Le peuple enfant et l école
146 pages
Français

Le peuple enfant et l'école , livre ebook

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146 pages
Français

Description

Il y a bien une tendance native des enfants à se regrouper loin des adultes, et comme le disait Alain, à "faire peuple", et ce serait leur faire tort que de l'ignorer. Comment les adultes peuvent-ils accueillir, reprendre et instituer cette tendance native ? L'école, et un bon nombre de ses principes constitutifs (l'autorité, la différentiation, le travail scolaire, l'émulation), s'en trouvent ainsi redéfinis. C'est en suivant les thèses du philosophe-pédagogue Alain que cette analyse est menée.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2012
Nombre de lectures 34
EAN13 9782296488298
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

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Extrait

Le peuple enfant et l’école
Pédagogie : crises, mémoires, repères Collection dirigée par Loïc Chalmel, Michel Fabre, Jean Houssaye et Michel Soëtard  La collection « Pédagogie : crises, mémoires, repères » répond à un triple objectif : 1 - Elle se propose de soumettre à la réflexion théorique les problématiques et les situations de crise qui agitent le monde pédagogique. 2 - Elle vise à vivifier les mémoires historiques capables d'éclairer le pédagogue pour l'action présente. 3 - Elle entreprend de décrypter les repères philosophiques, éthiques, politiques qui portent le pédagogue en avant des réalités. Déjà parus CHALMEL Loïc,Pestalozzi : entre école populaire et éducation domestique,2012. SOETARD Michel,Penser la pédagogie. Une théorie de l’action, 2011. JACOMINO Baptiste,Alain et Freinet. Une école contre l’autre ?, 2011. BILLOUET Pierre,L'éducation scripturale. De la plume au clavier,2010. JANNER-RAIMONDI Martine,Surgissements démocratiques à l'école primaire. Analyse de conseils d'élèves, 2010. TROUVE Alain,Penser l'élémentaire. La fin du savoir élémentaire à l'école ?, 2010. BILLOUET Pierre (coord.),Figures de la magistralité. Maître, élève et culture, 2009. CHARBONNIER Sébastien,Deleuze pédagogue. La fonction transcendantale de l'apprentissage et du problème, 2009.
Hubert VINCENT Le peuple enfant et l’école
Pourquoi pas Alain ? L’HARMATTAN
© L'HARMATTAN, 2012 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Parishttp://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-96348-1 EAN : 9782296963481
Introduction
Parmi les philosophes qui pensèrent l’éducation et l’école, Alain est l’un des rares à avoir donné une place importante au souci du collectif et au collectif constitué par les enfants eux-mêmes. Et c’est à ce titre qu’il m’intéresse ici. Il le fit au travers d’une notion, qui revient à plusieurs reprises et de façon ciblée dans sesPropos sur l’éducation, ainsi que dans sa 1 Pédagogie enfantinequi est celle de «  et peuple enfant » . C’est à cette notion que je voudrais m’attacher afin d’en mesurer le sens, l’intérêt, les avantages et les inconvénients, ce vers quoi elle nous conduit aussi bien que les horizons qu’elle nous ferme.
Cette notion est solidaire de toute la doctrine d’Alain sur l’école (et par là de toute son anthropologie et sa philosophie), en sorte que, s’y attacher c’est suivre un fil susceptible de nous faire entrer dans cette doctrine et de la faire voir sous un angle un peu neuf : on ne peut pas dire en effet qu’elle 2 retint longuement l’attention des différents commentateurs d’Alain . Mais c’est aussi, tenter d’évaluer cette doctrine, c’est-à-dire de voir précisément ce en quoi elle peut nous concerner aujourd’hui comme ce en quoi il n’est plus possible de la suivre. De là que cet ouvrage, qui veut en premier lieu en restituer la force et l’intérêt, s’attache également aux objections que l’on pourrait lui faire. « Penser l’école : pourquoi pas Alain ? » cela doit donc s’entendre selon les deux sens du « pas » : l’un qui suggère qu’en effet il y a chez Alain des perspectives bien intéressantes, l’autre qui annonce que sur certains points, cette pensée de l’école ne peut plus être la nôtre.
