La classe au bout du voyage
105 pages
Français

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La classe au bout du voyage , livre ebook

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Français

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Description

"Ma classe est une classe d'accueil, j'y reçois tous les élèves sans distinction, avec ou sans papiers." A travers les récits croisés de ses élèves, l'auteure nous invite à partager avec émotion le parcours de jeunes migrants arrivés en France, souvent au péril de leur vie, et pour qui l'école représente l'espoir d'une nouvelle vie.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2009
Nombre de lectures 102
EAN13 9782336261195
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Du même auteur
Aux Éditions du Cherche midi
La mémoire d’Adèle, nouvelle, 2006

Aux Éditions Femmes qui écrivent avec les loups
Lisa dit, nouvelle, 2007
La classe au bout du voyage

Nadine Croguennec-Galland
@ L’Harmattan, 2009
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296089532
EAN : 9782296089532
Sommaire
Du même auteur Page de titre Page de Copyright Epigraphe PROLOGUE « Le TGV 2023 en direction de Paris va partir » PRÉ-RENTRÉE - Des élèves en papier TRIMESTRE 1 Des élèves pour de vrai TRIMESTRE 2 - Après Noël TRIMESTRE 3 - La deuxième vague ANNEXE - Présentation des dispositifs d’accueil des élèves nouveaux arrivants de l’Académie de Paris
« N’est-il pas nourri de même nourriture, Blessé des mêmes armes, sujet à mêmes Maladies, guéri par mêmes moyens, Réchauffé et refroidi par même été, Même hiver, comme un chrétien ? Si vous nous piquez, saignons-nous pas ? Si vous nous chatouillez, rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez, mourons-nous pas. »
Shakespeare, La marchand de Venise .
PROLOGUE
L’arrêt brutal du camion après des heures de route me tire d’un seul coup du sommeil. Que se passe-t-il ? Quelle heure peut-il bien être ? Ce n’est pas un contrôle de police, j’entendrais des voix. Je me recroqueville un peu plus. Je fais le mort. Le chauffeur ouvre les portes arrière et une bouffée d’air frais vient me chatouiller les narines mais je n’ose pas la respirer.
– Allez ! Sors de là, t’es arrivé.
J’essaie d’être rapide mais j’ai du mal à m’extirper de ma cachette.
– Dépêche-toi, j’ai pas envie de me faire gauler à cause de toi !
Je trébuche en sautant du camion. Après tant de jours passés à voyager plié dans un carton, j’ai perdu le sens de l’équilibre et la notion du temps.
– Tu me dois encore du fric !
– Mais non, j’ai déjà payé la somme totale avant, en Turquie.
– Fais pas d’histoire, petit !
Les yeux de l’homme me fixent, brillant sous la lune comme deux lames de couteau alors je sors ce qui me reste de dollars sans discuter. Il compte les billets.
Il enfourne l’argent dans la poche de sa veste.
– Au fait, j’ai oublié, t’es à côté de Marseille, tu longes la mer, c’est tout droit.
D’un bond agile, l’Iranien remonte dans son camion et sans se retourner, sans me dire au revoir, il démarre, me laissant là, comme un paquet, au bord de nulle part. Je le regarde disparaître dans la nuit, emportant avec lui une partie de ma vie et je me dis que rien ne sera plus comme avant. Seul au milieu d’une nuit inconnue, je me mets à pleurer, à pleurer de soulagement, de solitude et de joie.
C’est le bout du voyage, je suis arrivé en France. J’ai réussi, j’ai réussi…
Je pense aux miens qui ne connaîtront jamais mon exploit, je pense à mon ami Omar qui sera fier de moi ! Je touche la petite pierre au fond de ma poche, celle qu’il m’a donnée la veille de mon départ. Jusqu’ici, elle m’a bien protégé.
Je pense à mon pays, à ma ville, à mon ami et tout d’un coup l’angoisse me tombe dessus, une angoisse qui me glace des pieds à la tête. Que vais-je devenir ici, dans ce pays inconnu ?
J’ai de la chance, la nuit n’est pas complètement noire, la lumière de la lune éclaire un peu les environs. Je décide d’aller prudemment vers la mer.
Je viens d’un pays de montagnes et la mer m’est inconnue. C’est la deuxième fois seulement que nous nous rencontrons. La première fois, c’était à Istanbul, il y a quelques jours seulement. Je l’ai juste aperçue avant de monter dans le camion, celui qui m’a mené jusqu’ici.
La mer que je vois ici, dans la nuit, me fait un effet terrible. Elle est noire, luisante comme une grosse limace. Elle m’effraie avec sa respiration de bête.
Dans les contes qu’on me lisait quand j’étais petit, il y avait souvent un personnage qui s’asseyait face à la mer pour réfléchir. La mer était toujours bleue et le soleil brillant. Cette image exotique me faisait rêver et je me disais que, plus tard, quand je serai grand, j’irai voir la mer…
