Bac en poche
43 pages
Français

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Bac en poche , livre ebook

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Description

Avoir son bac, rouler cheveux au vent en mobylette et rêver à la vie parisienne, cela s'appelle le bonheur. Ensuite, vient la déception.
Parce que les formalités d'inscription à la fac peuvent facilement provoquer un état dépressif. Parce qu'une fois le loyer et la carte orange payés, il ne vous reste que 33,333 francs en poche. Parce qu'il n'est pas forcément amusant de dormir à trois dans un couloir, devant la porte des W.-C.
Alors il faut tâcher d'avoir de sérieuses motivations. Camille s'éclate dans un groupe de théâtre hystérique et révolutionnaire. Nat ne rate par un épisode d'Hélène et les garçons.
Hélène, elle, se passionne pour le structuralisme, sous la houlette de la prodigieuse Olga Diamant. Cette divine grammairienne n'aura sans doute pas assez de l'année universitaire pour expliquer Les Chats de Baudelaire, mais quel charisme !

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 décembre 2015
Nombre de lectures 85
EAN13 9782211226684
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le livre
Avoir son bac, rouler cheveux au vent en mobylette et rêverà la vie parisienne, cela s’appelle le bonheur. Ensuite, vient ladéception.
Parce que les formalités d’inscription à la fac peuvent facilement provoquer un état dépressif. Parce qu’une fois leloyer et la carte orange payés, il ne vous reste que 33,333francs en poche. Parce qu’il n’est pas forcément amusant dedormir à trois dans un couloir, devant la porte des W.-C.
Alors il faut tâcher d’avoir de sérieuses motivations.Camille s’éclate dans un groupe de théâtre hystérique et révolutionnaire. Nat ne rate par un épisode d’ Hélène et les garçons .
Hélène, elle, se passionne pour le structuralisme, sous lahoulette de la prodigieuse Olga Diamant. Cette divinegrammairienne n’aura sans doute pas assez de l’année universitaire pour expliquer Les Chats de Baudelaire, mais quelcharisme !
 

L’auteure
Née à Grenoble, Dominique Souton a d’abord fait desétudes de lettres et de cinéma avant de se lancer dansl’écriture. Elle avoue s’inspirer de sa propre vie et des personnes qui l’entourent – notamment ses deux filles – pourécrire ses romans. Bac en poche s’inscrit dans cette veineautobiographique.
Lors de la parution de son dernier roman, Dieu roule pourmoi , elle confesse un autre trait commun de ses romans :« Se donner les moyens de ne pas obéir à ses parents ou à lanorme parentale est un thème récurrent chez moi. »
 

Dominique Souton
 
 

Bac en poche
 
 

Médium
l’école des loisirs
11, rue de Sèvres, Paris 6 e
 
« Il ne faut pas surestimer les études.
Cela ne mérite pas
tout le foin qu’on en fait.  »
 
P AUL A USTER , Moon Palace.
 
C’était un lundi, de dix à douze, en classe dephilo. Nous étudiions le Manifeste du parti communiste  ; la prof expliquait que pour Marxl’histoire reposait sur la lutte des classes ; leprolétariat, s’il voulait faire disparaîtrel’exploitation dont il était victime, devaits’organiser à l’échelle internationale, s’emparer du pouvoir et abolir les classes elles-mêmes, ce qui amènerait la phase ultérieureoù l’État s’éteindrait de lui-même : le communisme.
Mes pommettes étaient devenues roses,mes yeux pétillants, mes cheveux électriques,mes narines frémissantes. Je levai le doigt.
– Si l’histoire humaine repose sur la luttedes classes, et que le prolétariat abolit lesclasses, ce sera alors... la fin de l’Histoire.
J’avais laissé ma phrase en suspens. Unlong silence répondit à mon interrogation,puis des chuchotements, quelques acquiescements, l’amorce par-ci, par-là d’un commentaire, un sifflement d’admiration suivi d’unbravo qui se propagea dans toute la classe,séduite par la pertinence de la remarque.Mme Gehel elle-même approuva l’intervention d’un « fort bonne question », à laquelle,gong de la cloche oblige, nous n’aurionsjamais la réponse.
Tapes amicales, félicitations, « le bac c’estdans la poche », le couloir s’était transforméen une haie d’honneur, et c’est sous bonneescorte que je gagnai la cantine. Camille, quialors ne s’appelait pas encore Camille, avaitpassé son bras sous le mien, et souriait à laronde, comme si un peu de ma gloire luiavait été due.
 
