L interlecte réunionnais
287 pages
Français

L'interlecte réunionnais , livre ebook

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287 pages
Français

Description

Depuis les années 70, la situation sociolinguistique réunionnaise est présentée en référant au concept de diglossie. Aujourd'hui, il devient nécessaire de revenir sur cette approche pour deux raisons essentielles. La première est que ces deux langues n'assurent plus les fonctions communicatives qui leur étaient strictement imparties par le modèle fergusonien canonique. Et deuxièmement, les deux "codes", autrefois dénommés acrolecte et basilecte, gomment leur frontière, dans un processus qui laisse aux usagers l'impression dominante d'un "mélange" aux noms incertains et aux contours peu clairs.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2010
Nombre de lectures 667
EAN13 9782296446618
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1100€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’INTERLECTE RÉUNIONNAIS Approche sociolinguistique des pratiques et des représentations
Espaces DiscursifsCollection dirigée par Thierry Bulot La collectionEspaces discursifsrend compte de la participation des discours (identitaires, épilinguistiques, professionnels…) à l’élaboration/représentation d’espaces – qu’ils soient sociaux, géographiques, symboliques, territorialisés, communautaires,… – où les pratiques langagières peuvent être révélatrices de modifications sociales. Espace de discussion, lacollection est ouverte à la diversité des terrains, des approches et des méthodologies, et concerne – au-delà du seul espace francophone – autant les langues régionales que les vernaculaires urbains, les langues minorées que celles engagées dans un processus de reconnaissance ; elle vaut également pour les diverses variétés d’une même langue quand chacune d’elles donne lieu à un discours identitaire ; elle s’intéresse plus largement encore aux faits relevant de l’évaluation sociale de la diversité linguistique. Derniers ouvrages parus Jeanne ROBINEAU,Discrimination(s), genre(s) et urbanité. La communauté gaie à Rennes, 2010. Zsuzsanna FAGYAL,Accents de banlieue. Aspects prosodiques du français populaire en contact avec les langues de l'immigration, 2010.
Philippe BLANCHET et Daniel Coste (Dir.),Regards critiques sur la notions d' »interculturalité ». Pour une didactique de la pluralité linguistique, 2010.
Montserrat Benítez FERNANDEZ, Jan Jaap de RUITER, TAMER,Développement du plurilinguisme. Le cas de d’Agadir, 2010.
Youssef la ville
Françoise DUFOUR,De l’idéologie coloniale à celle du développement, 2010. Bernhard PÖLL et Elmar SCHAFROTH,Normes et hybridation linguistiques en francophonie, 2009. Eric FORLOT,L’anglais et le plurilinguisme. Pour une didactique des contacts et des passerelles linguistiques, 2009.
Logambal SOUPRAYEN-CAVERY
L’INTERLECTE RÉUNIONNAIS Approche sociolinguistique des pratiques et des représentationsL’Harmattan
© L'HARMATTAN, 2010 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Parishttp://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-12913-9 EAN : 9782296129139
INTRODUCTION GENERALE L’île de La Réunion, située dans l’Ouest de l’océan Indien, par 55° E. de longitude et 21° S. de latitude, fait partie de l’archipel des Mascareignes et s’apparente à ce qu’on appelle communément « les îles créoles ». Mais que peut bien signifier ce qualificatif « créole »? Il est important d’y réfléchir lorsqu’on entreprend un travail sur la description d’une situation sociolinguistique dans laquelle, le mot « créole » semble être à caractère « polysémique » du fait qu’il désigne à la fois une aire linguistique, des individus, une langue… Procédons à un bref retour sur l’origine et les significations de ce mot afin d’apporter une réponse à cette question. 0.1. / QU’EST-CE QU’UN « CREOLE » ?
Chaudenson (2003 : 37) écrit que l’usage du mot « créole » « […] un peu abusif (…), a été sans doute accentué encore, ces dernières années, par la vogue déferlante du métissage et de la diversité que je viens de signaler, mais il a, les exemples cités le montrent, des origines plus anciennes et, en tous cas, le problème de la définition mérite examen ». L’origine du mot « créole » a effectivement longtemps été débattue et est encore parfois l’objet de controverses. En 2002, des linguistes tels que Chaudenson, Valdman, Arends ou Mufwene et bien d’autres encore ont expliqué leur théorie de la créolisation dans la revue Etudes Créoles intituléeLa créolisation : à chacun sa vérité. Mais nous nous réfèrerons principalement aux travaux du premier de la liste dans la mesure où il s’est consacré d’une part à l’étude des « créoles français » mais aussi à celle du « créole » de La Réunion.
