Une élite en préparation
204 pages
Français

Une élite en préparation , livre ebook

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204 pages
Français

Description

Dans les années cinquante, les classes préparatoires, en particulier les khâgnes, ont participé à cette sélection des élites qui étaient plus que jamais nécessaires juste après la guerre. On y trouvait l'esprit nouveau qui allait présider à la sélection des élites et à la formation des futurs cadres de la République. Beaucoup s'y retrouveront sans doute et y liront l'essence même des classes de khâgne.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2012
Nombre de lectures 10
EAN13 9782296486256
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0800€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Une élite en préparation
Collection « Mémoires de l’éducation » dirigée par Louis Porcher et Dominique Groux La mémoire constitue désormais un ingrédient inéluctable de la fabrique d’un savoir. Dans l’éducation en particulier, les expériences vécues sont en train de conquérir toute leur place et il est plus que temps de leur consacrer l’attention qu’elles méritent. Souvenirs d’usagers anonymes ou d’acteurs de l’éducation, souvenirs d’écrivains, tous participent à la construction d’une vérité et contribuent à enrichir le savoir sur l’éducation.
Louis PORCHER
Une élite en préparation
Une classe de khâgne en 1957-1959
© L'Harmattan, 2012 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Parishttp://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-56031-4 EAN:9782296560314
CHAPITRE I De l’éducation comparée « verticale » : défense du témoignage direct J’ai longtemps hésité, et même tergiversé. Depuis plusieurs années, je déplorais que l’éducation comparée, en France, soit amputée de l’une de ses dimensions essentielles : la profondeur historique. Maintenant que, devant la stagnation générale de l’éducation comparée (et donc sa régression internationale), j’ai atteint la quasi-certitude que cet aspect fondamental ne sera pas défriché et que je n’aurai plus la force de l’entreprendre, je reviens à des objectifs plus modestes : faire en sorte qu’une sensibilisation à ce phénomène soit mise en place. J’en ai souvent parlé avec Dominique Groux, dont je suppose que, si elle n’a rien publié dans ce domaine, c’est parce qu’elle n’a pas découvert le moyen de combler cette lacune criante. Pour l’instant, en effet, les contributions à l’éducation comparée, dans notre paysage, restent du grand n’importe quoi. On appelle de ce nom n’importe quel discours qui met en regard quelques aspects des systèmes éducatifs dans plusieurs pays. On ne peut rien en faire parce que les conditions épistémologiques minimales d’une comparabilité ne sont pratiquement jamais remplies. C’est d’une grande tristesse mais il n’y a pas lieu de s’en étonner. J’ai alors réfléchi, comme beaucoup d’autres spécialistes, aux frontières entre la mémoire et l’histoire, la première étant essentiellement subjective (même si elle peut être collective), l’autre se caractérisant par une construction intellectuelle à partir de laquelle on peut élaborer une cohérence, comme telle transmissible par un discours réglé.
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Et je suis parvenu à la conclusion que, en plongeant mémoriellement dans le passé le plus lointain que je pouvais avoir vécu en personne, je contribuerais à fournir un matériau en quelque sorte informé et qui pourrait, par la suite, être structuré par une histoire. Il ne s’agit évidemment pas de conférer à ces « souvenirs » une autre valeur que celle qu’ils ont. Mais, en même temps, il serait absurde de les jeter à la poubelle. Je me suis donc attelé à la tâche, en parlant à la première personne. Je suis parti de ma propre mémoire et j’ai exploré, interrogé, recoupé, croisé plusieurs sources de témoignages, plusieurs contributions. J’ai choisi mes années de classe préparatoire, il y a plus de cinquante ans. D’abord parce que, depuis cette époque, les paramètres scolaires se sont totalement, ou presque, transformés : nous ne sommes, à la lettre, plus dans le même monde éducatif. Ensuite parce qu’il reste, cependant, quelques sources documentaires. Des données (résultats, emplois du temps, repères biographiques, archives diverses), des documents (photos, cahier de notes, correspondances), et des souvenirs subjectifs divers, et dont la diversité, justement, est parfois en mesure de suggérer une hypothèse interprétative, en infirmer ou en confirmer une autre. J’ai pu constater, à cet égard, que les très anciens élèves conservent en eux des traces subjectives particulièrement vivaces. Certes, il y a des brouillages, des confusions, des lacunes, mais aussi des nettetés, des preuves empiriques, des vérifications. L’époque est lointaine et c’est pourquoi je l’ai choisie. Elle représentait aussi, pour la majorité d’entre nous, le premier arrachement au milieu familial, à l’âge du baccalauréat, pour venir vivre dans une plus grande ville et, plus violemment encore, en internat. Encore enfants et pas véritablement adultes, nous étions un peu des deux. Là encore le contraste avec nos homologues d’aujourd’hui est énorme : les modes de vie ont complètement changé, les
