L albanais, une langue en mouvement
266 pages
Français

L'albanais, une langue en mouvement , livre ebook

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266 pages
Français

Description

Le chaos politique et économique de l'Albanie postrévolutionnaire a agi comme un révélateur d'inégalités sociales. Les anciens principes qui structuraient l'État ayant été mis à bas, les références comportementales ont commencé à faire défaut, créant une situation d'instabilité à tous les niveaux, en particulier sur le plan de l'usage linguistique. Cet essai s'attache donc à mettre en lumière les modalités du changement phonético-phonologique appréhendé dans sa dimension sociolinguistique.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2012
Nombre de lectures 21
EAN13 9782296489196
Langue Français
Poids de l'ouvrage 5 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1200€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait








L’albanais, une langue en mouvement

















Lianda HAXHIAJ






L’albanais une langue en mouvement


Dynamique de la variation sociolinguistique






Préface de Jean-François P. Bonnot, professeur émérite










































© L'Harmattan, 2012
5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-97010-6
EAN : 9782296970106






A ma fille Eve-Marie
































Préface
Dans les années soixante, il m’arrivait d’écouter les ondes courtes ; on
captait sans trop de difficulté les programmes en français de l’exotique
Radio Tirana, qui diffusait des émissions de propagande vantant les
triomphes du régime d’Enver Hoxha et dénonçant les « turpitudes » des
démocraties occidentales. Les voix, toujours féminines, étaient
désespérément monocordes, le rythme mesuré, le ton austère, et le propos
tellement caricatural que même l’adolescent que j’étais, fort peu attiré par
la politique, en percevait le côté absurde et cocasse. Toutefois, dans le
même temps, il y avait là une invitation à un voyage immobile, car ces
paroles venues de nulle part – on ne savait rien de ce pays, sinon qu’il
était à peu près impossible d’y pénétrer comme d’en sortir – avaient un
bien curieux pouvoir d’attraction. L’Albanie était, d’une certaine façon,
le pays où l’on n’arrive jamais, bien plus impénétrable que l’URSS ou
même la Chine, tout en étant très proche – avec mes parents, j’allais
quelquefois en vacances sur la côte adriatique italienne. Et, de fait, alors
que l’Europe entrait dans la modernité, tandis que nous mangions des
glaces et des « bomboloni » à la plage, de l’autre côté de la mer l’Albanie
était soumise à une dictature particulièrement dure.
Les habitus et les attitudes sociales ont été très profondément et
durablement perturbés par une idéologie qui a colonisé les esprits durant
près d’un demi-siècle et on ne peut comprendre la situation actuelle de ce
petit pays si l’on se contente de mettre en vedette les méfaits d’un petit
1groupe de dirigeants staliniens . Afin de donner une idée du
conditionnement mental auquel était soumise la population, je reproduis
quelques extraits d’un discours-fleuve d’Enver Hoxha, adressé en 1969
aux représentants des Albanais de l’étranger, autrement dit des émigrés,
partis en grand nombre, d’abord en Asie Mineure, notamment à
eConstantinople et à Smyrne, puis à partir du début du XX siècle, aux
États-Unis. Sous le régime communiste, toute émigration était interdite,
et il était même extrêmement difficile de quitter son village, en raison de

