Rumeur
66 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

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Description

Chez les Indiens Zapiros, gare à celui qui ne trouve pas les mots pour se défendre ! C'est le cas du jeune Tarir qui se fait traiter de mangeur de capincho, la pire des insultes chez les Zapiros, et qui encaisse en silence. Grave erreur. Ne rien dire, c'est laisser la rumeur se répandre, la calomnie s'abattre sur lui et son clan. Tarir devient alors un paria. Il doit fuir s'il ne veut pas mourir. Il peut aller mendier comme tant d'autres indiens à Los Blancos ou rejoindre les meurtriers, les sacrilèges dans la forêt du Pays mort…

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 20 mars 2019
Nombre de lectures 11
EAN13 9782211302692
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le livre
« Voilà Tarir, le mangeur de capincho ! » Tarir a reçu l’insultecomme un coup de pied dans le ventre. Chez les IndiensZapiro, le capincho est un animal honni, un brouteurd’herbe, un pleutre qui pleure au moindre danger.
N’importe quel Zapiro traité de cette manière auraitdonc riposté. Mais pas Tarir, le timide, le taiseux, qui n’arien trouvé à dire. Depuis, la rumeur a circulé, Tarir estdevenu un paria parmi les siens. S’il ne veut pas mourird’une flèche dans le dos, il doit partir. Vers la forêt du Paysmort qui abrite les exclus ? Vers Los Blancos, la ville où lesIndiens ne sont pas les bienvenus ? Le destin de Tarir esten marche…
L’auteur
Thomas Lavachery se classe dans la catégorie des écrivainsd’imagination : « J’ai besoin d’installer mes personnagesdans des univers qui sont très éloignés du mien, tant surle plan temporel que spatial. » Le Moyen Âge pour Ramulf ,l’épopée Viking pour Bjorn … des mondes qu’il décrittoujours avec une grande liberté. Cette fois, le romanciernous entraîne en Amazonie au XIX e siècle, pour nous parlerd’un thème pourtant très actuel : le poison de la calomnie,bien avant l’invention des réseaux sociaux.
 

Thomas Lavachery
 
 

Rumeur
 
 

Illustré par l’auteur
 
 


 
 

l’école des loisirs
11, rue de Sèvres, Paris 6 e
 

À mon ami et meilleur complice Denis Roussel
 
La morsure la plus dangereuse parmi les bêtesles plus farouches est celle du calomniateur.
 
Pierre-Jacques Changeux (1762)
 
Les blessures de la calomnie se ferment,mais la cicatrice demeure.
 