1 Principalement les propos 7, 8, 12-15, et, dansP.E., 24° leçon 2 O. Reboul, tout à son souci de restituer l’intégralité des thèses d’Alain sur l’éducation dans son ouvrageL’éducation selon Alain, Vrin, 1974, s’attarde très peu sur cette expression qui est seulement mentionnée à la page 93. C’est sans doute qu’elle cadre mal avec l’ensemble des dualismes qui lui permettent de reconstruire cette doctrine ; c’est sans doute aussi qu’elle demeure une « expression », n’a pas chez Alain lui-même de statut conceptuel, ce qui ne l’empêche pas pour autant d’être assez systématiquement présente comme nous le montrerons. Dans son autre ouvrage sur Alain,L’homme et ses passions chez Alain, PUF, 1968, si riche pourtant d’analyses diverses sur les passions et ce qui les éduque, l’expression de « peuple enfant » et la notion de collectif ne sont mêmes pas présentes dans l’index rerum, pourtant par ailleurs assez complet.
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Le milieu de l’enfance
Précisons-le tout de suite, cet intérêt d’Alain pour ce « peuple enfant » ne s’est pas porté vers ce que l’on pourrait nommer un « souci éducatif ou pédagogique du collectif » si l’on entend par là que le collectif serait une réalité à instituer par les adultes eux-mêmes, en fonction d’une nature enfantine qui lui serait apriori rétive. Comme on le dit et comme on le répète bien souvent, les enfants seraient égocentriques, essentiellement tournés vers eux-mêmes, en sorte que le souci du collectif serait l’œuvre et l’effort propre des pédagogues. C’est même par là que l’on entend justifier non seulement les règles qu’on leur impose mais surtout la nécessité de leur imposer très tôt. La thèse de l’égocentrisme enfantin, est ainsi une façon d’affirmer et de légitimer le pouvoir des adultes sur les enfants.
Or, et il faut le souligner d’emblée, l’orientation de la pensée d’Alain est toute différente et s’il ne fut pas le seul à s’orienter autrement sur cette 3 question , il le fit de façon assez particulière. Il s’attacha plutôt au « fait » même du collectif, ou à la « loi du collectif », en tant que ce fait et cette loi sont inscrits dans une certaine nature ou témoignent d’une certaine nécessité. Il conçut son propre travail selon le souci de ramener l’attention adulte et éducative à cette nécessité ou à cette nature qu’il fallait prendre pour fil. Il parle ainsi et par exemple d’un « goût » des enfants pour le collectif, ou encore de leur propension ou empressement à faire eux-mêmes du collectif ou à se rassembler, comme si dans ce goût quelque chose de la « nature » des enfants ou de l’enfance se montrait et que par conséquent il y avait lieu au moins d’en tenir compte, de ne pas l’empêcher, quitte à capter, assouplir, éduquer ce goût. Mais qu’il y ait dans ce goût, quelque chose de fort, de nécessaire, d’important à préserver, quelque chose d’absolument constitutif de l’enfance et sans quoi celle-ci serait comme mutilée, qu’il y ait donc une nature à laquelle il soit juste de se plier et grâce à laquelle nous nous ajustons effectivement à l’enfance, c’est cela à quoi il veut être attentif.
Il va même assez loin dans cette direction, puisque c’est à partir de ce fait qu’il tend à « fonder » l’école, du moins certains de ses aspects essentiels : l’école, dit-il, est le vrai milieu de l’enfant, peut-être plus encore que la famille, et cela parce qu’elle est le lieu du « peuple enfant ».
3  Parmi de très nombreux ouvrages, on citera Fernand Oury :Vers une pédagogie institutionnelle; Les publications du groupe Desgenettes, à la suite de Mendel, et tout particulièrement C. Rueff-Escoubès et J.F. Moreau, éd. Syros, 1987 :La démocratie à l’école. Parmi les philosophes contemporains qui donnent une grande importance au collectif : M. Walzer d’une part qui, dans son ouvrageSphères de justice, au chapitre concernant l’école, ordonne toute sa réflexion en fonction des écoles de voisinage. Enfin Walter Lippmann, et sa notion de collectif de recherche.
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C’est ainsi dit très fortement à plusieurs reprises. D’abord dans le propos 13 où l’on trouve l’idée non seulement que l’école est ou doit être regardée comme une réalité naturelle exprimant « l’assemblée des enfants », mais également qu’elle est le véritable et plus authentique milieu de l’enfance : « L’enfant tient à sa famille par des liens forts ; mais il tient au peuple enfant par des relations qui ne sont pas moins naturelles. En un sens, il est moins étranger au milieu des enfants que dans sa famille,il ne où 4 trouve point d’égaux ni de semblables » . Le milieu de l’enfance, le lieu autrement dit où elle est elle-même et où les enfants sont eux-mêmes, c’est donc le peuple enfant, comme assemblée des égaux et des semblables.
