Tout est bruit pour qui a peur
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Description

En prenant symboliquement pour titre la phrase de Sophocle : « Tout est bruit pour qui a peur », Pierre-Albert Castanet confirme son intérêt pluriel — compositionnel, musicologique et esthétique — vis-à-vis des audaces exploratrices de la sphère musicale du XXe siècle.


De Berg à Benjamin, de Varèse à Boulez, de Ives à Xenakis, de Scelsi à Murail, des Futuristes aux Punks, de l'idéologie Hippie à la World Music, des collectifs de Free Jazz aux Boys Bands, de Jimi Hendrix à Maxime Le Forestier, de Revolution des Beatles à Macarena de Monge & Ruiz, des événements de mai 1968 aux conflits des Balkans, de l'Arte Povera au Tag urbain, du Sprechgesang viennois au Rap banlieusard... P. A. Castanet cerne les différentes topiques du son-bruit en éclairant ses multiples vertus insoupçonnées. Confidence du siècle, le phénomène bruiteux est ainsi analysé aux prismes de l'histoire, de la musicologie, de la sociologie, de la théorie, de l'anthropologie, de la philosophie, de l'esthétique et de leur aura périphérique immédiate...


Foisonnant d'exemples clairs et précis, oeuvrant « pour une histoire sociale du son sale », Tout est bruit pour qui a peur peut se lire comme un guide avisé de la modernité sonore du XXe siècle.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 1999
Nombre de lectures 174
EAN13 9782876233416
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0158€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

INTRODUCTION
COLÈRE ETDÉMOLITION
« En tant que source d’énergie, l’être est une colère a priori ». Gaston Bachelard,L’eau et les rêves.
« Toute vie est bien entendu un processus de démolition ». Francis Scott Fitzgerald,La fêlure(The Crack up).
Alors que la géographie politique brouille les cartes, l’art confortablement aux tables bancales des lois post-modernes. l’avant-garde en échec et l’art contemporain en danger de jeu s’embourgeoise et la culture-fin-de-siècle semble pipée.
s’assoit Devant mat, le
Frileuse, la fin de notre XXe siècle mène un combat d’arrière-garde, résigné et fataliste. Alors qu’un fond de la musique populai-re reste aux aguets –hardet commercialement chaud -, la musique savante s’est endormie sur une post-modernité à la fois déconcer-tante et indifférente, après avoir brandi des feux de contestation et des slogans d’avant-garde de premier ordre. Au cœur d’une crise
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généralisée que nul ne peut résorber à court terme, l’idée de fusion symbolique n’est vraiment plus liée aux événements circonstanciés de la Révolution Culturelle mais semble plutôt assujettie aux gigan-tesques rouages d’une Révolution Numérique endoctrinée par l’obligation à la vente et aux bénéfices.
Analysant les rapports entre l’art et la société à des fins de constat d’un clivage authentique, Hugues Dufourt a proposé froide-ment en 1984 les termes d’« autopsie de l’avant-garde » ; alors que, quelque temps auparavant, Jacques Derrida choisissait de faire voler en éclats le discours philosophique et l’enseigne esthétique en lais-sant retentir unGlasphénoménologique inouï. Au lendemain de l’abdication, et au cœur d’un monde bruiteux qui insiste pour ne pas se taire, il nous fallait rendre compte des tenants et des aboutissants d’une lutte courageuse, fatigante, saisie brutalement en son temps moderne mais à présent déphasée, déconsidérée, blasée, et appa-remment en cours d’écœurement, d’effacement et d’oubli.
Ainsi, au cœur du vrillement sans fin qui taraude inexorablement l’histoire, les méga-cycles et les micro-variations se succèdent avec plus ou moins de bonheur et de sagacité. Post-hégélien, René Guénon a diagnostiqué après-guerre les symptômes viciés d’une Crise du monde moderneen montrant entre autres que la société vivait bel et bien le temps de son « âge sombre » (leKali-Yuga) en tant que quatrième phase du gigantesque cycle duManvantara. Depuis des milliers d’années, issue d’une doctrine hindoue, cette étape, qui ne finit pas de dérouler le ruban existentiel, induit mono-directionnellement un courant d’obscurcissement graduel de la spi-ritualité primordiale. De plus, en amont de notre réflexion, notons que ce courant négativement descendant est semblable à celui qui accompagne la chute de tension sévère décelée après le test du nir-vana des effets de l’extasy.