Hypolite de Livry (1808)
Churu
C’était le temps du défrichage. Il fallait couper desarpents de forêt pour planter le manioc, et les cousinsdes montagnes étaient venus nous aider. Pour nous,les enfants, les journées n’étaient que jeux dans larivière, parties de cache-cache, batailles de boue…
Je me nomme Tarir, de la tribu des Zapiro, etj’avais douze ans à cette époque. Mon père et mesoncles m’estimaient, car je promettais beaucoup.Habile à grimper aux arbres, bon nageur, je tiraisà la sarbacane comme peu d’enfants de mon âge.Je n’avais qu’un seul défaut, ma timidité. Mon pèreet mes oncles faisaient du bruit, ils criaient plussouvent qu’à leur tour – pour dire bonjour, pourdire au revoir, pour dire « Je suis un Zapiro ! Je suisfort ! Je suis un jaguar qui gronde dans la nuit ! »Ils riaient en frappant leur poitrine, ils chantaient ens’accompagnant du tambour…
Moi Tarir, je parlais bas et je ne possédais pasencore de tambour. J’étais heureux, cependant.J’avais confiance dans l’avenir. Je serais un jourcomme mon père, vociférant, tapageur – je deviendrais un Zapiro à part entière. Il me fallait seulement grandir et affermir mon cœur.
Les enfants des cousins montagnards, ceux dema génération, étaient déjà bruyants à souhait.Ils riaient pour un rien, poussaient des hurlements pour le simple plaisir de se faire entendre.Ils tiraient la queue de nos chiens, tarabustaient nossinges familiers… Ils racontaient sans cesse leursaventures, toutes sortes d’exploits extraordinairesdignes de Kawaru, le héros de l’Ancien Monde.J’écoutais leurs fanfaronnades avec une crédulitéqui, aujourd’hui, me fait sourire.
L’un de ces cousins des montagnes s’appelaitChuru. Il avait onze ans, de larges épaules et un œilmort à cause d’un accident. Je le revois comme sic’était hier. Son visage, le son de sa voix, son alluredégingandée… tout est resté imprimé dans mamémoire et y demeurera jusqu’à ma mort. Churua marqué ma vie.
Dès son arrivée, il s’était comporté en seigneur,mettant tous les enfants à ses ordres, même les gar çons plus grands que lui. Il avait le don des chefs.Cela n’est pas un mal, au contraire, mais lui étaitun mauvais chef. Il prenait plaisir à tourmenter,à humilier. Sa langue piquait. Très vite, je compris qu’il ne m’aimait pas. Chose étrange, il melaissait tranquille, m’adressant à peine la parole.Les méchants tours qu’il jouait aux autres, je n’yavais pas droit. Avait-il peur de moi, de ma force ?J’ai peine à le croire.
Les jours passaient, et les arbres tombaient, chacun avec un bruit différent. La parcelle serait bientôt défrichée. La présence des cousins, qui touchaità sa fin, m’avait rendu plus sociable. Je m’étais faitde bons compagnons parmi eux : Chango, Tii et lajolie Nawir. Un matin que je les attendais tous lestrois pour aller pêcher, ils ne vinrent pas au rendez-vous. Et ils m’évitèrent durant la journée.
À partir de ce moment, les cousins des montagnes se mirent à me lancer des regards de mépris,les enfants comme les adultes. Que se passait-il ?Qu’avais-je fait pour mériter pareil traitement ?Le jour suivant, mon père se battit avec un montagnard, l’un de ses vieux amis. Quand je lui demandai la raison de cette querelle, il resta évasif, et jecompris qu’il ne désirait pas me répondre.
Ma mère demeura longuement à côté de macouche, ce soir-là. Nous ne disions rien tandis quela fête battait son plein au-dehors. Les ombres mouvantes des danseurs animaient l’intérieur de notremaison. Les tambours faisaient trembler la terrejusque dans sa moelle profonde.
Ils partaient le lendemain. Les cousins s’enretournaient dans leurs montagnes, et ce départ meréjouissait. Ma mère aussi semblait l’attendre avecimpatience.
La fièvre me prit dans la nuit, si bien que jerestai couché longtemps après le lever du soleil.Je n’assistai pas au départ. Chango, Tii et Nawirrentrèrent chez eux sans m’avoir revu, et je pensequ’ils en furent contents. Ma maladie dura quelquesjours. Lorsque je recommençai à côtoyer mes frèreset sœurs du village, je sentis le malaise qui m’entourait. Les regards de biais, les silences. C’était subtil :personne, jamais, ne se montrait désagréable.
Ma présence gênait, voilà tout.