C’est également très net dansPédagogie enfantine: « La famille est aisément considérée comme un milieu naturel (c’est-à-dire où la volonté humaine n’a rien changé pour le fond, donné, fait). La société de même, quoique ce soit plus difficile. La sociologie se définit par ceci qu’elle considère la société non pas comme régie, encore moins formée, par des lois décrétées par l’homme, mais au contrairecomme manifestant par les lois écrites des lois naturelles analogues à astronomie physique chimie biologie(..) Histoire naturelle des sociétés.
Nous avons à considérer l’école tout à fait de la même manière, non pas comme une institution qui paraît bonne à tel sage ; mais comme un fait de la nature humaine, tout aussi net que les deux autres, et s’opposant à tous deux.
L’assemblée des enfants (par âges) est un fait de nature et de société. Cette assemblée (jeux – explorations – amitiés) s’oppose à la famille ; et encore mieux lorsqu’elle s’organise sous le maître (un vieillard conteur, 5 moraliste, conseilleur) » .
Tout est dit ici : si l’école est le lieu propre de l’enfance et en tout cas tout autant voire plus que la famille, c’est du fait d’être ce lieu du « peuple enfant », ou de l’assemblée des enfants. Les critères sont nets : l’assemblée des enfants est leur rassemblement comme égaux et semblables, c’est-à-dire que c’est parce qu’ils se rapportent entre eux comme à autant d’égaux et de semblables qu’ils forment un « peuple enfant ». Cette assemblée encore n’est vraiment elle-même et ne peut être elle même, que sous la responsabilité d’un type de maître bien particulier : un vieillard, conteur, moralisateur, conseilleur, ce qui signifie que ce « peuple enfant » ne peut l’être par lui-même, mais qu’il lui faut le soutien d’un tel maître.
4 Pr. 13, je souligne. 5 P.E., 24° leçon, je souligne.
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Pour établir ses thèses, Alain fait ici fond sur une certaine sociologie qui vient en droite ligne de Montesquieu et A. Comte. Une telle sociologie ne se définit nullement par opposition à la nature, ou par l’affirmation que l’ordre humain étant institué, il serait du même coup relatif ; bien au contraire elle veut rendre manifeste que les lois écrites, et donc instituées, sont en fait le reflet de lois non écrites sans doute, mais qui sont des lois naturelles analogues à celles des sciences que sont la physique, la chimie, l’astronomie. C’est là une notion de la sociologie que l’on peut dire pré moderne au sens où l’ordre humain n’est pas apriori pensé comme ordre de l’invention humaine poursuivant des fins qui lui seraient propres ; il n’est pas un empire dans un empire, mais manifeste à sa façon un ordre naturel non écrit.
Il faut donc suivre la leçon de cette sociologie et commencer à voir dans l’école, non pas une « institution », si nous entendons par là quelque chose comme un moyen pour notre volonté adulte d’atteindre nos fins, mais l’expression, peut-être particulière, d’une loi naturelle, celle-là même du collectif ou du peuple des enfants. Dire qu’il y a un « peuple enfant », c’est ainsi inviter les sociologues à se pencher sur ce peuple et l’étudier comme ils le font des « peuples primitifs » : « Les sociologues étudient les mœurs des sauvages, et s’ébahissent. Que n’étudient-ils les mœurs des enfants ? Ce peuple est mal connu. Chacun veut en juger d’après les enfants qu’il observe dans la famille ; erreur de méthode, qu’un sociologue, par ses préjugés 6 propres, doit éviter. L’enfant n’est pas ici en rapport avec ses semblables » . C’est dire qu’il y a ici des lois, des lois « de » ce peuple, ou encore un milieu propre à l’enfance. Il n’y a pas d’un côté l’enfant dans sa famille, que l’on étudierait comme un certain type d’objet ; de l’autre l’enfant à l’école, qui serait autre et un autre objet. Au contraire, la vraie nature de l’enfant se montre et s’exprime au sein du « peuple enfant », et c’est là, selon cet observatoire, que l’on peut le voir vraiment, dans son « essence d’enfant ». Dans la famille en revanche, et parce qu’il y est constamment empêché, impuissant, on ne peut le voir, ou l’on voit un enfant tronqué, manquant de quelque chose. Le « peuple enfant » est ainsi non seulement le milieu propre de l’enfant, mais également et du même coup, ce qui commande toute connaissance que l’on peut avoir de l’enfance. Pour me servir d’un terme de technique philosophique, il est le transcendantal de l’enfance : condition de possibilité de l’objet ET de sa connaissance. 6 Pr. 12.
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