Le brouhaha de la cantine effaça cependant bientôt l’événement. Impossible, dans le tintamarre des pichets d’aluminium, desverres Duralex, des conversations croisées decentaines de lycéens de la sixième à la terminale réunis sous le même plafond, d’avoir unsujet de discussion. Impossible même de penser à ce que l’on mangeait.
Sardines à l’huile, poulet (une des grossesproductions de la région), spaghettis saucetomate : les profs eux-mêmes semblaient somnoler au cours suivant, plus occupés à digérerqu’à nous enseigner la noblesse de leurmatière. Je n’aurais jamais eu l’idée de la luttedes classes et de la fin de l’Histoire à quatorzeheures.
 
Camille, qui avait en horreur la cour derécréation, transformée par les sixièmes en unchamp de bataille dangereux à traverser sanscartable-boucher ou règle-épée, et ne comprenait pas qu’on ne puisse pas bavarder librement dans les salles d’étude, suggéra que nousprofitions de notre statut privilégié de termi nales émancipées pour prendre la tangente etnous rendre en ville.
– On va faire les magasins, proposa-t-elleen riant.
En fait de magasins, il n’y avait dans la rueprincipale que les laines Phildar, qui faisaientaccessoirement collants et chaussettes, la Maison de la presse, avec en vitrine un ouvragevantant les beautés de la flore régionale, laparfumerie Yves Rocher et une boutique devêtements 0-14 ans qui avait depuis longtemps fini de nous intéresser. De toute façontout était fermé entre midi et deux, et lagrand-rue était désespérément déserte. Seulun puissant courant d’air glacé circulait quelleque soit la saison. Des boules de poussièreroulaient le long des maisons, comme dans lesvilles de l’Ouest américain, où elles annonçaient la venue de truands habillés de longsmanteaux de cuir, qui hélas ! ici ne viendraient pas. Il ne se passait jamais rien à Brest-sur-Sye.
Arrivées place de l’église, nous rebroussâmes chemin pour nous arrêter au Café dulycée.
– Comment ça va, les filles ? demandaGermaine, en blouse de Nylon sans manches.
– Elle est géniale ta robe ! lui dit Camille.
Haussement d’épaules de Germaine.
– Je ne plaisante pas, se justifia Camille.
Et Camille ne plaisantait pas.
Nous n’étions pas obligées de consommer, mais le simple fait de dire « deux cafés »nous donnait le sentiment d’exister. Camillesortit le dernier numéro de Elle, emprunté àsa mère. Kaki et rouge, la saison s’annonçaitsous les auspices de l’uniforme militaire.Camille était d’ailleurs vêtue d’un pantalon detreillis et d’un tee-shirt tie and dye (délavé àl’eau de Javel) noué au-dessus du nombril. Jeme demandais avec admiration d’où lui venaitce talent de devancer les modes, même sicette tenue, loin de faire fonction de camouflage, la désignait comme une excentrique aux yeux de tous, dans une ville où les joggings de polyamide cédaient le dimanche àdes ensembles chemisier-jupe à épaulettes etempiècement macramé.
Chanel, Yves Saint-Laurent, Yamamoto,les adresses de Elle (« Où trouver nosmodèles ? ») étaient toutes parisiennes. MêmeKookaï ne parviendrait jamais jusqu’ici oùseuls La Redoute et les Trois Suisses osaients’aventurer par l’intermédiaire du facteur qui,dans la mesure où les catalogues n’entraient pasdans la boîte aux lettres, devait sortir de sacamionnette pour les remettre en main propre,au risque de se faire mordre par les chiens. Lacondition des facteurs en zone rurale, qui bravaient kilomètres et aléas climatiques pour distribuer jour après jour le courrier, n’était pas siéloignée de celle des courriers à cheval de laFéderal Express exposés à la chaleur du désertet aux flèches des Indiens.
Sylvie Beaubourg, parachutée dans notreclasse en milieu d’année, nous interrompit dans notre rêverie vestimentaire. Elle croulaitsous une pile de volumes équivalente àl’ Encyclopaedia universalis, dont elle se déchargea sur la table avant de commander unmonaco. Marcel, qui avait succédé à Germaine pour le service, posa la chope sur latable et prit le Elle pour le feuilleter à bout debras, avant de le reposer au bout de quelquespages, comme s’il s’était agi d’un objetétrange venu d’une autre planète aveclaquelle il n’aurait eu aucune relation. Il fautdire que Germaine n’était pas ce que l’onpeut appeler une fashion victim, même si sacollection de blouses imprimées petites fleurspouvait à l’œil averti de Camille paraître trèstendance.
Quand Marcel eut disparu derrière soncomptoir, Sylvie Beaubourg entreprit de partager avec nous sa merveilleuse découverte :quatre ouvrages reliés cuir aux pages parcheminées qui sentaient la poussière. Ils provenaient de la bibliothèque municipale et renfermaient, selon elle, toutes les informationsdont nous n’aurions jamais imaginé avoirbesoin pour traiter de la Première Guerre mondial

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