6 Introduction généraleAinsi, sans reprendre le détail étymologique de ce terme car il peut faire l’objet d’une étude plus spécifique, nous devons souligner que le mot « créole » a désigné d’abord des individus et plus tardivement des langues. Initialement, le terme est emprunté au portugais crioulo/criolo par l’intermédiaire de l’espagnol criollo, les deux dérivés du participe passé criado du verbe criar (latin creare) signifiant selon Valdman (1978 : 10), « élevé dans le foyer du maître, domestique ». En 1690, le terme désigne dans le dictionnaire de Furetière, le nom que donnent les Espagnols à leurs enfants nés dans les colonies. De ce fait, tous les Blancs nés dans les colonies de parents européens seront nommés « Créoles ». Puis, cette catégorisation sociologique est appliquée aux « Métis » (nés de femmes indo portugaises) et aux « Mulâtres » (nés de femmes noires) puisqu’en raison du petit nombre de femmes européennes, les colons ont dû s’unir aux femmes de la population servile. Le terme est employé également comme adjectif signifiant tout ce qui est né et produit dans les colonies esclavagistes : il y a donc des « Blancs créoles », des « Noirs créoles », mais aussi des « bœufs créoles », du « café créole », « des maisons créoles », une « cuisine créole »… Ensuite, l’adjectif désignant toute réalité propre aux colonies esclavagistes s’est accompagné du mot « langue » pour évoquer les « langues créoles » qui sont « […] des systèmes autonomes qui se constituent au moment où les sociétés coloniales atteignent le stade économique et social que caractérise la mise en place des agro-industries coloniales. Les masses d’esclaves nouveaux ne sont plus désormais en contact qu’avec d’autres esclaves dont ils vont apprendre des variétés de français, elles-mêmes approximatives, sans confrontation réelle avec le modèle linguistique central. Le français, déjà koinèisé dans la première phase de ces sociétés, va ainsi se transformer sous l’effet des stratégies d’appropriation, pour aboutir à l’émergence de variétés de plus
Introduction générale7 en plus autonomes qui vont, à leur tour, servir de cibles linguistiques aux nouveaux arrivants » (Chaudenson, 2002 : 37). Alors que le terme « créole » désigne aujourd’hui davantage des langues que des individus, le dictionnaire français d’usage courant, lePetit Robert Nouveau  (1994) donne à ce mot le premier sens de « personne de race blanche, née dans les colonies intertropicales, notamment les Antilles », en deuxième lieu « des pays tropicaux à colonisation blanche et esclavage noir » et en troisième position seulement « un système linguistique mixte provenant du contact du français, de l’espagnol, du portugais, de l’anglais, du néerlandais avec des langues indigènes ou importées (Antilles) et devenu langue maternelle d’une communauté ». Revenons sur l’étymologie. Dans sonDictionnaire kréol rénioné/françaisCréole », Alain Armand (1987) définit le « comme un « Réunionnais de race blanche ou métis ». A l’Ile Maurice, en revanche, le terme « créole » ne désigne surtout pas des personnes de « race blanche » communément appelées « Franco-Mauriciens », ni les Mauriciens d’origine indienne ou chinoise. « (...), est défini comme créole à Maurice, celui qui ne peut pas se prévaloir d’un rapport fort à une origine extra-insulaire, à une langue originelle, à une civilisation multiséculaire pour ne pas dire millénaire. En ce sens, et dans ce cas précis, le mot « créole », dans sa dimension anthropologique, a une acception, à l’intérieur des relations inter-communautaires qui organisent l’appréhension de l’espace social, économique, imaginaire et symbolique mauricien, plus péjorative que méliorative » (Marimoutou, 2001 : 164).
