La modernité en question
191 pages
Français

La modernité en question , livre ebook

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191 pages
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Description

1781, Kant publie la Critique de la raison pure et Haydn les Six quatuors opus 33 : deux oeuvres fondatrices d'une modernité habitée par le même idéal de progrès individuel et collectif. Loin de coïncider avec le seul projet des Lumières, la création est aussi le lieu de choix individuels et multiples, autojustifiés, dont la portée sera de plus en plus décisive du début du XIXe jusqu'au moment postmoderne (1972, date de la démolition du dernier immeuble américain construit par le Bauhaus, et choisie ici comme valeur symbole) où bascule la nécessité même de tout légitimation esthétique.

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Publié par
Date de parution 01 mars 2010
Nombre de lectures 333
EAN13 9782296240810
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

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Extrait

La modernité en question
Collection Arts & Sciences de l’art dirigée par Costin Miereanu
Interface pluridisciplinaire, cette collection d’ouvrages, coordonnée avec une publication périodique sous forme de Caiers, est un pro-gramme scientifique de l’Institut d’estétique des arts et tecnologies (Unité mixte de recerce du CNRS, de l’université Paris 1 et du mi-nistère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recerce).
Institut d’esthétique des arts et technologies IDEAT UMR 8153  CNRS/Université Paris 1 47, rue des Bergers  75015 Paris Tél. : 01.44.07.84.65  Email : asellier@univparis1.fr ©IDEAT  CNRS/Université Paris 1  L’Harmattan, 2010
©L’Harmattan, 2010 57, rue de l’ÉcolePolytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-10338-2 EAN : 9782296103382
François Decarsin
La modernité en question Deux siècles d’invention musicale 17811972
Couverture : JeanPierre Dubois, d’après l’œuvre de JeanClaude Le Gouic, PostIt sur rouge, 1998. ©
Introduction
Points, ligne, courbe : l’art face à l’histoire
S  nous coisissons de présenter l’idée de modernité sous cette tripartition à consonance kandinskienne, celle-ci se ramène cependant à deux dimensions fondamentales, directe-ment agencées par le rapport à l’istoire, irréductiblement binaire. La première attitude, la conception vectorielle de l’istoire, ayant acquis sa totale légitimité avec Kant pour connaître ses abou-e tissements les plus critiques au milieu du  siècle (Horkeimer, Benjamin), formalise la coïncidence complète entre modernité et progrès vécue d’abord sur le mode de l’étique individuelle, puis comme projet collectif. Toute prise de conscience nouvelle relève du progrès de la connaissance et s’inscrit dans le long ceminement vers la perfection : il y a dans cette adésion tout ce qui caractérise l’idée deligne. La deuxième attitude n’est pas induitea posterioripar la première, mais affirme d’emblée son domaine ; c’est l’indifférence totale à l’is-toire, le regard critique aussi, qui postule son absence de sens – com-me significationetcomme direction – et se manifeste cette fois sous deux visages absolument distincts. D’un côté l’émergence de postures violemment individuelles, de l’autre l’invocation de valeurs éternelles, insubordonnées par essence au principe d’istoire orientée.
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e Le  siècle n’est pas uniquement celui de la raison. Parallèlement au projet kantien d’ordre collectif, et résolument contre lui, l’individualisme le plus virulent s’investit dans l’acte lit-téraire immédiat et radical (Sturm und Drang). Tandis que la pi-losopie élabore un avenir possible, la littérature en conteste simul-tanément la pertinence. Quelques décennies plus tard, ce seront Kierkegaard puis Nietzsce qui récuseront le projet kantien, et plus encore les positions égéliennes, au nom du mme individualisme à tout prix, pour « inventer des vibrations, des rotations, des tournoie-ments, des gravitations, des danses ou des sauts qui atteignent direc-1 tement l’esprit » en s’affrancissant de la logique (devenue inutile) d’une téléologie préfixée. C’est ce type de réaction, nécessairement radicale, qu’on envisagera dans la catégorie dupoint. Enfin, le détacement radical de toute pilosopie de l’istoire invoque inévitablement cette intangibilité de valeurs insurpassables, de racines à retrouver, qui constituent le contre-pied le plus inex-pugnable du projet de modernité istorique. Si la sécularisation du divin opérée par Kant affirmait ces valeurs comme un but (la perfec-tion), celles-ci deviennent des limites absolues (Copin, Delacroix…). L’image de lacourberend assez bien compte de l’ambivalence – qui e n’a cessé ensuite de croître avec le  siècle – entre la présence iné-luctable du passé (puissance accrue de la mémoire depuis l’avène-ment de l’istoricité et de l’idée de tradition) et les relations obliques à celui-ci, où l’ironie et la nostalgie ne parviendront pas toujours à se définir comme données vraiment autonomes (néoclassicisme, post-modernité).
Origines de l’istoricité