Il convient alors de travailler sur le statut original du chaos social en accordant aux contingences politiques de véritables signes exté-rieurs de richesse, jouant sur le reflet fidèle des mentalités en corré-lation avec les manifestations matérialistes du désordre moderne. À
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la suite de Guénon pensant que les brusques ruptures n’impliquent jamais une discontinuité absolue – notamment grâce à l’enchaînement causal qui relie les cycles entre eux -, Régis Debray a pris à partie l’existence de la dichotomie résidant entre le réac-tionnaire de progrès et le rétrograde d’académie. Ainsi, pour le phi-losophe français, l’art, à l’instar de la raison et de l’humanité, n’a avancé qu’en reculant en direction des ressorts de son progrès, déjà présent à un stade antérieur. De ce fait, ce renouvellement par recul ou retour, par entre-jeu mémoriel, a la possibilité d’entretenir selon lui « la différence entre la réaction vivante et la régression mortifè-re ».
En tant que courant sensible et revendicateur, l’art se présente en prophète, témoin, conteur et rapporteur de l’histoire de l’humanité. Martin Heidegger écrivait que l’art est Histoire (avec une majuscu-le) « en ce sens essentiel qu’il fonde l’Histoire ». La musique contemporaine écoutée par les amateurs, analysée par les spécia-listes, et la musique populaire entendue ou subie par tout un chacun délivrent de concert une tresse de messages criants, si l’on prend la peine de s’arrêter sur la caractérologie des faits saillants, innom-brables mais précis plutôt que sur une base idéologique cristallisée ici ou là, le plus souvent par de superbes voyeurs non spécialisés dans l’écoute, ou par des non musiciens (Baudrillard, Bourdieu, Dagognet, Douglas, Gagnebin, Guénon, Kristeva, Kundera, Lefebvre, Morin, Serres, Thévoz, Touraine…). Face à l’immédiateté de l’histoire dont l’émaillure ne cesse de se complexifier grâce aux vertus des Sciences et Technologies, et dont le cours sinueux file paradoxalement à une allure ahurissante, il nous fallait analyser l’effet à partir de la cause. Mais nous nous devions de tenter de cer-ner également le syndrome malin de la crise musicale, en tant que facteur passager dans la sphère de modernité, et en tant que mani-festation de gravité particulière du phénomène sonore alogique qu’est le bruit (de sa conception, de sa définition, de son utilisation, de sa négation et de sa réception).
La maladie du XXe siècle, au sens étymologique de déséquilibre et de mauvais état (male habitus), implique en fait un rapport sans
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précédant à la politique, à la société, à la culture, à l’image et au son. « Notre époque est tout sauf saine », prophétise le compositeur Klaus Huber, « les œuvres de l’art, et pas même celle de la musique, ne peuvent la guérir ». Avant une synthèse qui restera à réaliser à l’aube du troisième millénaire, nous avons voulu nous occuper du strict département sonore (hélas le plus oublié des commentateurs) en procédant à quelques arrêts sur des faits probants. À des fins de tolérance fatale et de définition convenue — à l’image du concept des « musiques d’aujourd’hui » cher au Ministère de la Culture et de la Communication -, nous avons jalonné le terrain des usages popu-laires et des pratiques savantes en marquant les points d’ancrage qui ont présidé à l’avènement du bruit comme confidence du siècle, dus-sions-nous pour ce faire analyser quelques domaines dans l’ordre des évidences et des lieux communs. C’est pourquoi, argumentée par des exemples pertinents extraits des faits et gestes les plus mémo-rables du XXe siècle, notre étude ne propose pour l’heure que des « topiques » pour une introduction à l’histoire sociale du « son sale », et non des remèdes pour la convalescence tant espérée de la société du XXIe siècle.