8 Introduction généraleAinsi, la désignation des individus « créoles » apparaît diverse d’une île à l’autre. Mais la pratique d’une langue « créole » par ces populations semble instituer entre elles des rapports d’homologie, ainsi que D’Ans (1997 : 30) le fait remarquer. Pour lui, un « Créole » est un « […] usager natif d’une langue créole ». A La Réunion, les Réunionnais sont pour la majorité natifs d’une langue créole, mais le français coexiste dans l’espace. Sur ce point, Prudent, Tupin et Wharton (2005 : 4) expliquent que la langue créole de La Réunion « […] présente, en synchronie, une situation de contact particulièrement complexe avec le français, à la fois langue-mère pour sa phonétique, son lexique et sa syntaxe, langue source pour sa rhétorique et ses moules néologiques, langue officielle de la République. ». De cette citation surgit une interrogation : si la langue « créole » est génétiquement proche du français (qui est « langue-mère » et « langue source ») et que les deux langues cohabitent sur le terrain réunionnais, les Réunionnais seraient-ils natifs à la fois d’une langue « créole » et du français ? Si les deux langues sont apparentées, sur quels critères la langue créole se distingue-t-elle du français ? D’Ans (1997 : 31) apporte un éclairage sur ce point en écrivant que « La qualification de "créole" a donc petit à petit perdu sa signification géo-natale pour ne plus désigner qu’une identité générale, chapeautant aujourd’hui des sous-catégorisations d’origine plus récentes : békés, malbars, métros, négropolitains… et la liste n’est pas close ! ». De ce fait, le mot « créole » se révélant non seulement polysémique mais aussi hétéroclite dans la mesure où il revêt un sens spécifique dans une situation précise, nous devons étudier cette population réunionnaise selon une approche socio-historique afin de comprendre ses spécificités mais aussi celle des langues pratiquées par elle. Ainsi, nous suivons Chaudenson (1992 : 53) lorsqu’il accorde une place importante à l’étude des contextes socio-historiques dans les études créoles : « Par ailleurs, des études ultérieures consacrées à divers "systèmes culturels" (magie, littérature orale) ont achevé
Introduction générale9 de me persuader de l’absolue nécessité, pour l’étude génétique de toute forme de créolisation, d’une approche rigoureuse et minutieuse de l’histoire des sociétés concernées ». 0.2. / MULTIPLICITE DES PEUPLES, MULTIPLICITE DES LANGUES AU COURS DE L’HISTOIRE C’est dans deux ouvrages scientifiques de Chaudenson (1992, 2003) que nous puiserons la plus importante partie de nos sources concernant cette multiplicité des peuples et des langues à l’origine de La Réunion d’aujourd’hui. La Réunion fut explorée par le navigateur Portugais Pedro ème de Mascarenhas au début du 16 siècle, alors qu’il contournait l’Afrique afin d’atteindre les Indes à la recherche des épices. Elle devient une possession française en 1638 et reçoit le nom d’île Bourbon, du nom de la dynastie royale française. En 1664, l’île est placée sous le contrôle de la Compagnie des Indes qui a pour mission d’assurer sa mise en valeur et son développement. Un siècle plus tard, le gouverneur français rachète l’île à la Compagnie des Indes, qui devient une possession de la Couronne. En 1793, au cours de la Révolution française, l’île est rebaptisée et prend son nom actuel, La Réunion. La Réunion se voit octroyer, en 1946, le statut de Département français d’Outre Mer (DOM) au même titre que la Guyane, la Guadeloupe et La Martinique. Mais revenons sur les débuts du peuplement de l’île afin de comprendre la composition de sa population.
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Introduction générale
0.2.1. / Les débuts du peuplement et le processus de créolisation Les historiens ne s’accordent pas pour attribuer la découverte de l’île à l’amiral Pedro de Mascarenhas car ils prétendent qu’elle resta déserte jusqu’à ce que les premiers occupants français, contraints et forcés, y débarquent en 1646 à la suite de mutinerie. Ces douze hommes qui restèrent un peu plus de deux ans sur l’île, incitèrent d’autres à venir s’y installer. Dans la mesure où ces derniers emmenèrent des femmes malgaches libres, la population blanche est très métissée dès le début de la colonisation. Mais qu’en est-il des langues ? 73% des chefs de familles de 1665 à 1715 venaient des provinces de France : la Normandie, la Bretagne, l’île de France, Poitou, Orléans, Anjou,… « On peut penser que les premiers habitants de Bourbon, provinciaux de conditions des plus modestes ne devaient avoir du français qu’une connaissance assez lointaine ; il est à ce point de vue évident ème qu’une formation précise sur l’état des dialectes aux 17 et ème 18 siècles serait infiniment précieuse. » (Chaudenson, 1974 : 464). Il est vrai que le parler des colons, appelé « koiné d’oïl » française occupe un rôle de choix dans la genèse du créole réunionnais.
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