Le projet de modernité comme progrès prend sa forme concrète au moment du basculement des années 1750 où le savoir (l’Ency-clopédie), le politique (Rousseau) et mme l’attitude face au musical (Rameau) sont investis de cette force absolument neuve que repré-sentel’implication de la raison. De l’égalité de droit, décrétée par contrat social (1762), à la formalisation kantienne du principe de connaissance orientée (1788), l’enjeu est bien d’assigner à l’extension
1. Gilles. Deleuze,Différence et répétition, Paris, PUF, 1968, p. 16.
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du savoir unbut, « donnéa priori(comme objet de la volonté) indé-2 pendant de tous les principes téoriques ». En conférant au savoir un potentiel encore inexploité – celui dejugerKant assigne à la –, connaissance une mission tout aussi neuve, celle d’agir. L’association des deux dimensions ainsi élaborées (raison comme moyen d’action et objectivité inférée par le progrès du savoir scientifique) pose donc ainsi les jalons d’une évolution irréversible avec « la doctrine de la sagesse » visant cette « fin capitale » que représente « le boneur uni-3 versel ». Si le projet de paix universelle est devenu ce qu’on sait, un de ces « métarécits » dont Lyotard consignera la défaite (le temps où « le éros du savoir travaille à une bonne fin ético-politique » est révo-4 lu ), il demeure dès les années 1775 la condition supérieure de tout ce que promet l’émancipation du sujet. Dès lors, le style classique ap-paraît dans le seul camp du musical comme l’incarnation directe de l’équation : accroissement du savoir et de la maîtrise du métier = pro-grès. L’étique fondatrice unique se fond dans les trois génies irré-ductibles (Haydn, Mozart, Beetoven) au moment de l’istoire où se joue le projet de modernité comme extension perpétuelle du « sou-verain bien ». Évidemment, l’idéal de connaissance et le culte de la vérité étaient déjà les bases indiscutables de la pensée préclassique, en particulier dans le domaine des sciences et, bien sûr, de la pilosopie (deux domaines, d’ailleurs, le plus souvent maîtrisés par le mme individu). Mais ce qui maintient la pensée en deçà de la dynamique kantienne est lapermanenceintangible de valeurs, certes universelles, mais en quelque sorte figées une fois pour toutes, ors du temps donc ors de l’istoire, écappant à la relativité et la comparabilité d’un degré de savoir par rapport au précédent. Le principe denatureauquel res-te soumise toute modulation du savoir détermine la vision du temps comme état, et cela jusque dans les attitudes invoquant l’istoire, comme l’a souligné Krzystof Pomian :
2. Emmanuel Kant,Critique de la raison pratique, Paris, PUF, 1943, p. 143. 3. Emmanuel Kant,Critique de la raison pure, Paris, Flammarion, 1987, p. 632. 4.Jean-François Lyotard,La Condition postmoderne, Paris, Éd. de Minuit, 1979, p. 7.
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« Cette notion d’un niveau indépassable correspond, dans la pensée des umanistes à celle d’un temps stationnaire, temps du savoir tel qu’il est en lui-mme […]. À côté d’un savoir immuable qui a son lieu dans l’esprit de Dieu, les umanistes en posent un autre tout aussi immuable, mais dont le lieu est constitué par l’ensemble des œuvres par les anciens. Ce qui cange, ce n’est pas le savoir, mais les façons qu’ont les ommes d’y accéder et le degré dans lequel ils se laissent guider par les normes qui ont une validité 5 éternelle ». Sur le strict plan musical, en particulier, l’apparition de l’intért pour l’istoire ressort davantage de la prise de conscience des spéci-ficités stylistiques en interdépendance avec la téorie des passions. Dès lors, les positions pilosopiques (Descartes, Leibnitz) interro-geront métodiquement – avant Rameau – les relations entre le mu-sical comme résultat et le pysique comme cause : l’istoire n’est pas encore une dynamique, mais l’approfondissement perpétuel de « la science pysique de la musique [qui] ne prend son sens qu’au sein 6 de la spéculation métapysique ». Bref, « la psycologie moderne 7 n’existe évidemment pas ». Cette perspective n’empce nullement le déploiement du génie in-dividuel ; mais on peut déjà en saisir la binarité dès sa naissance : la per-fection comme valeur supérieure, promesse du rapprocement toujours plus accompli avec Dieu, et « l’accord de la nature, un des plus grands 8 progrès de laratio» que laisse entrevoir la découverte des armoni-ques. Ces deux acceptions impliquent une incontestable part d’anony-mat qui s’affirme autant dans la spéculation conduite à travers le traité de Rameau par exemple – recerce de la quintessence de lois – que dans le rapport métapysique de Bac à la finalité de l’écriture. C’est cette part d’anonymat justement, cette mise en retrait de l’individu derrière sa propre spéculation, que va radicalement re-mettre en question tout le basculement dans l’âge classique. Là en-e core, des prémisses sont évidemment sensibles dès le  siècle, dans l’extension des potentialités individuelles par la raison critique
5. Krzystof Pomian,L’Ordre du temps, Paris, Gallimard, 1984, p. 46-47. 6. Manfred Bukofzer,La Musique baroque1600-1750, Paris, Jean-Claude Lattès, 1982, p. 426. 7.Ibidem, p. 13. 8.Ibid.
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