Putain d accent !
114 pages
Français

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Putain d'accent ! , livre ebook

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Description

La langue méridionale est-elle en passe de figurer au musée des vieilleries charmantes et vaguement ridicules ? Il est vrai qu'elle s'est muée en marqueur social : c'est la langue des gens simples, il est vrai aussi que certains de ses locuteurs la désertent, consciemment ou pas, au prix d'efforts drolatiques, pour accéder à une neutralité grosse de promesses d'ascension sociale. Spectatrice et actrice de ce petit théâtre linguistique méridional, l'auteur a cependant voulu révéler l'âpreté des guerres intestines qui agitent silencieusement ce microcosme...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2008
Nombre de lectures 178
EAN13 9782336267388
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0474€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Putain d'accent !
Comment les méridionaux vivent leur langue

Françoise Weck
Ouvrages du même auteur
L’Accent grave et l’Accent aigu , Parcours de lecture Jean Tardieu , Bertrand - Lacoste, Paris, 2000.
Petite mythologie de nos rêves immobiliers , L’Harmattan, Paris, 2006.
Faire écrire étudiants et lycéens, plaidoyer pour une écriture de création , L’Harmattan, Paris, 2006.
© L’HARMATTAN, 2008 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296053472
EAN : 9782296053472
Pour Annie Bellatorre
Sommaire
Page de titre Ouvrages du même auteur Page de Copyright Dedicace Epigraphe L’accent, ça met le pàti ! Tuer l’âne à coups de figues La vieille ne voulait jamais mourir Qui se gêne vient bossu Les tréteaux du Sud Bibliographie
« (...) l’accent, quelque accent français que ce soit, et avant tout le fort accent méridional, me paraît incompatible avec la dignité d’une parole publique. (Inadmissible, n’est-ce pas, je l’avoue.) Incompatible, a fortiori, avec la vocation d’une parole poétique : avoir entendu René Char, par exemple, lire lui-même ses aphorismes sentencieux avec un accent qui me parut à la fois comique et obscène, la trahison d’une vérité, cela n’a pas peu fait pour ruiner une admiration de jeunesse (...) »
Jacques Derrida, Le monolinguisme de l’autre, 1996.
« Henry m’avait toujours pris de haut (...). Je devais sans doute ce dédain à mon accent de Belfast un peu nasillard : fat Henry était affligé d’idées fixes sur la hiérarchie qu’imposent la naissance et l’accent. Ah, l’accent ! cette marque au fer rouge aussi difficile à effacer que le tatouage des camps nazis ! En Angleterre, il suffit d’ouvrir la bouche et vous êtes classé. »
Péma Dordjé, Tibet or not Tibet , Phébus, mai 2006
L’accent, ça met le pàti 1 !



« France éclairée », « France obscure »
Le baron Dupin traçait en 1826 une Carte figurative de l’instruction Populaire de France qui scindait en deux le territoire français selon une ligne Saint-Malo-Genève. Au nord la modernité et les citoyens instruits, au sud les campagnes obtuses et les analphabètes — dont la taille est inférieure à celles de leurs concitoyens nordique !
Cette ligne imaginaire a nourri, jusqu’à très récemment, toute l’Histoire socio-économique de notre pays. Plus largement encore, cette élaboration statistique, consensuelle, a durablement construit des représentations stigmatisantes du grand Sud, fruste et inculte, jargonnant, baragouinant et patoisant. L’exécration s’affichait alors sans vergogne et les écrits sont légions qui vilipendent les méridionaux gueulards « qui ont de l’astrakan bouclé sur le crâne et des palissades d’ébène le long des joues » 2 , tandis qu’ils ont « dans l’accent un jappement et comme des rentrées de clarinette ». Plus violent encore : « À les voir remuer, s’aborder, on sent qu’on est en présence d’une autre race : un mélange du carlin et du singe ; une facilité vide, une exagération involontaire et continue ; un manque de tact perpétuel (...). Mon impression, sur le Cours, est que ces gens-là ont besoin d’être gouvernés par autrui. Ils sont parfaitement incapables d’avoir le moindre empire sur eux-mêmes. Le sang, l’action, la colère, leur montent tout de suite à la tête. » 3 Nous sommes aujourd’hui, semble-t-il fort éloignés de ces outrances, elles subsistent cependant sous des formes plus sournoises. Nous faisons le constat quotidien que la stigmatisation du méridional gueulard et vulgaire est le fait des méridionaux eux-mêmes, qui ont intégré cet ostracisme. Beaucoup d’entre eux ont pris le relais des injonctions extérieures et font preuve d’un zèle fervent dans le combat contre ces laideurs langagières, tant il est vrai que les convertis les plus récents sont souvent les plus intégristes