Comme le temps de la mémoire se sent porteur d’espérance et de vivacité, les actions menées à bras-le-corps par les artistes engagés ou opérées sans conscience apriorique de la crise ambiante par les avant-gardistes sincères stigmatisent positivement la face moderne de notre siècle mouvementé : agression, altération, anarchie, artifi-ce, bruit, cri, dégoût, dénaturation, impureté, laideur, merde, para-site, pollution, révolution, souffrance, souillure, violence de l’art contemporain montrent les fiers signaux d’un dynamisme belli-queux, garants d’un désir d’existence, d’une présence ferme, d’une opposition saine et d’une vitalité tenue pour optimiste. Ainsi, comme il est possible de relater symboliquement l’exploration d’un nouveau pan de l’histoire par le rôle moderne et vindicatif de la vitesse – disons des premiers sursauts bruiteux du moteur à explosion à la fascination pour les images vertigineuses des clips des années 1990 qui défilent au rythme d’un plan par seconde -, il nous est loisible d’appréhender le temps de la salissure sonore qui nous envahit quo-
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tidiennement comme une donnée non négligeable de l’irréversibilité technologique contemporaine. Découlant des avatars du progrès, l’accélération comme le bruit sont de véritables « énergols » en puis-sance. À la fois toniques et spontanés, ces corps tensio-actifs jalon-nent tous deux un ample itinéraire de dégradation circonstancielle. De même, à l’instar de l’acerbité du trait de l’artiste peintre, la pro-position ou l’émission du bruit renvoie toujours à une force volon-taire ou à un stimulus sourcier directionnel. Révélé comme signe d’énergie active, il donne à écouter la trace de sa pulsion et à aus-culter le souffle vital de sa dépense. Tout en offrant le plus souvent les fruits d’un tempérament socio-culturel singulièrement abîmé, le cheminement esthétique du bruit louvoie bon gré mal gré entre la déviation, le mensonge, la substitution, l’ombre, la dérivation, le double, l’émancipation, l’esquive, la suppression, l’insécurité, l’infection, le malaise, l’interdiction, la fuite, l’abjection… et puis la mort.
Par ailleurs, si à partir de 1750, une nouvelle sensibilité a pous-sé l’élite affolée par les émanations sociales de la ville malade à cher-cher les vertus de la pureté montagnarde, la parasitose sonore touche de nouveau – mais deux cents ans plus tard – le mode de vie bourgeois jusque dans les moindres recoins de l’intimité domestique et culturelle. Ainsi, l’oreille ne procède pas du système réflexogène du mouvement de paupières pour atténuer ce que l’être ne désire pas entendre. Miroir d’un moi agressif et souillon, le bruit, qui en bon parasite princier s’installe partout, ne cesse de révéler les secrets sourds des troubles de l’individu, de la cacophonie des hommes et de leurdysharmonia mundi. Car si l’écologie, sous la forme de cam-pagnes d’assainissement et de désodorisation, a finalement conduit au quasi-silence olfactif (presque réussi) de notre quotidienneté urbaine, les stratégies d’insonorisation ou de purification du son ont demandé bizarrement beaucoup plus de temps aux décideurs répu-blicains de la société du second après-Guerre. De ce fait, le long feu de la parasitologie se répand encore aujourd’hui et se propage com-plémentairement (et métaphoriquement) dans les divers milieux économique, social, identitaire, territorial, industriel, urbanistique,
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politique ou artistique de la planète. « La réalité urbaine, aujour-d’hui, apparaît plutôt comme un chaos et un désordre – qui recèlent un ordre à découvrir – que comme objet » s’est ingénié à démontrer Henri Lefebvre, en véritable pionnier, dès la fin des années 1960.
De même, isolée de son contexte social, l’étude des méthodes et des principes du système nerveux ne donnera selon Henri Laborit qu’un « enfant sauvage » au sein d’une matrice biologico-politique qui ne demandera qu’à se révéler au travers de sa souche environ-nementale. Car la qualité de l’information liant l’énergie à l’instant temporel et à l’évolution historique – tant au niveau du système nerveux (rapport anatomo-physiologique) qu’à celui de l’espace affectif (bases neuro-physiologiques, biochimiques, métaboliques) – implique autant les ressources complexes du néocortex que la simple idée de justice. En outre, elle concerne autant les fruits de l’imaginatio(au sens premier d’hallucination) que les rouages de l’entendement de la prétendue liberté.