Et voilà, aujourd’hui, c’est moi le personnage qui réfléchit face à la mer. Je suis un héros afghan, mondialement connu, en villégiature sur la Côte d’Azur ! L’idée me fait sourire et en attendant la célébrité, je mords avec rage dans un morceau de pain rassis, la seule nourriture qui me reste.
J’ouvre les yeux, doucement. Il fait jour. Je suis couché sur le côté et j’ai mal partout mais je n’ose pas bouger. Je regarde et j’écoute. Il y a des galets et un bruit d’eau qui roule. Et, doucement apporté par les vagues, le souvenir d’hier me revient ; le camion, la nuit… je revois tout et je sais que je suis en France, au bord de la mer et je sais que je ne rêve pas.
Je m’assois pour contempler la mer et cette fois, je la trouve belle, aussi belle que celle des contes. La nuit a emporté la grosse limace avec elle.
Je rêve de café chaud, de pain grillé. J’ai faim, terriblement faim. Il me faut rejoindre Marseille au plus vite.
Je retire les quelques billets cachés dans ma chaussure droite. Il avait raison, l’autre, j’en avais ailleurs de l’argent ! Je compte et recompte, j’espère qu’il me reste suffisamment pour manger et prendre un billet pour Paris.
Je retourne à l’endroit où le chauffeur m’a laissé la veille. C’est en fait un espace au bord d’une route avec des bancs et des tables. Il y a même, luxe inattendu, des toilettes avec un lavabo. Je fais une toilette sommaire et je retape mes habits. Ne surtout pas avoir l’air d’un clandestin, ne surtout pas se faire repérer par la police…
La route est là, qui m’attend, le chauffeur a dit : « tout droit ! »
Il est très tôt et je ne croise que deux voitures. On tourne la tête pour me regarder. Je dois avoir l’air bizarre à aller à pied, seul, le long d’une route !
– Alors, le petit jeune homme, il est bien matinal pour un dimanche ! qu’est-ce qu’il prendra ?
L’homme est souriant. Il chante presque quand il parle. Je ne comprends pas ce qu’il dit mais je devine qu’il me demande ce que je veux. Je me lance.
– Un café et un « croasant »
– Un « croissant ! »
– Oui, un « croissant ! »
Omar, tu avais raison, c’est plus facile à manger qu’à prononcer !
Premiers mots en français, premier croissant de ma vie, je note toutes ces premières fois sur mon cahier d’écolier, le seul trésor que j’ai emporté.
Je relis en souriant les transcriptions phonétiques d’Omar accompagnées parfois de dessins, celui du « croissant » est assez proche de la réalité.
Il y a aussi, écrit tout petit dans un coin, un numéro de téléphone à Paris, celui de mon oncle Hassan.
« Le TGV 2023 en direction de Paris va partir »
Je n’en reviens pas d’être installé confortablement dans un train français.
Omar, si tu me voyais ! Je suis un prince !
J’ai même « composté » mon billet dans une machine ! C’est la jeune fille du guichet qui m’a expliqué, en anglais.
Le train est magnifique, très moderne. Les gens entrent calmement, sans se bousculer car chacun a un siège avec un numéro. Un vieil homme s’installe à côté de moi, il me fait un grand sourire.
Le regard oblique de mon voisin sur ce que j’écris me gêne, je ferme mon cahier, même s’il est peu probable qu’il puisse lire mon alphabet. Je colle mon front à la fenêtre pour regarder le paysage mais tout va trop vite et ça me donne le tournis. Je suis habitué aux vieux trains de mon pays qui vont lentement… D’ailleurs, les gens autour de moi ne regardent pas par la fenêtre, ils travaillent, ils lisent, ils mangent ou ils dorment.
«Contrôle des billets. Monsieur, s’il vous plaît votre billet ! »
Je me réveille en sursaut, mon voisin est en train de me tapoter l’épaule, une panique totale s’empare de moi. Ça y est on va m’arrêter ! Le vieux monsieur me montre le billet, il me fait signe de le donner. Ah ! Oui, le billet ! Je suis dans un train. Un train en France, pour Paris…
« Paris-Gare de Lyon, le train va entrer en gare »
J’aide le vieux monsieur à descendre sa valise du train. Je suis content parce que je comprends son « merci » et son « au revoir ».
Sur le quai, je vois les gens autour de moi qui se retrouvent, qui s’embrassent, qui rentrent chez eux.
Moi, personne ne m’attend et je ne sais pas où aller.
Je commence à avoir très faim. Il est cinq heures de l’après-midi et mon premier petit déjeuner français est très loin. Le problème c’est que je n’ai plus assez d’argent pour manger, il me reste tout juste de quoi téléphoner à

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