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adolescents d’autrefois n’existent plus et, à la lettre, « on en perd la mémoire ». A cette époque (1957-1959), dix pour cent environ d’une classe d’âge atteignaient le baccalauréat. N’allaient dans les classes préparatoires, surtout littéraires (qui avaient déjà amorcé leur déclin), que les meilleurs éléments, ceux qui pouvaient rêver d’un avenir improbable à l’Ecole Normale Supérieure. Les grands textes de Bourdieu n’avaient pas encore paru et on croyait à l’égalité des chances. On soupçonnait bien que « les fils d’archevêque » réussiraient mieux que ceux « qui avaient mal choisi leurs parents », mais on pensait sérieusement que chacun avait sa chance. Tout le monde disposait d’un exemple qui le prouvait, sans prêter attention que ce n’était qu’une exception statistique. Il n’y avait que de rares classes préparatoires. On n’en trouvait ni à Nantes, ni à Tours, ni à Limoges, ni à La Rochelle. Poitiers drainait donc les « cracks » de toute une région très vaste et ce troupeau était considéré comme le sel de la terre. Ce qui n’était pourtant pas le cas, les meilleurs des meilleurs s’envolant, par exemple, vers Paris ou quelque autre grande ville. Dans l’ensemble pourtant, parmi la mince cohorte qui passait le bac, le lycée de Poitiers voyait converger vers lui des élèves qui avaient « sous le capot » de quoi aller loin. L’information, en outre, était quasiment nulle. Je raconte par quelle succession de hasards je me suis trouvé informé de l’existence d’une classe de khâgne dans la région et par quelle accumulation d’autres imprévisibilités, je m’y suis trouvé parachuté. Dans l’ensemble, ces classes rassem-blaient une fraction de la petite bourgeoisie (le concept de classe moyenne n’était pas encore forgé quoique déjà, comme l’a montré Boltanski, le « cadre » emblématique appartînt préférentiellement au « bassin d’ingénieurs »). Les Sciences, déjà, l’emportaient. Quelques débordements existaient sur les ailes. Dans la classe que j’étudie, il y avait deux fils de paysans pauvres,
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mais beaucoup de descendants d’enseignants (surtout du premier degré) et de petits fonctionnaires, une fille (et ce n’était pas indifférent, on le sait) de médecin, un fils de directeur d’archives départementales quelques descendants de gros commerçants, et beaucoup de petits, un enfant d’officier. Nous n’avions pas conscience de cette caractérisation sociologique, bien entendu. A la fac voisine, la psychologie, la sociologie, naissaient à peine, la linguistique (par exemple) n’existait pas comme filière, etc. Certes ces frontières étaient en train de s’effondrer, mais compte tenu des lieux d’où nous venions, nous ne pouvions pratiquement pas en avoir conscience et, dans nos têtes, nous restions régis par les « disciplines classiques ». C’était une époque charnière et c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles je me suis résolu à étudier en détails un exemple de cette époque. Un vieux monde était en train d’éclater, un nouveau n’apparaissait pas encore, un peu comme aujour-d’hui où nous nous trouvons manifestement à l’orée d’une période neuve où le nouveau monde ne ressemblera plus en rien à l’ancien (au moins en apparence). Ce texte est donc une contribution et je suis sûr que celle-ci est sérieuse. L’éducation a subi de telles transformations, depuis ce temps-là que s’y replonger aujourd’hui constitue une forme d’éducation comparée aussi parlant qu’entre deux systèmes éducatifs de deux pays différents. Je ne demande pas qu’on me croie, mais seulement qu’on prenne le phénomène au sérieux et qu’ainsi on se sensibilise à la dimension historique qui fait constitutivement partie de l’éducation comparée telle qu’elle représente désormais, partout, l’éducation tout court. Une sorte de bouteille à la mer, en somme. A Dieu vat.
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