Cernant le concept del’Agressivité détournée, Henri Laborit a ainsi montré que les notions de conscience, de justice sociale, de vio-lence (dans ce domaine nous nous permettons d’ajouter bien enten-du celle de bruit), de vieillissement et de mort pouvaient être envi-sagées à la lumière conjuguée de la neuro-physio-biologie moderne et de l’urbanisation progressive. Réaliste, le biologiste du comporte-ment social a prédit que tant que chacun de nous restera enfermé dans ses problèmes environnementaux immédiats, il y a peu d’espoir pour que le jour azuré inaugurant une nouvelle ère pour l’humanité arrive de sitôt. « Quelle que soit la solution vers laquelle le détermi-nisme cosmique qui guide sa destinée engagera l’Homme, l’agressivité telle que nous la connaissons, uniquement orientée vers les autres, devra disparaître, pour s’orienter vers la conquête d’un nouveau monde, celui que notre œil distingue en regardant les étoiles et celui, plus incompréhensible encore, qui vit en nous » (H. Laborit, 1970 b). Paraissant monocorde, la route de la prospec-tive joue la boucle de l’éternel re-commencement, cherchant, par des chemins concurrents mais convergents, l’accès à une paix intérieure aux conflits, la seule que distinguaient déjà Homère, Eschyle, Platon
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et Aristote. À l’évidence, au beau milieu de ce théâtre de la crise, notre fin de siècle se voue à l’indifférence des conflits bourdonneurs comme à l’ignorance feinte du malheur d’autrui. À l’instar des vidéographies glauques du journal télévisé quotidien qui visionne des images irréelles car transparentes et non palpables, l’omniprésence du bruit – amplifié ou non -, des sons tonitruants et bellicistes, des musiques dissonantes et acides doit lourdement endosser les voix de témoins anonymes désirant crier la discordance des temps. Alors que l’esprit de contumace rôde (le Rap Song banlieusard, la Noisy Pop ou la Pogo Dance – parfois néo-nazie – comme l’œuvre de Luigi Nono ou la pensée d’Helmuth Lachenmann) et que l’opiniâtreté clandestine nous convoque devant l’injustice et l’exclusion sociale européenne, la désintégration de l’Union Soviétique, le conflit des Balkans, le génocide rwandais, la lutte civile algérienne, l’atmosphère de « gué-rilla » au niveau de la violence semée notamment dans les moyens de transport urbains…, la totalité du monde fait noblement la sour-de oreille et zappe avec bonne conscience vers des univers qui n’existent pas ou plus. Pour compléter le tableau panoramique, en dehors de réalisations pourtant authentiques, la croyance commune sert encore la musique comme adoucisseur de mœurs, même si inconnus du grand public, des compositeurs allument par-devers eux de monstrueux feux de détresse en poussant, directement ou non, de véritables cris d’alarme.
Si pour Hegel, l’artiste comme le héros ne sait pas ce qu’il fait, pour d’autres, la conscience de démonstration licite reste d’une évi-dence perfective. Certains créateurs revendiquent ainsi haut et fort le droit à la différence, à l’explication, à la dénonciation, à la révol-te, à la résistance et à la douleur non dissimulée. S’attaquant viri-lement aux vices de la société allemande d’après-Guerre, l’artiste chorégraphe Valeska Gert a publié dans les pages deDer Querschnitt(n° 5, 1926) un véritable credo dans lequel elle a démontré que son éthique comportementale prônant la vérité en toutes circonstances n’a pas été reconnue par l’esprit bourgeois, attaché avant tout à la pureté honnête, à la bonne conduite et à la morale saine. Elle s’explique ainsi sans détours : « J’ai manifesté
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dans mes chorégraphies tous les phénomènes et les tumeurs de notre époque qui peuvent s’exprimer par le corps. J’ai comprimé et mis en scène dans un temps limité, les prostituées, les entremetteuses […], j’ai comprimé la naissance, l’amour, la mort et l’humiliation ».
Au hasard de la mémoire et en dehors de l’univers cinématogra-phique surabondant, relisez et analysez ces exemples concrets: New York Officine(1929-1930) de Federico Garcia Lorca,Baby Yar (1933) du poète russe Eugène Evtoychenko,Prémonition de la Guerre Civile(1936) du surréaliste Salvador Dali,Merde d’artiste (1961) composition d’arte poverade Piero Manzoni,La Guerra (1961) du poète espagnol Jose Agustin Goytisolo,Mourir pour le Vietnam(1965) du peintre Rafols Casamada,Pentagon Exorcism (1967) d’Allen Ginsberg,Death of a Hippie(1967) du sculpteur Paul Thek, la scène décadente ornementée par Duane Hanson inti-tuléeRace Riot(1969-1971),Odio(1971 – « Haine ») du photo-graphe Gilberto Zorio, la sculpture baptiséeEtat de siège(1971) de Valerino Trubbiani,Cri d’espoir(1980) du sculpteur Aios Jercic, Camp(1982) du plasticien Sigmar Polke, sans oublier les spectacles chorégraphiques avant-gardistes misant volontiers sur le potentiel multi-médiatique (Window– 1969 – de Geoff Moore,Triumph of Death– 1971-1972 – de Flemming Flindt…), ou ceux voulant éclairer quelques points obscurs de l’histoire (L’Impur– 1993 – de Karine Saporta…). Chorégraphié durant le temps le plus fort du conflit bosniaque, ce dernier ballet s’est par exemple tourné vers le symbole inacceptable des camps de concentration de la deuxième Guerre mondiale. Mentionnons pour finir les installations des vidéo-artistes Paul Garrin et Antonio Muntadas (présentes à la 3e bienna-le d’art contemporain de Lyon en janvier 1996) qui utilisent les images, les téléviseurs ou les ordinateurs pour avertir sans scrupule le public des dangers de la vidéo et de l’informatique, et pour le pré-venir des menaces qu’ils exercent sur notre société.