Tabous et schizophrénie
Beaucoup de méridionaux vivent donc un drame secret ou inconscient autour de leur accent ou, plus subtilement, autour des méridionalismes qui parsèment, souvent à leur insu, leurs discours et les marquent du sceau infamant de la provençalité, tant il est indéniable que le parler méridional est péjoré, abandonné aux plus frustes et aux plus insultes — et les connotations savoureuses et pittoresques dont les médias, la littérature ou le cinéma assaisonnent l’évocation de l’accent ne changent rien au problème.
Sont heureusement préservés de ce déchirement intime la masse des provençaux populaires qui évoluent avec naturel, sans complexe, voire avec brio et bonheur dans cette parlure riche et fleurie. Ceux-là, les plus nombreux à la campagne et dans les petites villes, n’ont pas été contaminés par la stigmatisation rampante de ce parler marqué . Ils n’ont pas perçu l’injonction du parler neutre , promu par les médias, l’école, les institutions. Ils ignorent le rôle de marqueur social désormais affecté, secrètement, au repérage de ces stigmates linguistiques infamants. Ils transmettront naturellement leurs enfants ce « français que l’on parle avec des cordes vocales qui gardent les vibrations de la langue provençale » 4 ainsi que les méridionalismes afférents. Le problème surgira quand ces enfants s’éloigneront du cadre géographique étroit, entameront des études qui les mettront à distance du maniement spontané de la langue, les rendront aptes à l’analyse et à la comparaison. Ils saisiront vite alors la corrélation étroite entre réussite sociale et renoncement à toute trace d’occitanité fardeau honteux susceptible de freiner la promotion sociale. Commencera alors la longue marche des repentis , convertis souvent plus intraitables que les pratiquants naturels. Secrètement, obstinément, ils lutteront pied à pied avec ces résurgences permanentes d’inflexions méridionales, de tournures stigmatisées. Toute une vie n’y suffira pas car les défaillances sont toujours possibles ! Nous avons connu des étudiants qui prenaient honteusement des cours de redressement linguistique pour se présenter à l’agrégation. Nous rencontrons des théâtreux combattant frontalement cet accent qui, ils n’en doutent pas, ruinerait toute réussite professionnelle — jouer Phèdre avé l’assent ? impensable ! Nous observons quotidiennement des mères acharnées à corriger les écarts de leur progéniture en forçant leur gosier, lui-même récalcitrant, à fermer le o de rose ou celui de aube. Une enseignante nous a même narré les pratiques dans certains établissements des Quartiers-Nord de Marseille où une jeune élève parisienne était invitée à passer de classe en classe pour tenter, désespérément, de corriger l’accent calamiteux de ses petits camarades !
Nous évoquerons enfin une dernière catégorie qui semble être à l’abri de ces affres linguistiques, ce sont quelques intellectuels méridionaux, des rappeurs, quelques rares acteurs ou cinéastes, quelques notoriétés de la médecine ou des sciences qui revendiquent fort leur accent, le brandissent comme un drapeau — voire le constituent en fond de commerce. Il y a cependant dans cette sympathique revendication beaucoup d’ostentation, ce qui laisse penser que la sérénité n’est pas atteinte et le droit à l’indifférence encore moins...

Prêter l’oreille à la diversité des postures : de l’abdication culturelle à la « nique symbolique » 5
Notre entreprise — rendre compte de l’imbroglio relationnel entre les méridionaux et leurs modes de dire — est celle de tous les dangers. Le premier serait d’adopter la « linguistique spontanée » 6 de la culture hégémonique qui érige l’accent dominant en absence d’accent, par rapport auquel les accents régionaux, et au premier chef l’accent méridional, seraient une déformation pittoresque ou infamante. La seconde erreur serait de faire preuve d’une cécité optimiste et lénifiante devant la violence symbolique que constitue la stigmatisation de l’accent, qui ne doit rien à l’arbitraire culturel mais dissimule un rapport de force brutal entre la légitimité culturelle — et son versant langagier et une culture populaire et dominée, ses modes de dire et sa musique . Face à ces injonctions, brutales ou sournoises,

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