ci, sur l’identité des Grecs du Nord, leur perception de l’État, la saisie de leur monde et leur manière de voir le monde en général. L’intérêt porté à l’espace-jardin, essentiel à la compréhension du monde que l’on produit, s’inscrit dans un débat social et politique. Le jardin préserve son aspect de rêve, de plaisir, de détente qu’on lui confère d’habitude, mais son humus en fait un espace enraciné dans le politique.
Un jardin, c’est … Paroles de jardiniers
Voici comment les jardiniers de la Grèce du Nord définissent le mot jardin. Ils parlent d’espace et de temps. Ces mots leur appartiennent. Je n’ai rien changé, sauf la forme :

« Être dans un jardin, c’est être dans un autre espace, ailleurs, en dehors de la réalité, ne pas être sur terre. »

« Un jardin est un espace de verdure, de fleurs et encore de fleurs, d’arbres, de terre, de formes, de textures, de parfums et de couleurs. »

« Un jardin, c’est de l’air pur, de l’oxygène, de grandes respirations, une protection pour l’environnement. Un jardin, c’est la santé. »

« Un jardin est un espace de vie, de beauté, de plaisir, de bonheur, de joie, de fêtes, de réunions, de détente, de fraîcheur, de repos, de tranquillité, de sourire. »

« Un jardin est un espace d’harmonie, de contemplation. C’est un espace de refuge, d’oubli. C’est un grand besoin, un endroit de sécurité, de guérison, un endroit où on se sent soi-même. »

« Un jardin, c’est un espace d’expression de soi, de création, d’inspiration, de satisfaction, un espace de sensations, d

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