1 Fuga, Artan, (1998) L'Albanie entre la pensée totalitaire et la raison fragmentaire,
Paris, L’Harmattan.

9 2la politique de maintien des populations dans les zones rurales . Bien sûr,
rien de tout cela n’apparaît dans ce texte :
Tout-puissant et maître chez lui, notre peuple, au cours de ces 25 années a
accompli des prodiges. Il a construit des centaines de fabriques et d'usines, il a
aménagé des plaines et défriché des terres nouvelles ; il a fait de grands progrès
dans le développement de l'enseignement et de la culture, etc. Le pouvoir
populaire a ouvert des écoles partout, dans tous les villages. […] Si notre
peuple a pu réaliser ces progrès, c'est uniquement parce qu'aujourd'hui il est
libre, il n'est plus commandé par les autres, mais il commande lui-même. Voilà
le fond du problème. Nous, à la direction, ne sommes pas, contrairement aux
dires de certains journaux d'Occident, maintenus à nos postes par la police, la
sûreté ou l'armée, mais en vertu du travail que nous accomplissons, et c'est le
peuple qui en décide. Si le peuple n'avait pas voulu de nous, il nous aurait
critiqués, une fois, deux fois, trois fois, et puis, voyant que nous ne nous
corrigions pas, nous aurait dit : « Allez ailleurs, à la place qui vous revient, car
votre place n'est pas ici, d'autres travaillent mieux que vous pour le Parti et
pour le peuple ». En pareil cas, toute personne honnête et consciencieuse se
doit d'aller travailler là où le peuple lui apprendra à mieux le faire. Cette
situation, où le peuple critique librement et apprécie correctement le travail des
cadres, est ce que le Parti a fait chez nous de plus grand. En ce sens, nous
3avons une avance de cent ans sur tous les pays où vous vivez […] .
Présenté à la fois comme allant de soi, raisonnable et progressiste, le
discours totalitaire n’offre aucune échappatoire. Citant Janine Altounian,
Fusco relève que « ‘les langues totalitaires […] en vidant les mots de leur
faculté de représentation, bouchent l’écart métaphorique qui met en
mouvement la pensée.’ Le premier but que recherche toute langue
totalitaire est d’acquérir une adhésion totale à l’idéologie qu’elle défend,
en éliminant toute possibilité de penser. C’est ce qu’illustre de façon
saisissante George Orwell, dans son œuvre de fiction en 1984, où la
création du Novlangue, une langue nouvelle dans laquelle il ne s’agit pas
d’inventer des mots nouveaux, mais d’en détruire, a pour but de ‘rendre
impossible tout autre mode de pensée que celui imposé par le parti et

2 De Waal, Clarissa, (2005) Albania Today. A Portrait of Post-Communist Turbulence,
London, New York, I. B. Tauris, op. cit. p. 25.
3 Hoxha, Enver, (1969) « Le temps est à jamais révolu, qui obligeait l’Albanais à
prendre la route de l’exil », Entretien avec les représentants des colonies albanaises à
l'étranger au cours de la réception donnée au siège du Comité central du Parti du Travail
d'Albanie, 9 décembre 1969, Édition électronique réalisée par Vincent Gouysse à partir
de l’ouvrage publié en 1980 aux Éditions 8 Nëntori, Tirana. [En ligne :
www.marxisme.fr], op. cit. p. 120.

10 4conforme à sa visée.’ La destruction des mots mutile la pensée . » Cette
fusion de l’individu dans le « sujet collectif » et dans une « pensée de
masse », en même temps qu’elle déresponsabilise l’individu, l’autorise à
adhérer sans culpabilité à des théories unanimement jugées après coup
inacceptables, mais considérées sur le moment comme tout à fait
recevables par une large majorité de la population, y compris parmi les
intellectuels, parfois même par ceux qui figureront parmi les victimes,
qui semblent dans l’incapacité de se livrer à une évaluation prospective
5critique et donc d’anticiper les conséquences néfastes . Ce type de
discours d’autorité emprunte beaucoup, en le pervertissant, au discours
6religieux , surtout lorsqu’il est proféré, comme c’est le cas ici, par un
chef « incontesté ». Hoxha n’hésite d’ailleurs pas à mettre en parallèle
7« ‘Dieu’ » et « le peuple avec à sa tête son Parti du Travail » :
Selon une légende de notre peuple, ‘Dieu’, lorsqu'il créa le monde, donna à
l'Albanie, notre petit pays, beaucoup plus de montagnes et de rochers que de
plaines, mais lorsque le peuple avec à sa tête son Parti du Travail a pris le
8pouvoir, il a découvert dans leur sein de très

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