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« […] songez un peu songez à tout « à tout ce que l’on fait pour vous : « la tranquillité politique « l’économie économique
« l’utilisation des déchets « des ordures et de la boue « l’organisation du sommeil « l’agrandissement du soleil « le renforcement de la nuit « la protection de votre ciel « planétaire et spirituel « l’administration de vos bouches « la purification des lits […] »
Jean Tardieu,Lot de Vichy, 1943.
Dans ce même sillage, parmi tant d’opus, écoutez par exemple la Septième Symphonie(1941) de Dimitri Chostakovitch (1906-1975) voulant célébrer musicalement la résistance de Leningrad contre l’invasion hitlérienne, leThrène à la mémoire des victimes d’Hiroshima(1959-1961) ou leDies Irae(1967), oratorio à la mémoire des victimes d’Auschwitz, toutes deux du Polonais Krzysztof Penderecki (né en 1933),Ricorda cosa ti hanno fatto in Auschwitz(1965) ouA floresta è jovem e cheja de vida(1966) de Luigi Nono (1924-1990) – cette dernière œuvre étant en strict rap-port avec les événements de la Guerre du Vietnam,…inwendig wol-ler Figur…(1970-1971) oratorio de Klaus Huber (né en 1924) vou-lant chanter le caractère apocalyptique du bombardement de Hiroshima, laPlainte pour les victimes de la violence(1971) de Cristobal Halffter (né en 1930), conçue sous le régime de Franco…
Plus proches de nous, découvrez lesOnze inventionspour quatuor à cordes (1988) de Philippe Fénelon (né en 1952) pour lesquelles l’effet de la destruction du Mur de Berlin a suscité symboliquement l’éclatement macrologique de la forme musicale. La même année, Jean-Louis Petit compose laPetite pantomime sur Tchernobyl, page pour piano dédiée aux dépouilles de la tragédie nucléaire soviétique (dont la puissance radioactive s’élève à quarante fois celle de la bombe de Hiroshima !). De même,Fissions d’Echos (1986) pour guitare électrique de François Bousch est écrit en direction de ceux qui, malgré eux, ont été « sujets à des radiations
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non contrôlées, et plus particulièrement aux nombreuses victimes de l’accident survenu à Tchernobyl en 1986 ». L’année suivante, le groupeUB 40dont la musique est diffusée par la firme soviétique Melodia, tient à reverser une partie de son cachet aux victimes de la catastrophe.
Citons aussiHalabja(1990 – pour cordes et percussions) com-posé pour la mémoire des victimes Kurdes ou laSymphonie n° 2 sous-titréeSarajevo(1994 – pour mezzo-soprano et orchestre) de Philippe Chamouard. Au même titre, évoquons leLamentumde James Wood extrait desIncantamenta(1991) ainsi que laSecond Symphony(1991) d’Aaron Jay Kernis (né en 1960) écrits en répon-se à l’horrible massacre d’innocents survenu durant la première guerre électronique, la« Gulf War».
Portons également quelques regards sur leRequiem pour les vic-times de la Mafia(1993) de l’Italien Marco Tutino, ou sur Hiroshima Requiem(1989) du Japonais Toshio Hosokawa (né en 1955). Ne passons pas non plus à côté d’autres cris d’impuissance qui courent au travers de… U Vremenu rata…(titre serbo-croate signifiant « … en temps de guerre… ») pour percussion solo (1993-1994) de Gérard Zinsstag. L’œuvre se révolte contre le drame guerrier yougoslave. Écoutons aussi laSymphonie Déchirée(1994-1997) de Luc Ferrari écrite avec l’encre de « la colère devant la bar-barie ». Songeons aussi à l’opéra du Finlandais Aulis Sallinen, fondé sur un livret d’Irène Dische et du philosophe Magnus Enzenberger et intituléThe Palace(1995). Polysémique, cette dernière œuvre satirique et théâtralisée tient ouvertement à dénoncer toutes les formes de la dictature humaine.
Bouclons la boucle avecIn a low voice(1996) de Pierre-Alain Jaffrennou d’après des textes de poétesses libanaises (Nadia Tuéni, Vénus Khoury-Ghata, Andrée Chedid). Pensé avec les dimensions des fresques colorées de Luigi Nono, écrit pour soprano, clari-nettes, violoncelle, claviers, chœur d’enfants enregistré et projec-tion vidéographique (images d’actualités numérisées puis traitées par ordinateur), le spectacle de Jaffrennou veut, « d’une guerre à
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