Mon père et mes oncles faisaient comme si derien n’était. Leur gentillesse à mon égard, démonstrative, tapageuse, me réconfortait sans tout à faitme rassurer. Ma mère cachait mal son inquiétude.Je l’interrogeais parfois, mais elle inventait de fausses raisons à son humeur. Il me fallut attendre un moisavant de comprendre de quoi il retournait.
Je me trouvais seul à remonter la rivière, monharpon à la main, quand je tombai nez à nez avecYakum, un garçon espiègle.
Me voyant venir à lui, il sourit en plissant lesyeux.
– Voilà Tarir, le mangeur de capincho !
Je reçus l’insulte comme un coup de pied auventre. Yakum gloussait tout en me dévisageant.L’idée de lui sauter dessus et de le rosser me traversal’esprit, bien sûr, mais j’en fus incapable… Touts’éclairait. On m’accusait d’une grande infamie.Qui avait pu…? Pourquoi ?
Yakum fila en riant. J’avais les bras paralysés,la poitrine oppressée, tel un guerrier touché par lecurare. Tarir, le mangeur de capincho…
– Churu, prononçai-je alors. Ça ne peut êtreque lui !
La mauvaise langue
Parmi tous les animaux, le capincho est le moinsestimé. C’est un brouteur d’herbe qui ressembleun peu au capybara, mais en plus petit. Commece dernier, il saccage les jardins et consomme sesexcréments. Sous son large museau, il n’a qu’uneseule incisive, légèrement bleutée. Le capincho a laparticularité de pleurer au moindre danger, d’êtrela créature la plus peureuse et la plus timide qui soit.En présence d’un prédateur, il se couche sur le doset se laisse dévorer.
Sa manière de dodeliner de la tête comme undemeuré le rend par ailleurs très ridicule. Il est lahonte des sous-bois, et personne ne doit le mangersous peine d’attirer l’opprobre sur sa famille, surson clan. « Mangeur de capincho » est une insultecourante. Dans la plupart des cas, elle est lancée à la blague et personne n’y prête attention. Celui quila reçoit réplique par une autre injure, et l’échanges’arrête bientôt, tombant à plat.
Dans d’autres cas, l’insulte porte et reste attachéeà quelqu’un pour longtemps, parfois pour toujours.Ce quelqu’un n’est pas coupable pour autant. Si lacalomnie prend sur lui, c’est pour d’autres raisons.Souvent, c’est parce qu’il n’est pas doué pour letapage.
Moi, j’étais le garçon timide du village. J’avaispar ailleurs l’habitude de courir la jungle des journées entières, alors que ceux de mon âge ne s’éloignaient pas des maisons. Que faisais-je durant cesfugues ? Churu, la mauvaise langue, avait donné laréponse : « Tarir est un mangeur de capincho. Il faitdes festins honteux, seul au fond des grottes, dansles taillis… Tarir se goinfre de capincho, je l’ai vu ! »
Je ne peux qu’imaginer ces phrases, mais je necrois pas être loin de la vérité. Churu était bien àl’origine de la rumeur, cela au moins ne souffreaucun doute. Ma mère en eut la confirmation parla confidence de sa meilleure amie.
Senur
Mon père se battit à plusieurs reprises avec desvisiteurs. Kaputi de l’aval du fleuve, Ujuru del’amont… ils arrivaient le soir, demandaient l’hospitalité. Un festin de manioc et de poisson étaitimprovisé en leur honneur. On échangeait desnouvelles, on dansait au son des flûtes traversières.La bonne humeur régnait jusque tard dans la nuit.Alors, sans préambule, un visiteur enivré prononçait un mot blessant pour notre famille. Mon pèrese jetait sur lui, et la fête tournait au pugilat.
Évidemment, j’étais la raison de ces disputes.
Je renonçai à mes escapades solitaires, cela afinde ne pas alimenter la rumeur. Pour ne pas être assimilé au capincho, ce froussard, je m’étais résolu àsaisir toutes les occasions de prouver mon courage.Sauter du haut des rochers géants qui surplombent le fleuve, défier le silure dans sa vase, accompagner mes oncles à la chasse au jaguar… j’accomplis toutes ces actions avant treize ans. Je piétinaisdes nids de fourmis, je serrais dans mon poing desbraises rouges…
Je luttais aussi contre ma timidité, mais dansce domaine mes efforts étaient vains. Ah, j’auraisdonné cher pour être tapageur comme mon père,tonitruant comme mes oncles ! Par malheur, je neparvenais pas à sortir de ma réserve. Je continuais àparler doucement, à chercher mes mots.
Les années passèrent, et la rumeur sembla mourir d’elle-même. Certes, je surprenais parfois unregard ambig

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